La carte présente en une image la mission

Cette faculté à circonscrire l’identité de la mission est essentiel pour les espaces peu connus. Avec ses toponymes, nouveaux pour la plupart, la carte donne à voir et à lire. Elle dresse l’identité territoriale de la mission. Elle n’est plus un nom exotique auquel se rattachent des images. Elle prend corps et devient concrète. La carte rejoint ici la photographie : ensemble, ces deux types d’illustration dévoilent, démystifient et donnent une enveloppe tangible à leur sujet.

Offrant au lecteur un point de vue quasi divin, la carte est le moyen le plus efficace pour lui de se représenter l’espace de la mission. Ses toponymes le renseignent, ses limites le rassurent : toutes les indications prouvent que la mission existe et que l’évangélisation avance. Cette appropriation intellectuelle est recherchée. Mieux connue, la mission devient celle du lecteur, surtout si il contribue par des dons à encourager l’évangélisation. Les missionnaires savent parfois habilement disparaître de leur récit pour laisser le lecteur seul dans leur mission. C’est pourquoi une mission sans carte court le risque de n’exister qu’en partie ce qui retarderait l’appui que lui apporteront les donateurs. Le fait est essentiel pour les toutes nouvelles missions, inconnues alors de tous. Ainsi, nous serions tentés de croire que conformément au désir de couvrir toutes les missions, la revue mettrait à disposition de ses lecteurs une carte pour chacune. Pourtant, la comparaison entre les nouveaux champs de mission de l’Afrique subsaharienne, érigés durant la période que couvre notre corpus, présente quelques surprises.

Tableau 4 : Dates et cartes des nouvelles missions dans les MC (1877-1950)
Nom Statut date carte écart
Soudan oriental        
Soudan P.A. 1901    
Afrique occidentale        
Cimbebasie P.A. 1879 1879 0
Côte de l’Or et d’Iv.. P.A. 1879 1908 29
Dahomey P.A. 1883 1897 14
Côte du Bénin V.A. 1883 1890 7
Congo français V.A. 1886 1934 48
Bas Congo P.A. 1887 1882 -5
Bas-Niger P.A. 1889 1901 12
Ht-Congo français V.A. 1890 1889 -1
Cameroun P.A. 1890 1916 26
Togo P.A. 1892 1943 51
Côte d’Ivoire P.A. 1895 1908 13
Guinée française P.A. 1897 1916 19
Libéria P.A. 1903 1885 -18
Oubangui-Chari P.A. 1909 1916 7
Adamaoua P.A. 1914    
Buea P.A. 1923    
Douala P.A. 1931 1932 1
La Benoue P.A. 1934    
Afrique centrale        
Congo indépendant M. 1886 1886 0
Congo belge V.A. 1888 1886 -2
Congo supérieur V.A. 1887 1886 -1
Kwango M. 1892    
Uele P.A. 1898    
Ht-Kassaï M. 1901    
Stanley Falls P.A. 1904 1907 3
Katanga sept. P.A. 1911    
Matadi P.A. 1911    
Oubangui belge P.A. 1911    
Kivu V.A. 1912    
Nelle Anvers V.A. 1919    
Ruanda V.A. 1922    
Urundi V.A. 1922 1928 6
Lulua P.A. 1922    
Lac Albert P.A. 1922    
Tschuapa P.A. 1924    
Basamkusu P.A. 1926    
Beni M. 1934    
Bikoro P.A. 1940    
Afrique australe        
Zambeze M. 1879 1882 3
Fleuve Orange P.A. 1885    
Etat libre d’Orange V.A. 1885    
Transvaal P.A. 1886    
Basutoland P.A. 1894 1915 21
Mariann Hill V.A. 1921    
Gariep P.A. 1923    
Kronstad P.A. 1923    
Lydenburg P.A. 1923    
     
 
 
