Un moment cartographique

La cartographie connaît au XIXè des changements décisifs, suite à la nouvelle place qu’occupe la géographie11. Relevant le défi allemand, la toute jeune école de géographie française s’affirme et se distingue de l’histoire grâce au mouvement colonial et à l’enseignement dans l’école républicaine qui stimulent son essor12. Comme son aînée germanique, l’école française insiste sur le recours à la carte qui rend un peu plus légitime le statut du géographe, seul habilité à la lire et l’exploiter. Mais la définition de la géographie et des sciences annexes produit une rupture entre celui qui lit la carte et celui qui la dresse, désigné par le mot « cartographe » à partir de 187713. Jusque-là transmise par les clercs14, la science cartographique se laïcise et devient un objet d’enseignement pour l’école républicaine, dans la foulée des programmes de géographie. Atlas, manuels scolaires et cartes murales sont produits par quelques maisons d’édition qui se spécialisent dans le matériel pédagogique. Se développe alors une cartographie de vulgarisation qui bénéficie d’une reproduction plus facile et moins coûteuse. Elle répond aux attentes des programmes de géographie, ainsi qu’à la curiosité du public pour les voyages et les terres lointaines, en insistant sur l’espace national et ses extensions15. Les cartes ne sont plus réservées à une élite qui les consultait dans des atlas, comme au siècle précédent. Elles illustrent les périodiques scientifiques des sociétés de géographie autant que les revues des voyages destinées au grand public. Cette démocratisation ne concerne toutefois pas les cartes produites par le service des ingénieurs-géographes. Ce corps né au siècle précédent établit patiemment un relevé topographique du territoire français au 1/80.000è16. Avec la précision, la représentation du relief constitue l’objectif principal de tous les progrès cartographiques. Parallèlement, la géodésie est révisée et rattachée à la triangulation européenne à partir de 1891, complétée par le système métrique ainsi qu’une longitude commune qui abandonne le méridien de Paris pour celui de Greenwich17. « A la fin du XIXè, toutes les conditions étaient réunies pour une refonte globale de la cartographie française »18. L’autonomisation de la discipline, la vulgarisation du contenu et la normalisation de la présentation forment les processus qui affectent la cartographie dans la seconde moitié du siècle.

Parmi les documents produits par les missionnaires, les cartes résument l’intérêt de l’Eglise pour la géographie et reflètent le processus d’évangélisation. Mais elles s’inscrivent aussi dans un contexte qui plébiscite la colonisation, en rejoignant la masse croissante des images publiées sur les territoires lointains.

Notes
11.

Voir les travaux de Paul Claval, dont Histoire de la Géographie française de 1870 à nos jours, Nathan.

12.

BERDOULAY Vincent, La formation de l’école française de géographie, Paris, CTHS, 1995.

13.

De DAINVILLE François, Le langage des géographes, Paris, Picard, 1964. Traditionnellement, celui qui dresse la carte est le cosmographe. Le mot géographe lui est associé à partir de 1557.

14.

Cf. De DAINVILLE François, La géographie des humanistes, Paris, Beauchesne, 1940, 562 p.

15.

Tous les pays d’Europe offrent ce type de cartographie. BLACK Jeremy, Maps and history ; constructing images of the past, New Haven, Yale University Press, 1997, “Chapter 4 : Environmentalism and Nationalism”, pp.81-101.

16.

Paris est couvert en 1833, les Alpes en 1860, la Corse en 1880.

17.

Le système métrique est reconnu en 1875 par l’Acte final de la conférence générale des poids et mesures. La conférence internationale sur le méridien, réuni à Washington en 1884 reconnaît le méridien de Greenwich comme méridien référence.

18.

ALINHAC G., Histoire de la cartographie, Paris, IGN, 1986, p.163.