Dresser une carte, c’est nommer l’espace, c’estàdire affirmer que son auteur le connaît et qu’il l’a traversé. En Afrique, avant le partage colonial, la règle entre explorateurs veut que l’on reconnaisse toujours l’antériorité du premier arrivant sur les autres, comme pour quelqu’un qui a découvert ou inventé quelque chose. Les noms de Caillié, Cameron, Spike et Grant sont pour cette raison associés respectivement à la découverte de Tombouctou, la première traversée du continent africain et la découverte des sources du Nil71.
Nommer un espace, c’est dans un contexte devenu politique revendiquer une propriété, un titre de premier arrivé. Pour des missionnaires répartis dans des régions du monde mal connues, les cartes qu’ils dressent, souvent inédites comme le rappellent les Missions catholiques, tiennent lieu d’acte de propriété. Mais l’autorité qu’ils représentent n’est pas politique. Elle est religieuse et morale. Considérés comme l’avant-garde de la civilisation, les missionnaires sont souvent les premiers à fouler ces territoires. Mais en les civilisant, ils contribuent surtout à les intégrer dans la Chrétienté. Un lecteur des Missions catholiques assiste donc à une double appropriation : la première est d’ordre intellectuel : avec de nouveaux toponymes, l’espace lointain lui semble dorénavant plus proche et connu. La seconde est morale : par l’entremise du missionnaire, il contemple l’extension spatiale du christianisme, c’est-à-dire de son universalitéaux dépens du paganisme et de l’hérésie.
Voir PAULET J.P., Les représentations mentales en géographie, Anthropos, Paris, Economica, 2002, 152 p.