I. Sur le récit traditionnel.

S'il n'est pas nécessaire de remonter à Chateaubriand auquel J. Gracq a pourtant consacré de nombreuses pages de ses ouvrages critiques, en particulier Le grand paon, 759 inversement la production romanesque du dix-neuvième siècle exerce, sur l'auteur du Rivage des Syrtes, une telle fascination qu'il pourrait être vain d'analyser son œuvre narrative et de vouloir en saisir les enjeux esthétiques en excluant a priori du champ d'étude toute référence à la représentation que J. Gracq se faisait de cette littérature antérieure, ou en faisant l'impasse sur les principales métamorphoses auxquelles ces formes traditionnelles de la fiction romanesque ont pu, selon lui, aboutir dans la première moitié du dernier siècle. Il ne s'agit donc pas de rappeler directement les modalités traditionnelles du récit romanesque, telles que les pratiquaient les grands romanciers du dix-neuvième siècle et de la première moitié du vingtième. Il s'agit bien plutôt de procéder à un inventaire raisonné des jugements critiques portés par l'écrivain J. Gracq sur les œuvres de ses pairs, devanciers ou contemporains, en partant, bien évidemment, des ouvrages non narratifs de l'écrivain, concomitants ou immédiatement ultérieurs aux œuvres analysées. L'hypothèse qui justifie cet inventaire de références et de jugements critiques, c'est que pourraient y transparaître, repérés et diagnostiqués par J. Gracq, les principaux aspects de la crise du récit à laquelle son œuvre propre constituerait une réponse réfléchie et concertée. Il importe donc de distinguer, parmi les productions héritées que les modèles du siècle précédent ont pu générer chez les auteurs contemporains, d'un côté la simple reconduction ou reproduction des formules narratives traditionnelles, et de l'autre les formes authentiquement renouvelées, en précisant dans quelle mesure les premières ne font qu'approfondir la crise du récit dont les ouvrages critiques de J. Gracq se font largement l'écho, et en quoi, inversement, les autres œuvres contribuent à un renouvellement de la littérature romanesque traditionnelle et représentent, à ses propres yeux, de réelles tentatives de solutions à cette même crise.

Notes
759.

Gracq (Julien), "Le Grand Paon", Préférences (1961),in Œuvres complètes, I, Bibl. de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1989, pp. 914-926.