Publier tous les travaux missionnaires

Les Missions catholiques publient des documents que lui adressent les missionnaires. Elle reste dépendante des arrivages dont la qualité est inégale, tant d’un point de vue scientifique qu’esthétique. Le premier argument des cartes qui sont d’ailleurs le plus souvent de simples croquis est leur caractère inédit, pour lequel la revue insiste selon un argumentaire simple : nulle part ailleurs que dans les Missions catholiques le lecteur pourra retrouver ces informations ; or, les informations missionnaires sont différentes de celles collectées par un géographe, un explorateur ou un militaire, car le missionnaire reste le seul de ces Européens à vivre en permanence dans ces endroits reculés du monde, le plus souvent isolé. Leurs relations sont donc les premières images d’un monde encore vierge, inconnu des Européens. Ils sont en quelque sorte les médiums entre la population européenne et la mission, qui présente tous les signes de l’exotisme et de l’altérité.

Les espaces non-couverts par la cartographie européenne sont convoités par les revues qui participent toutes à la réduction des blancs de la carte du monde. Quelques périodiques spécialisés, comme la revue allemande des Petermann’s Mitteilungen, l’Année cartographique, ou encore les Annales de géographie attirent l’attention des curieux par d’abondantes bibliographies qui assurent une veille de l’édition cartographique en Europe. Le désir d’augmenter les connaissances géographiques ne connaît pas de frontières et chaque pays contribue à améliorer chaque jour la connaissance du monde. La revue des Missions catholiques participe à l’élan général, tout en conservant jalousement la propriété sur ses informations, comme le montre l’attitude qu’elle adopte auprès de la Société de géographie de Lyon à laquelle elle participe par ailleurs activement.

La concurrence provient de revues de géographie, coloniale ou d’exploration, mais aussi de périodiques sur les missions. L’enjeu pour l’Œuvre de la Propagation de la Foi est de détenir le contrôle entier de l’information missionnaire. La revue n’hésite pas à s’imposer sur d’éventuelles prétendantes. L’épisode de l’Echo des missions africaines en 1885 est particulièrement significatif. Le RP Emonet, secrétaire de la Congrégation du St-Esprit et responsable de cette nouvelle revue de quelques pages née en 1884, tente de la défendre contre le Conseil de l’Œuvre, qui lui reproche de lui porter ombrage : exclusivement consacrée à l’Afrique, recherchant avant tout à recruter de nouveaux missionnaires, elle ne donne que des informations sur les missions spiritaines ; mais malgré les réclamations, la congrégation du St-Esprit doit arrêter sa publication après quelques numéros en novembre 1885. Entre les gains que lui aurait rapportés cette revue et ceux, plus sûrs, que lui accorde la Propagation de la Foi, le choix aparu évident56. Cette attitude présente une Propagation de la Foi désireuse d’exercer un monopole de l’édition missionnaire. Parmi les documents présentés par l’Echo des missions figurait chaque mois une carte. Celles de l’année 1884 avaient déjà été publiées par les Missions catholiques57, mais celles de 1885 paraissaient inédites58. Ainsi, sans l’affirmer vraiment, la revue prétend donc exercer un monopole sur la publication missionnaire et détenir une propriété sur les documents qu’elle publie, même si les originaux sont toujours renvoyés aux congrégations respectives59, qui les republie parfois mais quelques années plus tard60. Comme le souligne Jean-Luc Burlats, « l’Œuvre entend s’assurer la maîtrise des informations géographiques et scientifiques transmises par les missionnaires61 ». Cette attitude autoritaire est plus facile avec les jeunes instituts missionnaires, les plus anciens comme les Franciscains ou les Jésuites bénéficiant d’une véritable indépendance en matière de publication62.

La seule limite qu’elle permet est la frontière du pays car la barrière de la langue oblige les Missions catholiques à passer le relais à d’autres éditions. La revue est la même, mais son contenu diffère, car chaque pays est avant tout intéressé par les missions dans lesquelles sont envoyés ses compatriotes. Or, les terres de mission sont de plus en plus attribuées à des missionnaires relevant de la même nation que celle de l’autorité coloniale, ce qui homogénéise leur personnel. Il en résulte dans les revues missionnaires, que les espaces abordés par les Katholischen Missionnen, les Missioni cattoliche et les Missions catholiques sont rarement les mêmes, sauf quelques articles suffisamment « neutres » qui ne déclenchent pas de sentiment patriotique auprès des lecteurs. Il faut donc admettre qu’une revue des missions catholiques ne couvre jamais complètement le champ universel des missions.

