Une culture géographique missionnaire

Née en 1622, la congrégation pontificale Propaganda Fide est chargée de coordonner l’évangélisation des peuples5. Sa compétence s’accroît à mesure que de nouvelles terres sont découvertes et font l’objet d’une mission. C’est à elle que revient la lourde tâche de mesurer l’étendue de la chrétienté sur terre. Elle rédige des mémoires statistiques et géographiques sur toutes les régions du monde : l’Etat présent de l’Eglise romaine dans toutes les parties du monde6, présenté par le secrétaire Mgr Urbano Cerri, pour le pape Innocent XI constitue la première statistique générale du catholicisme. Dès lors, la Propagande n’aura de cesse d’accumuler les informations géographiques et chiffrées sur toutes les régions du monde, que les missionnaires sont priés de lui faire parvenir. Ce souhait devient un ordre, décrété une première fois en 15657, puis en 1659. Au XVIIè, répondant à l’impératif et conformément au vœu de leur fondateur8, les Jésuites établis en Inde et au Canada adressent des lettres qui sont aussitôt publiées : une Histoire des Indes, paraît en 1604 ; suivent les Relations de la Nouvelle France, en 41 volumes, de 1632 à 1673. Mais un arrêt de la Propagande en 1673 limite ce genre de publications. Il reprend trente ans plus tard avec les Lettres édifiantes et curieuses9 : elles rapportent des images exotiques qui alimentent une véritable curiosité pour les mondes lointains : de longues descriptions des régions traversées, des populations rencontrées, leurs mœurs et tout ce qui les distingue du vieux continent insistent sur leur étrangeté et leur altérité. Le missionnaire devient en quelque sorte l’intermédiaire obligé entre un public européen et des mondes étranges où doivent progresser l’Evangile et la civilisation. Parfois, ces lettres n’évitent pas la délicate question de la colonisation. Certaines, envoyées d’Amérique centrale, dénoncent les abus d’une société européenne esclavagiste qui pille les richesses indigènes et remettent en cause le droit à l’expansion des puissances européennes. Quelques unes sont rééditées au XIXè pour encourager la mission10.

Notes
5.

Sur la congrégation : Sacrae Congregationis de P ropaganda F ide M emoria rerum, 1622-1972, 350 ans au service de la mission, J. Metzler (éd.),3 vol. et 5 tomes, Herder, Rom-Freiburg-Wien, 1971-1976. Sur les origines : vol.I (1622-1700).

6.

 CERRI, Urbano, État présent de l'église romaine dans toutes les parties du monde, écrit pour l'usage du pape Innocent XI, avec une épître dédicatoire du chevalier Richard Steele au pape Clément XI. Traduit de l'anglais, Amsterdam, P. Humbert, 1716.

7.

Les Supérieurs provinciaux doivent envoyer un rapport annuel à Rome.

8.

Ignace de Loyola envisageait qu’une correspondance soit entretenue entre les différents membres de la Société ; Constitutions, Chapitre VIII-3,3, rapporté par COMBY Jean, Deux mille ans d’évangélisation, Paris, Bibliothèque d’histoire du christianisme, Desclée, 1992, 327 p.

9.

Lettres édifiantes et curieuses écrites des missions étrangères par quelques missionnaires de la C ie de Jésus .. , Paris, 1703 ; Lettres édifiantes écrites par quelques missionnaires de la compagnie de Jésus. De l'Amérique septentrionale, Bruxelles, G. Pauwels, 1771 ; Lettres édifiantes et curieuses des Jésuites de l'Inde au dix-huitième siècle, Société française d'étude du XVIIIe siècle.

10.

Lettres édifiantes et curieuses concernant l'Asie, l'Afrique et l'Amérique : avec quelques relations nouvelles des missions et des notes géographiques et historiques, M. L. Aimé-Martin (dir.),  Paris : A. Desrez et Société du "Panthéon littéraire", 1838-1843 ;  Lettres édifiantes et curieuses sur le Levant,Paris, Poussielgue, 1845.