Les espaces de la mission dans les dons

Les sondages effectués sur 40 numéros de la revue (colonne 1) de 1874 à 1918 permettent de dresser quelques tendances. Celles qui nous intéressent ne concernent pas les effectifs de ces dons (colonne 2)82, mais leur répartition géographique (colonnes 4 à 8). Les dons indéterminés (colonne 3), le plus souvent attribués « aux missions les plus nécessiteuses », représentent 26 % du total. Tous les autres ont un bénéficiaire désigné. Si c’est un missionnaire, la revue rajoute entre parenthèses le nom de sa mission. Si ce nom apparaît, c’est qu’il a été précisé par le bienfaiteur (colonne 9). Enfin, le nombre d’espaces abordés (colonne 10) fournit une information sur le nombre de missions aidées.

Tableau 7 : Les espaces de la mission dans les dons des MC : sondages 1874-1918

Année
N° et date
Total des dons Répartition géographique
Indét. Asie Afrique Amérique Océanie Europe
Mission nommée Nombre d’espaces

1874

239, 2 janvier 11 9 1 1       2 8
252, 3 avril 3 1 2           1
265, 3 juillet 5 2 1 1     1 2 6
278, 2 octobre 5 3 2           1

1879

500, 3 janvier 56 10 27 4   13 2 44 14
513, 4 avril 25 10 4 6   4 1 11 9
526, 4 juillet 20 8 4 3   4 1 11 8
539, 3 octobre 25   18 1   4 2 23 14

1884

761, 4 janvier 68 21 20 21   6   39 21
775, 11 avril 26 12 10 3 1     10 10
788, 11 juillet 30 8 16 4 1 1   16 13
800, 3 octobre 16   13 1 1   1 15 7

1889

1022, 4 janvier 60 23 21 15 1     23 15
1035, 5 avril 15 2 5 8       10 8
1048, 5 juillet 25 6 11 7 1     17 14
1061, 4 octobre 10 4 5 1       5 5

1894

1283, 5 janvier 67 28 25 5 4 3 2 38 24
1296, 6 avril 37 9 18 10       26 15
1309, 6 juillet 26 11 2 13       10 10
1322, 5 octobre 17 3 2 8 4     10 10

1899

1544, 6 janvier 109 33 21 11 9 5   53 37
1557, 7 avril 55 8 37 10       30 28
1570, 7 juillet 43 10 25 3 1 4   18 18
1583, 6 octobre 33 9 20 3     1 12 20

1904

1804, 1 janvier 122 40 57 16 1 5 3 69 40
1817, 1 avril 19 5 6 3 1 4   14 14
1830, 1 juillet 37 15 13 3 1 5   19 22
1844, 7 octobre 18 8 7 1 1 1   10 8

1909

2065, 1 janvier 91 25 41 18 2 5   40 37
2078, 2 avril 34 3 3 28       18 24
2091, 2 juillet 66 17 42 6   1   18 34
2104, 1 octobre 37 8 15 7 1 6   26 28

1914

2326, 2 janvier 76 35 32 6 2 6   33 32
2339, 3 avril 62 16 28 12   1 5 42 27
2352, 3 juillet 51 6 27 17     1 20 19
2365, 2 octobre 3 1   2       2 2

1918

2535, 4 janvier 74 25 31 15   2 1 40 23
2548, 5 avril 77 11 48 17   1   60 24
2561, 5 juillet 70 6 38 22   4   63 24
2574, 4 octobre 47 6 18 7   6   29 14

La répartition géographique impose plusieurs constatations : l’Asie est presque toujours le premier espace aidé. L’Afrique, en seconde position, ne dépasse l’Asie que très rarement. Le personnel ainsi que le nombre de champs de mission, nettement supérieur dans le premier, explique ce résultat. En revanche, l’Afrique reçoit dans chaque numéro des dons dix ans après les débuts de la revue, ce qui n’est pas le cas des autres espaces américains, océaniens et européens. L’aide apportée à l’Océanie apparaît une fois sur deux, celle à l’Amérique presque une fois sur deux, celle à l’Europe une fois sur quatre. Le souci d’universalité que veut afficher la revue n’implique pas que tous les continents soient abordés. Du moins, la réalité impose que seulement deux numéros sur quarante peuvent proposer des subventions à tous les continents.

