II. De "la mort couchée" 1083 aux traces de la croix.

Il suffit d'élargir le corpus à l'ensemble des productions narratives et fictionnelles de J. Gracq, dans des limites chronologiques elles-mêmes plus étendues 1084 , pour que certaines formes d'évolution deviennent alors beaucoup plus lisibles et perceptibles, transformations qui pourraient n'être pas sans portée sur les conditions de signification et d'interprétation de cette œuvre. D'Au château d'Argol à Un balcon en forêt on peut constater, en effet, un estompement progressif du religieux chrétien, dans la manière de traiter les thèmes empruntés au Christianisme, comme la mort et la résurrection, et dans la façon dont se trouve figuré, à travers ces œuvres, l'emblème de la croix. Quelles explications peut-on fournir d'une formulation de plus en plus discrète et voilée du référent chrétien dans les récits, ou dans les fictions de J. Gracq? Cette évolution est-elle la conséquence d'une transformation sociologique liée, dans ces années, à une diminution graduelle du religieux lui-même et à l'affaiblissement de son emprise dans le champ social? S'agit-il d'un simple assentiment personnel de l'auteur à la modernité sécularisée, ou, plus fondamentalement, cette évolution, textuellement lisible dans l'œuvre, est-elle un choix délibéré de nature proprement esthétique? Dans cette dernière hypothèse, faut-il donc voir, dans cet estompement graduel du religieux chrétien dans l'œuvre de J. Gracq, une reconversion de plus en plus affirmée, sous des formes exclusivement littéraires, d'anciennes expressions ou "forces mobilisées traditionnellement en faveur de la religion", comme le suggère J. L. Leutrat 1085 ?

Notes
1083.

Gracq (Julien), Au château d'Argol, in Œuvres complètes I, Bibl. de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1989, p. 26.

1084.

Nous choisissons, pour l'étude qui suit, de limiter le corpus aux cinq ouvrages fictionnels principaux de J. Gracq, soit Au Château d'Argol, Un beau ténébreux et les trois œuvres du corpus. À partir de ce choix, si l'on prend comme repère les dates de parution, la période considérée irait alors de 1938 (où se trouve publié Au château d'Argol) à 1958 (où paraît Un balcon en forêt).

1085.

Leutrat (Jean-Louis), Julien Gracq, Paris, Le Seuil, p. 263.