Chapitre IV. La déception, ou la relance du désir

S'il fallait justifier, a posteriori, l'aspect primordial que prend, dans notre étude, la thématique de l'attente par rapport à celle de la déception, une telle priorité, en dehors de la prééminence même du thème dans l'œuvre de Julien Gracq, pourrait tout aussi bien se fonder sur le sémantisme du terme "attente" qui l'établit, en l'occurrence, comme nécessairement antérieur. En ce qui concerne la position seconde accordée à la thématique de la déception, il n'en va pas autrement. Que ce qui déçoit fasse suite à une attente et que cela puisse n'intervenir que dans un second temps paraît, là aussi, conforme au sens courant du mot, dans la mesure où, par nature même, toute déception ou frustration présuppose, sinon un désir antérieur, à tout le moins, une attente préalable. Peut-on, pour autant, affirmer que toutes les attentes envisagées selon la logique ou la perspective du désir aboutissent, dans le corpus analysé, à une déception finale? Au-delà des diverses formes prises par l'expérience déceptive et quelles que soient la place et l'ampleur dévolues à ce nouveau thème dans l'économie générale des trois récits, dans quelle mesure se définit-il comme un état ou comme un processus actif et évolutif? Dans ce dernier cas, à quelle instance convient-il d'attribuer la frustration des protagonistes? Est-elle le résultat de leur illusion personnelle ou procède-t-elle d'un agent extérieur, et lequel? Se peut-il enfin que la déception, si elle correspond, en effet, à une opération proprement active, donne une impulsion nouvelle au récit et de quelle nature serait ce dynamisme renouvelé?

Le terme "déception", comme le mot "attente", se caractérisant par sa polysémie, il va être nécessaire d’en fixer avec précision les principales acceptions en partant des définitions fournies par l'étymologie et par les dictionnaires de langue. Les acceptions ou significations seront, là aussi, illustrées d’exemples empruntés aux trois œuvres du corpus, ou, le cas échéant, à d'autres œuvres de Julien Gracq, pour que soit vérifié si l'usage personnel, ou idiolectal, du mot coïncide avec celui de la langue. Rappelons, à ce propos, que, comme nous l'avons fait pour le terme d'attente, l’observation des occurrences qui va être réalisée dans la première section de ce nouveau chapitre ne constitue, en aucun cas, une véritable interprétation du thème dans l'oeuvre, la fonction de ces références étant strictement illustrative, et non pas explicative ou démonstrative. Le mot fera ensuite l’objet d’une analyse sémiologique plus approfondie, sans que, là non plus, cette nouvelle approche ne dépasse le niveau d’une élucidation préalable.