La carte prouve l’évangélisation

Elle dresse un état des lieux de la mission en recensant ses différentes stations. La carte rejoint ici les statistiques qui radiographient habituellement chaque mission, sous forme d’audit. Sont habituellement dénombrés les catholiques, les stations, les églises, les écoles, etc., pour donner l’image la plus fidèle de l’état d’avancement du christianisme. La carte localise les stations et les figure par les croix latines ; elles sont l’empreinte du christianisme en même temps qu’elles résument l’acte de mission, la plantatio ecclesiae. Elle pose la question des moyens de l’évangélisation et de ses résultats d’un point de vue territorial, là où les chiffres s’intéressent aux effectifs. La carte responsabilise le lecteur en tant que bienfaiteur. Par des dons, il peut intervenir sur la situation et augmenter le nombre de croix. Cette idée utilise un raccourci : la carte traduit visuellement les contributions apportées à la mission. Elle valorise autant le missionnaire sur place, que le donateur en Europe. Les cartes sont donc intimement liées aux dons au sujet desquels elles rendent des comptes : elles témoignent de la bonne utilisation de l’argent récolté. Les cartes-primes offertes chaque année peuvent être perçues comme l’aboutissement des efforts car elles montrent une hiérarchie catholique qui se met en place méthodiquement sur chaque territoire. Seule la carte peut assurer cet effet, les statistiques se réservant une quantification des missions qui restent dé-territorialisées. En encourageant le lecteur à reprendre les cartes et les comparer, la revue invite à mesurer les progrès. Si l’idée est implicite dans la plupart des lettres, elle est parfois clairement formulée. Ainsi, en 1922, sous la carte des « Environs de Moyamba », le RP Raymond attire l’attention sur l’inégalité des forces dans sa mission de Sierra Leone. Décrivant une supériorité protestante, il en appelle directement à la générosité de l’arrière :

« Ce travail de pénétration de la masse païenne est l’œuvre directe du missionnaire ; il la réalisera d’une façon pratique par la formation et l’établissement des catéchistes (..) J’ai dit que j’en avais engagé deux.. témérairement. Je voudrais en engager dix qui fussent ambulants et dix autres qui fissent office, à la fois, d’instituteurs et de catéchistes et qui fussent, dans ce but, installés à poste fixe. Ce serait la mainmise de Notre-Seigneur sur toute la région et le bon grain semé partout (..) On tiendra donc ferme, vous tiendrez bon à l’arrière, chers amis, et, pas à pas, dans la main, nous instaurerons toutes choses dans le Christ Jésus72 » (cf : Environs de Moyamba  )

Et, pour finir, la légende de la carte résume :

« 17 croix de Genève contre 1 croix latine ! Au maître aimé, qui forgera 20 croix latines, gardées par 20 Instituteurs catéchistes ?.. (..)73

Dans ce cas précis, le missionnaire en appelle à la mobilisation et invite à se pencher, en fidèle tacticien, sur sa mission transformée en champ de bataille. A peine quatre ans après le premier conflit mondial, l’appel touche sans doute son public74.

Notes
72.

«  Environs de Moyamba  », MC-1922-322.

73.

Ibidem.

74.

Le RP Raymond, comme l’affirme son récit, est un ancien élève de l’école militaire de Saint-Maixent.