I. Au risque de la déception.

I. 1. Surprise étymologique.

Le mot "déception" a pour origine le substantif latin "deceptio", lui-même formé sur le supin du verbe transitif "decipere" qui signifie "prendre, surprendre, attraper" 379 . Ce verbe composé dans lequel on reconnaît aisément le radical de "capere" (prendre en main) a, en effet, pour préfixe "de" qui marque, en l’occurrence, un mouvement allant du haut vers le bas.Tout se passe comme si "decipere" désignait, au sens propre, l’action de "prendre en faisant tomber dans un piège" 380 . Au sens figuré, le verbe désigne l’action de tromper, d’abuser, ou même de décevoir. Pris dans son sens étymologique, le mot "déception" suppose donc, plus qu’une surprise: il laisse entendre un dispositif de l’ordre du piège destiné à placer quelqu'un dans une situation sans issue. On voit comment l’idée de tromperie ou d’illusion intentionnellement élaborée est déjà contenue dans le dispositif de manipulation qu’est le piège. Cette acception s’est largement conservée en Ancien français où on trouve, par exemple dans L’estoire del Saint Graal, le verbe "dechevoir" au sens de "tromper, abuser quelqu’un": "Hé! dist la dame, rois Evalach, tu iés decheüs" 381 . Et l’on ne s’étonnera pas de voir, dans la même œuvre, le substantif dérivé "decheveor" (l’imposteur, le mystificateur) désigner le diable lui-même, dans le sens où celui-ci incarne, en effet, dans l'univers religieux et mythologique du christianisme médiéval, le manipulateur décepteur par excellence:

‘"lors leva sa destre main en haut et fist sour lui le signe de la sainte croix, ke ele li fust escus et deffendemens encontre le pardurable decheveor, ch'est encontre le dyable, qui ne bee ke seulement a dechevoir cheus et cheles qui de l'amour et de la creanche Damedieu sont espris et entalenté" 382 . ’

Quelles significations le système synchronique de la langue au vingtième siècle a-t-il conservé de ces origines étymologiques plus ou moins anciennes?

Notes
379.

Gaffiot (Félix), Dictionnaire Latin-Français, Paris, Hachette, 1934, p. 474.

380.

Ernout et Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine (1ère édition: 1932), article "capio", Paris, Klincksieck, 2001, p. 96.

381.

L'estoire del Saint Graal, édité par J.P. Ponceau, Paris, Librairie Honoré Champion, tome 1, 1997, p. 202.

382.

Ibid. p. 254.