La carte apporte une caution scientifique

Les Missions catholiques souffrent d’un manque de reconnaissance. En revendiquant sans cesse le caractère scientifique des informations collectées par les missionnaires, la revue cherche à sortir du registre du périodique religieux édifiant dans lequel l’esprit commun de l’époque la range. D’ailleurs, elle préfère parler de « travaux » quand elle évoque ces observations. La carte, justement, sert de preuve au sérieux et à l’exactitude de ces travaux. Si les lettes sont souvent sujettes à caution, surtout auprès d’une opinion publique où l’anticléricalisme gagne chaque jour du terrain, la carte en revanche est rarement remise en question. Plus elle offre de renseignements par ses toponymes, plus elle est dite scientifique et plus elle échappe à la critique. La carte impose naturellement un ton neutre et froid. Elle fait le lien entre monde missionnaire et monde savant, entre mission et science. Il n’est donc pas rare de trouver dans l’adresse habituelle aux lecteurs, placée dans la couverture, comme ici en 1892..

« Grâce à la sympathie de nos bienfaiteurs, grâce aux travaux remarquables envoyés par nos missionnaires, travaux où la piété et la science trouvent un égal aliment ; grâce aussi à l’intérêt qui s’attache plus que jamais aux explorations lointaines, chaque année voit augmenter le nombre de nos lecteurs. Cependant on nous exprime bien souvent le regret de ce que notre Bulletin est peu connu. Aussi, tout en remerciant nos fidèles abonnés, nous les prions de faire connaître et de répandre de plus en plus autour d’eux notre journal, car ce sera faire connaître en même temps l’action bienfaisante et civilisatrice de l’Eglise75 ».

L’enjeu est essentiellement commercial. La revue doit pouvoir dépasser le cercle des lecteurs habituels pour toucher le plus grand nombre et, sur ce point, la caution scientifique qu’apportent ses cartes constitue le sésame qui lui permettra de figurer parmi les périodiques de géographie, comme le prestigieux Bulletin de la Société de géographie, les Annales de géographie ou encore la Revue de géographie.

Ces effets indirects de la carte sur le lecteur, qui restent assez difficiles à évaluer, contribuent à l’impliquer davantage dans l’effort missionnaire. Grâce à elle, la mission doit lui apparaître presque tangible. Le moindre effort financier compte et se traduit sur le terrain par des progrès. Tous les avantages du document cartographique sont exploités : il complète la lecture, synthétise l’image de la mission, participe au processus d’appropriation, apporte une preuve de l’évangélisation et colporte un sérieux que personne n’oserait critiquer. Mais là se pose la question de l’efficacité des cartes. Comment le lecteur les perçoit-il ? Est-il possible de mesurer leur impact ?

Notes
75.

MC, « A nos lecteurs en 1892 », n°1186 du 26 février 1892, 4è de couverture.