Cartographier les missions

Toutefois, la revue veut offrir à ses lecteurs ses propres cartes, toujours destinées à « suivre la marche et le progrès de la civilisation ». C’est le sens que prennent les grandes cartes réservées aux abonnés, chaque année, à partir de1880. Par souscription, la revue fait dresser chez un graveur célèbre, Erhard, Wuhrer ou bien Hausermann le plus souvent, en couleurs, une carte par an qu’elle destine en cadeau à ses premiers abonnés. C’est la « carte-prime ». Elle sert d’argument pour abonner davantage de lecteurs ou bien fidéliser les habitués. Le système de souscription oblige la revue à annoncer à l’avance le sujet de la carte⁵¹. De grande taille, elle offre de nombreuses localisations sur les terres de mission. Son contenu intéresse précisément la mission, mais sans toutefois écarter les indications habituelles. Ainsi, en 1889,

« ..la carte de l’Indochine française, d’1 mètre de longueur sur 50 centimètres de largeur. Elle contient plus de mille noms. Au point de vue religieux, elle indique toutes les résidences de missionnaires et même la plupart des petites chrétientés. Au point de vue civil, elle donne les capitales de provinces et les chefs-lieux d’arrondissement. Tout ce qui concerne la mission est imprimé à l’encre rouge ; ce qui est purement politique est au noir ; l’hydrographie, en bleu ; l’orographie en bistre. Cette carte sera envoyée à nos abonnés dans le courant de février ⁵²».

La quarantaine de cartes, offertes de 1880 à 1915, compose un corpus inégalé sur les missions catholiques.

Cette liste traduit le manque de régularité dans le sujet représenté⁵³.voir : Sénégambie

La distribution des grandes cartes par continent montre une nette spécialisation pour les continents qui accueillent des missions. L’Afrique, avec près de la moitié des 41 cartes, constitue une fois de plus le premier espace cartographié.

La répartition scalaire des grandes cartes atteste d’une préférence pour le niveau de l’Etat. Ces cartes témoignent exactement des perceptions qu’ont alors les Européens des terres non-européennes : certaines sont considérées comme homogènes car elles composent un ensemble vaste mais régi par une même souveraineté. C’est le cas des Etats-Unis, de la Chine ou encore de l’Inde. Madagascar, parce que c’est une île et que son espace est donc facilement circonscrit, correspond aussi à ce premier type. D’autres n’offrent pas la même lecture. L’Afrique, par exemple, encore la proie du scramble, fait l’objet de couvertures spatiales très différentes, de l’espace local au continent entier.

Ce souci d’offrir à ses lecteurs une cartographie originale se retrouve dans l’épisode de la carte-prime de l’Afrique. La revue leur adresse en 1890 une première carte consacrée au continent noir, au 1/20.000.000è ; mais extraite de l’ouvrage d’un explorateur, le baron Bethune, qui est par ailleurs le président d’une section belge de l’Association anti-esclavagiste, elle ne satisfaisait personne⁵⁴. C’est seulement deux ans plus tard, en 1892, qu’une véritable carte de l’Afrique ecclésiastique, rebaptisée « Notre carte d’Afrique » est publiée. L’auteur n’est autre que le RP Melliorat, Spiritain, directeur des publications de l’Œuvre et promoteur de l’Almanach des missions, et le graveur Rémy Hausermann. Le document recevra de nombreuses félicitations⁵⁵.(cf : Notre carte d’Afrique )Très fière du résultat, la revue conseille à ses abonnés de la recouvrir de toile, pour la transformer en carte murale, car exposée, elle pourra « répandre et vulgariser cet excellent travail ». La carte devient objet d’exposition. Mais ces cartes qui cumulent les nombreux avantages de clarté, de densité d’information et d’autorité ne sont pas les seuls travaux de la revue.