II. L'Apocalypse, ou la "Promesse trahie" 913 .

Quelle place le récit de l'Apocalypse occupe-t-il dans Le Rivage des Syrtes et quelles modifications l'auteur lui fait-il subir? S'il est vrai que, de nos jours, comme l'affirme T. W. Adorno, "on ne peut plus guère penser l'art autrement que comme forme de réaction qui anticipe l'apocalypse" 914 , quelle relation le mythe apocalyptique, plus ou moins transformé, et l'annonce d'un accomplissement catastrophique peuvent-ils avoir avec les promesses de l'art suggérées par ce même récit, comme nous venons de le voir? Quel rapport le mythe des fins dernières entretient-il avec le contexte de la production romanesque ou narrative, qui est le champ littéraire dans lequel l'auteur a été appelé, dans les années 40 et 50, à "prendre position", (pour reprendre les termes de Bourdieu dans Les règles de l'art 915 ),champ littérairequi, pour des raisons diverses, mais sans doute aussi pour des raisons culturelles, se trouve traversé alors par une crise du récit? Mais, avant l'analyse du sermon de Saint-Damase qui décrira et tentera de saisir les principales fonctions et significations prises, dans ce roman, par le modèle du récit d'apocalypse, il convient, au préalable, de procéder à un repérage des formes apocalyptiques dans Le Rivage des Syrtes. Cette opération se réalisera selon deux niveaux successifs: celui du roman considéré globalement d'abord, celui du chapitre huit intitulé "Noël" ensuite, où se concentrent les principales références au récit apocalyptique, qui, pour la chrétienté occidentale, ferme le corpus néotestamentaire de la Bible, c'est-à-dire du Livre…

Notes
913.

Adorno (Theodor Wiesengrund), Théorie esthétique (1970), (traduit par M. Jimenez et E. Kaufholz), Paris, Klincksieck, 1995, p. 193.

914.

Ibid. p. 127.

915.

Bourdieu (Pierre), "Position, disposition et prise de position", in Les règles de l'art Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Le Seuil, 1992, pp. 321-326.