Chapitre V. Paradoxe d'un récit inachevé et déceptif

Dans les chapitres qui précèdent, nous avons observé comment les formes les plus statiques de l'attente, partagées entre désir et crainte, pouvaient déterminer certains acteurs à passer à l'acte et comment ces mêmes formes aboutissaient indirectement et paradoxalement à dynamiser l'œuvre elle-même. Nous avons également constaté que les expressions plus ou moins actives de la déception apportaient une contribution importante à la composante narrative des trois œuvres du corpus au point de relancer l'impulsion première du désir et d'exercer une certaine emprise sur les instances narratives elles-mêmes. Qu'attentes et déceptions, dans leurs configurations aussi bien thématiques qu'actorielles, concourent à donner forme et dynamisme au système évolutif de la quête, ou qu'elles mêlent leur contribution figurative et leurs structures sémio-narratives respectives aux opérations délibérément contre-évolutives et aux états de frustrations que ces actions génèrent, il apparaît que ces différentes formes tendent, dans les trois œuvres considérées globalement, à répéter ou à reproduire, à différents niveaux, des caractéristiques paradoxales tout à fait évidentes. Faut-il, dès lors, identifier, dans la syntaxe complexe que présente le paradoxe, le système fondamental sur lequel s'articulent et se structurent les composantes thématiques et narratives des trois œuvres? S'il est vrai que l'orientation de l'action dramatique représentée dans Le roi pêcheur, se trouve, pour l'essentiel, reprise dans Le Rivage des Syrtes, et confirmée dans Un balcon en forêt, avec des variations et modulations qu'impose, en partie, la nature générique propre à chaque nouveau récit, il convient de repérer comment les choix narratifs réitérés par l'auteur dans les trois œuvres du corpus aboutissent au paradoxe d'un récit manifestement conçu pour décevoir son destinataire. Le caractère tout à la fois paradoxal et déceptif des trois œuvres sera d'abord examiné dans l'inachèvement ou l'imperfectivité plus ou moins apparente de leur récit, ce qui va constituer l'objet de la première section. Il restera, dès lors, à décrire les manifestations tout aussi inattendues d'un récit proprement déceptif dans sa programmation, non plus formelle, mais factuelle, ce qui permettra de mettre un terme provisoire à l'état des lieux, et de clore ainsi l'étape compréhensive, avant que la dynamique explicative ou interprétative de la démarche herméneutique entreprise ici ne prenne le relais.