Chapitre IX. Approche d'herméneutique anthropologique et culturelle de la fiction gracquienne

La dimension culturelle reconnue à l'œuvre littéraire impose que soit revisité le rapport entre la littérature et la culture, prise au sens anthropologique. Cette perspective d'approche de l'œuvre littéraire n'est pas éloignée, du reste, de la démarche herméneutique elle-même dont une des finalités, selon Paul Ricœur, "est de lutter contre la distance culturelle", cette lutte pouvant elle-même se comprendre "en termes purement temporels comme une lutte contre l'éloignement séculaire, ou en termes plus véritablement herméneutiques, comme une lutte contre l'éloignement à l'égard du sens lui-même, c'est-à-dire à l'égard du système de valeurs sur lequel le texte s'établit" 1022 . Qu'elle soit herméneutique ou anthropologique, une telle démarche, ayant pour objet la confrontation entre l'œuvre littéraire et la référence culturelle qui lui correspond, se justifie pleinement dans la mesure où toute compréhension de soi ou de l'autre "passe par le détour de la compréhension des signes de culture dans lesquels le soi [ou l'autre] se documente et se forme". 1023 S'agissant de l'œuvre de J.Gracq, la question que nous allons nous poser est la suivante: en quoi cette œuvre littéraire est-elle redevable au système culturel dans lequel l'auteur s'est informé et grâce auquel il s'est formé? Dans quelle mesure le système interne de l'œuvre reproduit-il, dans ses structures de forme et de sens, des représentations culturelles relevant de ce système culturel, et par le fait même, reconnaissables? Les choix de programmation thématique et narrative opérés par l'auteur, conçus pour répondre à une crise du récit, ce qu'ont pu établir les deux chapitres précédents, trouvent-ils une nouvelle explication et une nouvelle compréhension dans cette référence culturelle? Après une nouvelle approche des œuvres du corpus où seront repérées les formes paradoxales d'un mythe, nous procèderons, en première approximation et à titre d'hypothèse, à l'élaboration d'une interprétation anthropologique et culturelle de l'œuvre. Dans un second temps, nous confronterons pour vérification cette première esquisse d'interprétation à l'ensemble de l'œuvre fictionnelle de J. Gracq. Celle-ci, d'évidence marquée par un processus d'estompement progressif du religieux et de sécularisation, pourra, dès lors, être perçue comme l'expression d'une crise culturelle plus générale, dont la crise du récit ne serait qu'une manifestation parmi d'autres...

Notes
1022.

Ricœur (Paul), Du texte à l'action Essais d'herméneutique 2, Paris, Le Seuil, 1986,p. 153.

1023.

Ibid. p. 152.