Nom Statut date carte écart
Swaziland P.A. 1923    
Broken Hill P.A. 1927    
Queenstown M. 1929    
Umtat P.A. 1930    
Bulawayo P.A. 1931    
Capetown V.A. 1939    
Pretoria V.A. 1948    
Afrique orientale        
Tanganyka M. 1878 1890 12
Nyanza P.V.A. 1880    
Zanguebar V.A. 1883 1890 7
Zanguebar mér. P.A. 1887 1894 7
Victoria Nyanza sep. V.A. 1894    
Nil supérieur V.A. 1894    
Shiré P.A. 1903    
Benadir P.A. 1904    
Kenya M. 1905    
Zanguebar oriental V.A. 1906 1919 13
Lindi P.A. 1913    
Bangweolo V.A. 1913    
Kilimandjaro V.A. 1920 1892 -18
Iringa P.A. 1922    
Bukoba V.A. 1929    
Mbeya M. 1932    
Kavirondo P.A. 1925    
Langwa M. 1933    
Dodoma P.A. 1935    
Fort Jameson P.A. 1937    
Mbulu P.A. 1943    
Bukoba Mwaza V.A. 1946    
Nyassa sept. P.A. 1947    
Kampala V.A. 1948    
Ethiopie        
Kafaa P.A. 1913 1907 -6
Côte fr. des Somalis P.A. 1914    
Harar V.A. 1927    
Mossie P.A. 1937    
Gondar P.A. 1937    
Tigre P.A. 1937    
Addis Abeba V.A. 1937    
Djimma V.A. 1937    
Madagascar        
Madagascar-Nord V.A. 1896 1901 5
Madagascar-Sud V.A. 1896 1937 41
Madagascar central V.A. 1898    
Betafo V.A. 1913 1913 0
Fianarantsoa V.A. 1913    
Majunga V.A. 1925    
Miarinarivo M. 1933    
Vatomandry P.A. 1935    
Ambanj P.A. 1938    
Tsiroanomandidy P.A. 1949    
 

Le tableau68 montre qu’une nouvelle mission n’est pas systématiquement cartographiée : sur 102 nouveaux champs d’apostolat, seuls 31 ont fait l’objet d’une carte. Les raisons qui expliquent que deux missions sur trois ne sont pas couvertes sont nombreuses : certaines ont été cartographiées avant leur individualisation par des cartes à petite échelle qui englobait leur région et il ne paraît pas nécessaire de présenter une nouvelle carte. D’autres sont moins connues, comme le Transvaal ou le fleuve Orange : localisées dans les colonies anglaises de l’Afrique australe, et animées généralement par des missionnaires étrangers, elles ne font pas l’objet d’une attention particulière pour la revue, qui leur préfère l’actualité des missions françaises. D’ailleurs, l’aire africaine la plus systématiquement couverte reste l’Afrique occidentale, c’est-à-dire la partie coloniale française. Enfin, les champs d’apostolat nés à partir des années 1920, souvent de petite taille du fait de la parcellisation des missions, suscitent moins d’intérêt. Un dernier argument consisterait à admettre que des missionnaire préfèrent réserver à une publication plus personnelle leurs travaux qu’ils ne transmettent donc pas.

En ce qui concerne les champs d’apostolat cartographiés, la moyenne de l’écart entre la date d’érection et la carte est d’environ dix ans. Et il n’est pas rare que cet écart s’élève à vingt ans, comme pour le Cameroun et le Togo. Les concernant, il semble que ces deux missions aient bénéficié du contexte respectif de la première et de la seconde guerre mondiale pour être sous les projecteurs de la revue. Inversement, une carte peut traiter d’un espace avant même son baptême officiel par la Propagande. C’est le cas par exemple des missions qui partagent le Congo : elles ont presque toutes fait l’objet d’une carte avant même leur naissance institutionnelle. Cette remarque montre que les Missions catholiques peuvent servir de tribune en vue de l’institutionnalisation d’une mission. Celle-ci existe pour le missionnaire et dans l’esprit du lecteur ; il ne reste plus qu’à persuader la Propagande de bien vouloir l’ériger. Ici, la revue assure la promotion d’un découpage inspiré par le missionnaire et sa congrégation. Parfois, il faut attendre longtemps avant que le projet aboutisse. Les lecteurs connaissent par exemple le Kilimandjaro depuis le récit inédit du RP Le Roy69, paru en 189270 ;(cf : Le Kilimandjar o ) mais il leur faut attendre 18 ans pour assister à la naissance de la mission du même nom.

Ce tableau confirme que les Missions catholiques restent dépendantes des travaux que lui envoient les missionnaires. Il montre aussi une focalisation sur les missions françaises situées en terre française. Enfin, il prouve que l’objectif premier de vouloir couvrir toutes les missions par des cartes précises ne peut être atteint.

Notes
68.

Les dates et les divisions de l’Afrique sont extraites de DELACROIX (dir.), Histoire universelle des missions catholiques en 4 tomes, T.III : Les missions contemporaines (1800-1957), Paris, Grund, 1958.

69.

Le RP Alexandre Le Roy ou Leroy, CSSp.

70.

MC, « Au Kilimandjaro » en 17 épisodes, n°1207 à 1225, 1892. «  Le Kilimandjaro   », MC-1892-370.