Pour revenir sur le risque de concurrence, il n’est pas déplacé de penser qu’une autre revue puisse affaiblir les ventes des Missions catholiques, notamment en proposant des cartes. Pour la revue, la carte représente une recette non-négligeable. Le moindre document qui semble inédit aux yeux des responsables est vendu. Dès 1881, la couverture de la revue accueille des encarts publicitaires, qui permettent aux non-abonnés de commander leurs cartes. Placée juste au-dessous du bulletin d’abonnement, l’annonce est proposée sous forme de liste qui s’allonge au fur et à mesure des numéros (Cf. Annexe 1 : les cartes en vente dans les Missions catholiques ). Elle reste le premier document que peut monnayer la revue, en attendant les Almanachs et autres Albums qui, en mettant en scène la mission, rapporteront des recettes à l’Œuvre63. La liste apparaît chaque semaine jusqu’en 1889. A partir de là, il faut parfois attendre chaque année les numéros du mois de mars pour retrouver la liste des « Cartes géographiques ». L’espace publicitaire que représente cette couverture est précieux, comme le prouve la densité des informations qu’elle renferme désormais. Parmi les cartes vendues figurent les toutes premières, qui renvoient la revue à l’origine de son projet d’atlas. D’autres sont jugées inédites, comme celle de Duparquet ou de Augouard. Chaque année, une carte parue dans le périodique se détache des autres et fait l’objet de rééditions destinées à la vente. Mais c’est surtout le lieu évoqué par le titre qui lui confère une valeur commerciale, plus que le nom de l’auteur, l’échelle ou la densité des informations. On rappelle que chaque carte, comme toutes les publications de l’Œuvre,est en vente au siège lyonnais domicilié au 6 rue d’Auvergne, ou auprès des correspondants de la revue, à Paris comme à l’étranger. Parfois, la revue fait de la publicité pour d’autres cartes qu’ont réalisées des personnalités connues64.

L’étude plus précise des Listes de cartes à vendre65 rend compte d’un élément essentiel à savoir la valeur que leur accorde la revue. Tout d’abord, l’offre de documents augmente, passant de 15 en 1881 à 23 en 1883 puis 27 en 1885, avant de stagner entre 20 et 25, car l’espace d’édition est limité : chaque liste ne dépasse jamais une colonne, l’autre étant réservée aux relations missionnaires qui ont été jugées dignes de publication et assurées par l’œuvre. Il s’agit donc de faire un choix dans les cartes mises en vente. La revue reste fidèle à ses premiers travaux : la carte de Kouy Tchéou de Mgr Faury, parue en 1872, est toujours vendue en 1897. Celle de l’Ovampo par Duparquet et datée de 1881 est régulièrement à la vente jusqu’en 1904. Tactiquement, la revue s’adresse au plus grand nombre avec des cartes vendues de 50 centimes à 4 francs. Le prix de chaque document est fixé par la qualité de son support, la densité de son information et, plus difficile à évaluer, l’espérance de vie de son caractère inédit. Mais face à la concurrence, l’Œuvre ne brade pas ses cartes. Celles jugées trop vieilles et dépassées par de nouvelles découvertes sont irrémédiablement supprimées, car elles produiraient un contre effet sur la revue qui se targue justement d’offrir des relations et des observations de toute première main66. Après 1900, les cartes habituellement publiées sont remplacées par les cartes-primes. Avec le progrès des connaissances géographiques, les premières sont sans doute dépassées dans leur contenu tout comme dans leur aspect par des cartes plus modernes et en couleur à un prix souvent moindre. Surtout, parce qu’elles se focalisent sur les juridictions missionnaires, elles se démodent beaucoup moins vite ; elles alimentent donc le fonds de cartes à vendre. Mais en même temps elles rangent la revue dans le registre plus étroit de la mission et non plus de la géographie.

