II. Ses désirs pour la réalité.

Tout en se présentant comme un récit de faits qui relèvent de l'Histoire 326 , Un balcon en forêt accorde paradoxalement une large place aux formes imaginaires. Rumeurs et signes de la guerre, pour y être, en effet, accordés au réel, n'en sont pas moins perçus par le lecteur dans la perspective d'un rêve éveillé, suspendu et assoupi par l'attente. Là où précisément l'attente événementielle ne peut être que réduite à néant, tant il est vrai que le lecteur de 1958 sait à quoi s'en tenir sur la nature des faits qui vont advenir, l'événement historique lui-même se trouve, non seulement inscrit par le récit dans un cadre rural et naturel, mais aussi réinterprété selon les rythmes propres d'une guerre qui a ses surprises et "peut-être ses îles désertes" 327 , au point de devenir "attente pure" 328 . S'il ne fait aucun doute, en effet, que ces formes proprement imaginaires ne sont pas sans relation avec l'attente qui plonge les acteurs dans un état de somnolence rêveuse, et qui modifie leur perception du réel, il reste à déterminer par quels moyens le récit lui-même rend lisibles et perceptibles les conditions dans lesquelles s'opère, en particulier chez le protagoniste, parallèlement à la montée des menaces, une progressive reconstruction des limites précédemment élaborées. Tout en mesurant les conséquences sur la composante narrative des simulacres ainsi forgés par le héros à défaut d'une action exercée sur l'événement, nous vérifierons en quoi la situation d'attente de l'invasion que décrit Un balcon en forêt offre bien une configuration de l'attente et une perspective de transgression des limites inversée par rapport aux formes actives et réactives décrites dans la section précédente.

Notes
326.

La relation qu'entretient ce récit, ainsi que les deux autres œuvres, avec le contexte historique fera l'objet d'un plus ample développement au chapitre VI.

327.

Gracq (Julien), Un balcon en forêt, Paris, José Corti, 1958, p. 23.

328.

Ibid. p. 162.