Deuxième partie. Des horizons d'écriture aux horizons d'attente : Interprétation des enjeux esthétiques et anthropologiques

Nous n'avons fait, jusqu'ici, que décrire la configuration complexe formée, dans le corpus choisi, par les thématiques de l'attente et de la déception. Cet état des lieux nous a permis de constater combien l'œuvre dramatique et narrative produite par J. Gracq dans la période de 1942 à 1958 se conformait, pour l'essentiel, à un même schéma narratif d'ensemble privilégiant, dans des formes diverses et renouvelées, la situation d'attente déçue. Dans la perspective herméneutique qui est la nôtre, il va s'agir, dans cette deuxième partie, d'accéder à une logique interprétative. On ne saurait, en effet, se suffire d'une simple observation des faits. Une structure qui apparaît à ce point redondante et cohérente et que la composante narrative du récit oriente selon une certaine direction signifiante appelle, bien au contraire, une démarche explicative énonçant les significations, sinon probables, au moins possibles. Sans qu'il soit question d'introduire une quelconque hiérarchie entre les référents avec lesquels le système interne de l'œuvre de J.Gracq va être confronté, il a paru judicieux que soient d'abord rassemblées, dans le chapitre suivant, la perspective contextuelle externe mobilisant des enjeux historiques ou collectifs et la perception plus intime servant de chambre d'écho à l'inconscient supposé du lecteur. Une fois examinés ces relations capables de fournir, sinon de véritables raisons directement explicatives, à tout le moins des éléments plausibles d'intelligibilité pour les trois œuvres analysées, il sera temps de saisir et d'analyser les mêmes structures dégagées par la partie précédente comme des choix esthétiques concertés, s'inscrivant dans une histoire et s'établissant comme une réponse à la crise contemporaine du récit, ce qui fera l'objet des chapitres sept et huit. Une telle interprétation, pour fondamentale qu'elle soit, n'épuise pas, pour autant, le sens de l'œuvre fictionnelle de J. Gracq. La démarche d'herméneutique ricœurienne annoncée dès l'introduction voudrait, pour finir, ouvrir une voie d'accès aux représentations et aux élaborations proprement culturelles sans lesquelles il semble que ne puisse s'élaborer un certain sens profond des œuvres. Cette démarche de lecture resterait, en effet, incomplète si le système interne et esthétique de cette œuvre n'était pas soumis à cette autre expérimentation interprétative et si l'hypothèse émise en première analyse sur la nature profondément culturelle de l'œuvre gracquienne n'était l'objet d'aucune vérification. Cette même étude ne serait pas davantage satisfaisante, si elle ne parvenait pas à délimiter la place qu'occupe cette œuvre entre esthétique et culture et si elle laissait sans la moindre description les relations existant entre la configuration artistique et poétique qui se dégage des trois récits analysés et les formulations narratives et interprétatives du système culturel dans lequel ils ont été élaborés…