PARTIE I : LES CARTES AU SERVICE DE LA MOBILISATION POUR LES MISSIONS

Chapitre I : Les raisons de la carte dans Les Missions catholiques

Illustrer les lettres missionnaires

Il n’existe pas d’archives à propos des premières cartes publiées dans la revue des Missions catholiques. Seules quelques précisions rappellent l’enjeu de l’illustration au moment des premières images. C’est pourquoi il est nécessaire de repérer de quels précédents cartographiques la revue a pu s’inspirer.

A la fin du XIXè, la publication phare de l’Œuvre reste les Annales de la propagation de la foi, éditée depuis 1822. Elle propose des lettres édifiantes venant des missionnaires répartis dans le monde entier. Elle a fait la fortune et la renommée de l’organisation lyonnaise. Mais ses illustrations sont rares, notamment en ce qui concerne les cartes. Une première série paraît entre 1836 et 1840, et s’inspire de l’initiative jésuite33.(cf : Carte des Missions des PP de la compagnie de Jésus dans le Maduré ) Ainsi, pour accompagner un premier document sur les Missions du Levant, publié dans le n° 46 de mai 1836, l’avertissement au lecteur rappelle :

« A ne considérer les Annales que comme un simple recueil de voyages, il devenait indispensable d’y joindre des cartes géographiques des lieux dont il est question dans les lettres des Missionnaires. Il est si naturel d’aimer à examiner en détail les pays visités par ceux dont les narrations intéressent ; par là les faits racontés paraissent devenir plus présents, et il semble qu’on comprenne mieux le récit d’un voyageur lorsqu’on peut suivre en quelque sorte la trace même de ses pas.

Mais, s’il en est ainsi pour des relations qui ne regardent que la science, que sera-ce lorsqu’il s’agira de celles où sont mêlés encore les intérêts de la gloire de Dieu ? avec quel empressement alors l’œil fixé sur une carte, le chrétien ne suivrait-il pas dans leurs courses ces conquérants pacifique qui s’en vont jusqu’aux confins du monde arborer l’étendard de la croix ! Comme il aimera à se rendre compte à lui-même des lieux, des distances et des obstacles ! et avec quelle pieuse émotion il précisera surtout les endroits où se passent de nos jours, comme aux premiers siècles de l’Eglise, tant de scènes admirables de zèle et de dévouement ! Voilà ce que nous avons cru devoir rendre facile à tous les lecteurs des Annales34 ».

La carte sert donc à satisfaire la curiosité scientifique des lecteurs. Elle aide aussi à mieux se représenter la situation vécue par le missionnaire. Elle implique véritablement le lecteur dans la mission. En un mot, elle devient indispensable à la narration. Dans le n° 51 de mars 1837, avec une carte sur l’Amérique du nord, la revue se propose de continuer..

« ..les publications des cartes géographiques des pays où se trouvent les missions secourues par l’œuvre de la propagation de la foi (..) Malgré l’étroite limite du cadre auquel nous nous sommes astreints, nous y avons fait entrer à peu près tous les endroits où il y a des catholiques et des chapelles et tous ceux qui pour un motif quelconque ont marqué dans l’histoire des missions. Le travail a été relu avec soin (..) nous avons lieu de le croire aussi exact que possible »35.

La revue annonce ici une règle que les publications de l’Œuvre respecteront : publier des cartes originales à partir de sources missionnaires, afin de couvrir toutes les missions, dans un souci tout scientifique d’exactitude géographique. Mais les documents restent anecdotiques : de petite taille, à petite échelle, elles couvrent de vastes régions sur lesquelles sont mentionnés ponctuellement les noms des missions et, surtout, s’arrêtent en 1840. Si l’illustration en général dans les Annales devient plus fréquente après 1881, elle ne peut égaler celle des Missions catholiques, la nouvelle publication lancée à Lyon en 1868.

Avec les Missions catholiques, l’Œuvre de la Propagation de la Foi fait le choix de l’illustration. Quatre ans à peine après sa création, et correspondant au 50è anniversaire de l’Œuvre, la revue amorce une importante transformation, sous l’impulsion de son directeur l’abbé Laverrière : le Conseil de Lyon chargé des publications la transforme en périodique illustré, sur le modèle déjà existant du Monde illustré (1857), du Tour du monde (1860), ou encore du Journal illustré (1864)36. Les lettres édifiantes ne suffisent plus et la correspondance adressée par les missionnaires nécessitent des images. Ainsi, le Conseil espère que « les illustrations attirent sur ce journal l’attention d’un plus grand nombre de personnes »37. Avec un format plus grand que celui des Annales de la propagation de la foi, les Missions catholiques renseignent aussi plus fréquemment, une fois par semaine, les lecteurs intéressés par la mission. Une vaste campagne de publicité est aussi prévue pour mieux placer la revue dans les vitrines des librairies, ou la distribuer auprès des pensionnats, les gares et autres lieux de passage.