Le désir d’universalité reste une préoccupation. Chaque liste propose au moins trois continents, parmi l’Asie, l’Afrique, l’Amérique et l’Océanie, toujours présentées dans cet ordre. Surtout, à partir de 1885, la liste est précédée du Planisphère des croyances religieuses et des missions chrétiennes qui couvre le monde entier, sur 1,25 m de large et 0,95 m de haut67. Le planisphère occupe la vedette de la publicité, avant d’être supplanté en 1891 par l’Atlas des missions catholiques. Durant cette période, le planisphère est épuisé, mais il est toujours mentionné dans la liste. En 1890, il fait l’objet d’une deuxième édition, avant d’être remplacé en 1912 par un autre Planisphère, de Mgr Launay. Ainsi, chaque carte, l’atlas et le planisphère, concourent à couvrir le monde entier et à des échelles multiples. Enfin, la carte peut devenir un objet de curiosité intellectuelle. Certaines, les plus intéressantes, sont vendues collées sur toile, pliées dans un étui, ou bien vernies, montées sur gorge et rouleau. Cette présentation permet de doubler le prix initial de la carte et de la présenter sous les plus beaux atours, traitement qu’on réserve aux cartes dites scientifiques, dignes d’être exposées.

La revue tire profit des cartes missionnaires en les vendant individuellement. Mais leur intérêt ne se limite pas là. Associées aux lettres qu’elles accompagnent, elles participent à un discours particulier sur la mission, qui vise, et c’est valable pour l’ensemble des publications de l’Œuvre, à réunir des dons. Les efforts de l’association tendent vers une recherche permanente pour accroître les dotations et subventions faites aux missions. Rechercher les raisons de la cartographie ne peut donc faire l’économie des effets que produit la carte sur les lecteurs.

Notes
56.

Archives OPM I-83 Relations avec Spiritains. Lettre du secrétaire Emonet, 8 avril 1885, I-11963. Emonet promet en novembre 1885 d’arrêter sa publication, I-11965.

57.

Echo des missions d’Afrique. Chaque numéro propose dans sa 3è de couverture de commander des cartes de la Sénégambie du RP Duby, de l’Ovampo du RP Duparquet, du Congo et du Zanguebar.

58.

Echo des missions d’Afrique, Carte du bassin du Congo d’après la conférence de Berlin, avril 1885 ; Carte du Stanley Pool d’après le dépôt de la guerre, juillet 1885 ; Carte du littoral de Sénégambie, septembre 1885.

59.

Les archives de la congrégation du St-Esprit à Chevilly-la-rue, par exemple, gardent précieusement ces originaux, classés géographiquement ou parfois regroupés dans des fonds particuliers comme le fonds Briault.

60.

L’ouvrage L’Afrique et l’Océanie décrites et illustrées par les missionnaires, Lille-Paris, Desclée de Brouver, 1894, 140 p., propose 5 cartes pour l’Afrique subsaharienne, toutes dressées par des Spiritains et déjà publiées dans les Missions catholiques : depuis seize ans pour la Presqu’île de Dakar, l’île de Gorée et la Cimbebasie, douze ans pour le Zanguebar et huit pour le Libéria.

61.

BURLATS Jean-Luc, Les Missions Catholiques, Mémoire de maîtrise, Université Lyon III, 2001-2002.

62.

Pourtant, cette attitude échoue finalement car les congrégations se dotent toutes de publications propres.

63.

Il est difficile d’évaluer le montant exact des recettes que procure cette vente des cartes. Comme Les Missions Catholiques disposaient d’une organisation autonome, située rue d’Auvergne à Lyon, les archives de leur comptabilité n’ont jamais rejoint celles de l’Œuvre ; elles restent encore inconnues à ce jour. Elles montreraient sans doute que les cartes sont toujours vendues, quarante ans après les débuts de la revue.

64.

Ainsi une nouvelle carte de Madagascar au 1/2.500.000è d’Alfred Grandidier, célébrité connue de la Société de géographie et promoteur de la connaissance géographique de la grande île.

65.

Trente deux listes de cartes à vendre, soit une par an entre 1882 et 1912, ont été utilisées.

66.

Pour preuve, la carte de la Tunisie ancienne, c’est-à-dire historique pour le lecteur du XIXè, et qui ne craint pas d’être dépassée par les nouvelles découvertes, est toujours vendue en 1904, soit 29 ans après sa première parution.

67.

Planisphère des croyances religieuses et des missions chrétiennes, 1882.