Le choix de l’Afrique s’impose pour plusieurs raisons. C’est au XIXe le dernier continent inexploré, l’aventure des pôles relevant plutôt d’une expédition scientifique mobilisant beaucoup moins les intérêts européens. L’Afrique est aussi le continent où « l’homme ingénieux a dompté la nature ». Le percement du Canal de Suez, inauguré en 1869, ne permet-il pas tous les espoirs ? De nombreux publicistes parlent de chemins de fer transsahariens, de canaux dans le désert pour mettre en valeur des terres qu’on dit riches et vierges. L’Afrique devient ainsi le premier sujet de discussion dans les sociétés de géographie qui lui consacrent leurs récits les plus exotiques et les plus enthousiastes. Leurs cartes imposent le continent comme premier espace colonial, notamment en France, où s’affirme de plus en plus une orientation africaniste de l’empire.
Sur le plan missionnaire, l’Afrique est intimement liée au renouveau du XIXè s. Jusque là cantonnée à l’Asie et l’Amérique, la mission n’était pas destinée aux populations noires considérées comme primitives et incapables de recevoir le message chrétien. Rome limitait son aide aux sociétés qui promettaient une conversion. Pourtant, c’est aux populations africaines et antillaises que les nouveaux instituts proposent de venir en aide, en luttant contre l’esclavage et en évangélisant, pour extirper le paganisme et l’idolâtrie Des sociétés protestantes, particulièrement actives, sont organisées depuis la fin du XVIIIè dans cet objectif. De plus, la nature jugée ingrate de l’Afrique, particulièrement difficiles pour un Européen, confère à l’apostolat un caractère de pénitence, quasi mystique, qui fonde un martyrologe propre au continent. Le taux de mortalité très élevé des premiers missionnaires atteste de cet obstacle à la mission en même temps qu’il la grandit. Vers 1870, les missionnaires sont déjà en Afrique, mais sur ses pourtours : les missions se créent, sans véritable limite à l’intérieur des terres. Les délimitations ecclésiastiques doivent être précisées sans toutefois provoquer de mécontentements. La Propagande doit orchestrer ce nouvel élan missionnaire. Durant les années 1930, plusieurs missions commencent leur transformation en diocèse, c’est-à-dire en une circonscription ordinaire qui clôt la phase d’évangélisation. Notre période correspond donc approximativement à la mise en place, l’essor et l’apogée du mouvement missionnaire en Afrique.
L’Afrique est un espace où le mouvement d’évangélisation a précédé celui de la colonisation, les missionnaires côtoyant les explorateurs et les commerçants, avant les militaires puis les administrateurs. Pourtant, l’histoire de la mission a longtemps tenu à associer les soldats du Christ aux soldats de la nation, afin d’attirer sur eux une sympathie patriotique. Ainsi, en 1958, on pouvait lire dans l’Histoire universelle des missions catholiques : « l’évangélisation de l’Afrique a marché de pair avec la colonisation. La pénétration du continent africain a favorisé l’installation et le développement des missions. A l’inverse, le travail du missionnaire a contribué au prestige de leur patrie d’origine »20. Puis, la décolonisation a mis à l’épreuve cette association. Aujourd’hui, les positions sont partagées Selon Catherine Coquery-Vidrovitch, les missionnaires interviennent après les explorateurs, mais avant l’expansion politique21. Joseph Ki-Zerbo ne les distingue pas des deux autres « M » que sont les marchands et les militaires22. En réalité, les situations sont nombreuses et alimentent toutes les thèses. Si sur place la collaboration entre tous les Européens est manifeste, elle n’est pas systématique, ce qui rend toute généralisation forcément réductrice. A priori, les rapports entre ces acteurs de l’expansion paraissent subtils. Dans les colonies française par exemple ils ne semblent pas avoir été remis en cause par la politique laïcisante de la IIIè République. Ainsi, le choix de l’Afrique noire se justifie aussi par les situations extrêmement diverses qui mettent en scène le missionnaire, le colonisateur et la population.
BOUCHAUD J., Les missions contemporaines (1800-1957), Paris, Grund, 1958, 447 p., in DELACROIX (dir.), Histoire universelle des missions catholiques en 4 tomes.
COQUERY-VIDROVICTH Catherine, L’Afrique noire de 1800 à nos jours, PUF, Nelle Clio, 2è éd., 1984, Chapitre V. L’auteur cite surtout les protestants en Afrique orientale : Krapf, Niew, Livingstone.
KI-ZERBO Joseph, Histoire de l’Afrique noire, Hatier, 1978, Chapitre IX.