Les travaux de Richard Drevet sur l’Œuvre de la Propagation de la Foi insistent sur cette naissance. Elle survient à un moment où les Annales sont concurrencées et il devient nécessaire de trouver une « solution habile de régénération de la production éditoriale ». La nouvelle revue marque l’adaptation aux nouvelles communications de masse, mais aussi permet de toucher un public plus important. Grâce à elle, il n’est plus nécessaire d’adhérer à l’Association de l’Œuvre de la Propagation de la Foi pour être tenu informé des missions38. Bien que la formule déclenche des réactions des abonnés des Annales, et malgré un déficit apparemment chronique, la nouvelle revue bénéficiera toujours d’un réel investissement de la part de l’Œuvre39. En retour, cette publication lui vaudra près de six brefs pontificaux entre 1876 et 1903, récompensant ainsi le travail de l’abbé Laverrière et de son successeur, l’abbé Morel, unique directeur des publications de l’Œuvre de 1879 à 192240.

La cartographie missionnaire va profiter de cet intérêt pour l’illustration. Ainsi, parmi les toutes premières images du mois de mai 1872 et auprès des croquis figure la première carte publiée, celle de Kouy-Tchéou en Chine41. Le choix des cartes ne semble pas rencontrer de difficultés, comme le prouve la consultation des procès-verbaux à des dates importantes pour nos documents : à aucun moment les cartes n’ont fait l’objet d’un traitement particulier ou n’ont suscité de réactions au sein du conseil de Lyon42. Leur intérêt était donc parfaitement entendu par les responsables de la publication et elles méritaient de figurer auprès des lettres missionnaires, au même titre que les croquis qui agrémentaient la lecture. Ensemble, ces illustrations, devenues nécessaires, vont pleinement contribuer au succès de la revue. Ainsi, comme l’affirme cette publicité de 1886 :

« Les Missions catholiques paraissent tous les vendredis. Chaque numéro se compose de deux parties : la première fait connaître les travaux quotidiens des missionnaires, la seconde comprend des relations de voyage, des études géographiques, ethnographiques, bibliographiques, etc. Le journal publie aussi des cartes et des dessins entièrement inédits, envoyés par les missionnaires ».

Notes
33.

Voir par exemple la «  Carte des Missions des PP de la compagnie de Jésus dans le Maduré   », 1819, in Lettres édifiantes et curieuses écrites des missions étrangères, t.VII, Lyon, 1819.

34.

Annales de la propagation de la foi, « Carte des Missions du Levant », n°46, mai 1836, p. 409, 24 x 19 cm. 

35.

Avertissement qui accompagne la deuxième carte, Annales de la propagation de la foi, n°51, mars 1837, p.337. Suivent : « la Chine », n°55, novembre 1837, p.80, 24 x 19 cm ; « l’Inde », n°67, novembre 1839, p. 576, 16 x 19 cm ; « le Tonkin, l’Annam et la Birmanie », n°69, mars 1840, p. 112, 16 x 19 cm.

36.

BURLATS Jean-Luc, Mémoire de maîtrise, Université Lyon III, 2001-2002. L’auteur parle de « mutation fondamentale ».

37.

Procès verbal du 3 mai 1872. La réunion hebdomadaire regroupait majoritairement des Laïcs : le président Des Garrets et 4 à 6 personnes attachés à l’œuvre ainsi que des envoyés spéciaux du Conseil de Paris. Après une prière d’usage, la correspondance adressée à l’œuvre était lue avant de traiter les affaires courantes et notamment la ligne que devait respecter la revue. 

38.

DREVET Richard, Laïques de France et missions catholiques au XIX° ; l Œ uvre de la P ropagation de la F oi, origines et développement lyonnais (1822 –1922), Thèse Université Lyon II, février 2002, 625 p., pp.379-383.

39.

Ibid., p.389.

40.

Ibid., p.410.

41.

Carte de « Kouy-Tchéou », Chine, MC n°154, 17 mai 1872. Les premières cartes sont rajoutées à la revue comme des documents hors-texte. Il faut attendre 1877 pour les voir intégrer la pagination habituelle. Dès lors, elles sont traitées comme des dessins dans la mise en page.

42.

Les Procès-Verbaux du Conseil de Lyon de mai 1872, de novembre-décembre 1873 et de septembre-octobre 1874, dont les dates correspondent respectivement à la première carte publiée, la première carte sur l’Afrique et la première gravée par Wuhrer ne mentionnent jamais ces documents. La carte est devenue un document habituel.