Dresser un atlas des missions

La chronique qui accompagne la première carte dans le numéro du 17 mai 1872 précise les objectifs de la revue :

« Nous donnons, avec ce numéro, une première carte inédite, celle de Kouy-Tchéou (Chine). Notre dessein, en commençant cette publication, est de préparer les matériaux d’un atlas des missions catholiques. L’entreprise est vaste, elle est difficile ; il y aura des lenteurs dans le détail de l’exécution., il y aura des lacunes dans l’ensemble du travail. Ce n’est pas une raison pour ne pas la tenter. Les missions protestantes ont leur atlas ; les missions catholiques doivent avoir le leur. Il faut que les chrétiens, ayant quelque souci des conquêtes de l’Eglise, puissent suivre, sur la carte du monde, la marche partout entravée, sans cesse combattue, finalement victorieuse, de l’armée apostolique chargée d’affermir et d’étendre le règne de Jésus-Christ jusqu’à la consommation des siècles. La géographie est l’indispensable auxiliaire de l’histoire. Cet auxiliaire ne doit pas faire défaut à l’histoire des conquêtes de la vérité et de la foi sur l’erreur et sur l’infidélité43 ».

Pour rassurer le lecteur, les caractères d’originalité et d’exactitude ne seront pas oubliés.

« Les cartes que nous nous proposons de publier, dressées par les missionnaires ou sur des données fournies par eux, offriront des garanties d’exactitude, qu’il sera d’ailleurs à peu près toujours possible de rendre plus sûres. Un de nos correspondants, excellent juge en ces matières, nous indiquait, il y a quelques mois, la marche à suivre pour atteindre le but désiré44 ».

La revue explique plus loin la manière de constituer un atlas en quelques années, comme conseillait de le faire un de ses correspondants :

« Il faudrait, je crois, adopter une échelle unique, faire lithographier des cartes muettes où seraient désignés seulement les contours du territoire, les cours d’eau, les principaux points de repère. Des exemplaires de chacune de ces cartes ou fragments de carte seraient envoyés à NN. SS. les vicaires apostoliques avec prière de noter ou faire noter les points occupés par les missionnaires, les délimitations précises des vicariats, des districts, des chrétientés, etc. En deux ou trois ans, vous réuniriez des documents dont personne ne pourrait contester l’exactitude. Un texte pourrait être rédigé d’après les comptes rendus que vous recevez des missions, et vous y consigneriez le nombre des missionnaires, des chrétiens, des établissements, etc. Ainsi, en publiant dans le Bulletin des cartes isolées, vous arriveriez peu à peu à composer un atlas unique et à faire un œuvre vraiment importante45 ».

L’idée de mettre à profit les relations que l’Œuvre reçoit des missions séduit. La revue informe ses lecteurs que les cartes qu’elle détient déjà mais qui semblent dater seront adressées aux chefs des missions pour y porter des corrections. Dorénavant, chaque carte publiée dans la revue peut donc être considérée comme une planche supplémentaire de l’Atlas en formation. Mais le lecteur devra attendre treize ans pour voir s’accomplir le projet. En décembre 1884, la revue l’informe de l’imminence de sa parution. Puis il est reporté à l’été et enfin à l’automne suivant46. Pour faire patienter les souscripteurs de la revue qui ont permis son financement, on promet un ouvrage dense, grossi, enrichi. En réalité, l’Atlas des Missions catholiques qui paraît finalement à Lyon en 1886, édité par l’Œuvre de la Propagation de la Foi, n’est que la traduction française du Katholischer Missions Atlas de O. Werner47, paru à Fribourg deux ans auparavant. Si l’auteur n’est pas évincé, la revue tient à préciser les nécessaires ajouts pour l’édition française effectués par Valérien Groffier. Employé aux publications de l’Œuvre, il est l’auteur d’un Planisphère des croyances religieuses et des missions chrétiennes48 qui avait su attirer sur l’association une louange du pontife. Quant au prélat allemand, s’il a peut-être utilisé la soixantaine de cartes publiées par les Missions catholiques entre-temps, il a surtout bénéficié des archives de la Propagande, à Rome, dont il remercie d’ailleurs son préfet le Cardinal Simeoni, pour lui avoir « ouvert les trésors des archives de son palais ». Comme son travail correspond aux principes que s’est fixée la revue, son atlas devient celui des Missions catholiques.

« C’est la première fois qu’on offre au public, en forme d’atlas, le tableau détaillé du domaine de l’apostolat catholique. Nous pouvons dire la première fois car on ne saurait prendre au sérieux l’ouvrage publié à Paris en 1874 sous le même titre que le nôtre49 ». 

Et la revue de dénoncer les « erreurs » et « précipitations » de l’atlas de l’abbé Durand. Au contraire, le nouvel atlas « réunit toutes les qualités ». Surtout..

« en indiquant la situation géographique de ces centaines de missions dont le nom leur est familier, mais la position précise plus ou moins vaguement connue, il augmentera l’intérêt que leur inspirent les lettres des vaillants hérauts de l’Evangile. Grâce à lui, nos souscripteurs pourront suivre la marche de la petite armée apostolique chargée d’affermir et d’étendre le règne de Jésus Christ jusqu’à la consommation des siècles50».

Pour apporter une caution à cette édition française, les Missions catholiques obtiendront du Pontife une récompense. La démarche est surtout commerciale et vise à encourager les ventes, car la participation de Groffier reste réduite et l’ouvrage n’est finalement que la version française de l’atlas de Werner, que la Propagande a déjà eu le loisir de féliciter.

Notes
43.

MC, Chronique, n°154, 17 mai 1872, p.347-348.

La revue fait référence au récent atlas du Dr R. Grundemann, Allgemeiner Missions-Atlas, Gotha, Justhus Perthes, 1867-1871, composé de 72 cartes. Il n’existe en effet aucun atlas des missions catholiques avant celui de l’abbé Durand, Les missions catholiques françaises ; atlas, Paris, Delagrave, 11 planches, 1874. Mais seulesles missions françaises sont abordées.

44.

Ibid., p.349.

45.

Ibid., p.350.

46.

MC, Brèves n°154 du 17 Mai 1872, pp.347-348 ; n°844 du 7 août 1885, p.384 ; n°861 du 4 novembre 1885, p.586.

47.

WERNER O., Katholischer Missions-Atlas, Freiburg im Brisgau, Herder, 1884, 19 Tafeln.

48.

GROFFIER Valérien, Planisphère des croyances religieuses et des missions chrétiennes, 1882, 127 x 97 cm, Wuhrer, Monrocq. Réédité en 1890. Le document reçoit le 14 décembre 1888 un remerciement du pape Léon XIII qui l’associe aux efforts de la Propagation de la foi. MC n°3097, 1929, p.536, « Nécrologie de Valérien Groffier ».

49.

MC, n°861 du 4 novembre 1885, p.586.

50.

Ibid., p.588