II. La primauté du désir et du manque.

On sait que Julien Gracq a toujours tenu pour suspectes les approches s'appuyant sur la psychanalyse et certaines de leurs applications à l'œuvre littéraire 655 . Faut-il entendre que son œuvre est absolument dénuée de toute manifestation de l'inconscient, à commencer par celui du sujet producteur et est-ce à dire qu'elle est imperméable ou étrangère à celui de ses lecteurs? Au vrai, ce que conteste notre auteur, ce n'est pas l'entreprise psychocritique elle-même, mais bien plutôt une certaine démarche qu'il appelle "critique d'annexion" 656 et qui tend à réduire la portée littéraire de l'œuvre, ainsi que ses visées proprement esthétiques, en survalorisant un de ses aspects seconds ou accessoires. Loin de perdre de vue l'acte de lecture ou de réception, nous écarterons donc a priori toute position ou regard surplombant, en convoquant, comme référence théorique, plutôt J. Bellemin-Noël que Charles Mauron, en dépit de la qualité indéniable que présentent les productions critiques de ce dernier. À la suite d'une analyse s'appuyant sur la pièce de théâtre, prolongée par des observations sur les deux autres récits, la question des choix symboliques et des dispositifs narratifs formulés, comme le chapitre précédent vient de l'établir, en termes de paradoxe, sera envisagée, de façon plus générale, comme une stratégie d'écriture et de manipulation destinée à servir de leurre au lecteur pour mieux décevoir ses attentes.

Notes
655.

On peut, par exemple, se reporter à ce paragraphe de Lettrines souvent cité [in Œuvres complètes, II, Bibl. de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1995, p. 161]: "Psychanalyse littéraire – critique thématique – métaphores obsédantes, etc. Que dire à ces gens, qui, croyant posséder une clef, n'ont de cesse qu'ils aient disposé votre œuvre en forme de serrure?"

656.

Ibid. p. 229: "Ces critiques un peu inquiétants qui savent parler des œuvres des autres comme s'ils les avaient faites – de l'intérieur: ce que j'appelle la critique d'annexion…"