Les désignations précises de la mission représentent 57% du total. Il faut insister sur ce résultat qui n’augmente pas au cours des sondages. Pourtant, avec une meilleure connaissance des missions, plusieurs fois mentionnées par les lettres ou les nouvelles de la revue, il aurait fallu s’attendre à une proportion plus importante. Ainsi, les progrès de l’évangélisation ne se traduisent pas par une meilleure désignation de la mission. Sans doute mieux connue, la mission n’est toutefois pas mieux nommée. Le missionnaire est davantage identifié. C’est à lui plus qu’à son territoire qu’est adressé le don. Par exemple, Mgr Lavigerie est très souvent cité83. Il rassemble sous son nom de nombreuses actions : les orphelinats en Algérie, les caravanes vers l’Afrique équatoriale, la lutte globale contre l’esclavage.. L’homme résume toute l’œuvre chrétienne en Afrique et il réunit sur sa personne une somme importante.

Le nombre d’espaces couverts à chaque numéro s’élève au cours de la période. Inférieurs à 10 en 1874, ils dépassent la dizaine dans les sondages des années 1880 et 1890, la vingtaine dans ceux des années 1900, la trentaine ensuite. Ce résultat prouve que l’aide se diversifie et touche de plus en plus de territoires. Certains y verront le risque d’une dispersion des forces. D’autres au contraire la marque d’une Œuvre de la Propagation de la Foi universelle. En effet, c’est précisément cet indicateur qui permet d’évaluer son caractère d’universalité. Cette inflation des espaces aidés traduit une plus grande connaissance des territoires de mission et du monde en général. Dans le numéro 239 du 2 janvier 1874, il est question de Pondichéry, des chrétiens annamites et des malades du Gabon. Trente ans plus tard, dans le numéro 2326 du 4 janvier 1914, la liste évoque le Spitzberg, la Bulgarie, Jérusalem, l’Arménie, Malatra en Asie mineure, Beyrouth, Kumbakonam, la Cochinchine septentrionale, la Cochinchine orientale, le Tonkin, le Tonkin maritime, le Haut-Tonkin, Taikou, le Kiang-si, le Tche-Kiang, Immamura à Nagasaki, Hakodate, l’Abyssinie, l’Oubangui-Chari, le Gabon, Tananarive, la Patagonie septentrionale, la Nouvelle Calédonie, les îles Fidji.. Les Missions catholiques sont devenues un formidable manuel de géographie.

C’est dans un souci analogue que sont publiés les dons des éditions étrangères des Missions catholiques, comme les Missione catholiche ou les Katolischen Missionnen. L’idée est d’attirer l’attention sur d’autres missions que celles souvent abordées dans la revue française. Ainsi, la Birmanie orientale, tenue par des missionnaires italiens, fait l’objet en 1874 de 21 dons dans l’édition italienne que rapporte le premier numéro de l’année 1874. Or, l’édition française n’avait jusque là abordé cette mission qu’à une seule occasion, deux ans plus tôt. En publiant ces statistiques étrangères, la revue suit deux objectifs. Elle peut chercher à encourager les dons français. Ainsi, les statistiques allemandes sont systématiquement plus élevées84, ce qui peut motiver les catholiques français qui oublient que l’édition d’outre-Rhin est mensuelle et qu’elle annonce forcément des sommes additionnées. Elle veut aussi prouver au-delà de la compétition que peuvent inspirer ces listes, l’internationalisme de l’Œuvre qui, quelque soit la publication, contribue à drainer des fonds dans tous les pays d’Europe : la charité chrétienne est une valeur internationale. Le financement des dons est bien un acte chrétien, commun à tous les fidèles d’Europe. L’internationalisme catholique l’emporte sur la nationalité. C’est le message que veut faire passer l’organisation, quelle que soitla mission, à Hakodate, dans les terres du fleuve Orange ou au Paraguay, le financement doit venir des chrétiens. Cette démarche destinée à assurer le salut des âmes, déterritorialise la mission qui est élevée une fois de plus au rang de modèle. Le territoire ne compte pas, et seul l’acte de charité, par essence universel car il relève du genre humain, est important. Mais l’idéal est parfois difficile à partager et la réalité reste encore marquée par des préférences nationales. L’édition française rapporte des missions où officient des missionnaires français, financés par des fonds français.

Notes
82.

En ce qui concerne leurs quantités, le nombre (colonne 2) n’est pas régulier. Le premier numéro de janvier présente toujours plus. Il correspond à Noël, moment marqué par la charité chrétienne ; il peut aussi montrer une Œuvre qui veut placer la nouvelle année sous le signe de la solidarité. Quelques moments sont marqués par des effectifs moins importants : c’est le cas des débuts de la revue, comme en 1874. C’est aussi le cas de la fin de l’année 1914 avec un numéro d’octobre qui annonce très peu d’aide. En revanche, la charité n’attend pas la fin de la guerre pour reprendre.

83.

Une fois par numéro durant toute l’année 1879.

84.

Les listes de dons de la fin de l’année 1880 évoquent respectivement : le 11 novembre, 33 dons ou 5.000 francs pour les Missioni catholiche ; le 18 novembre, 24 dons ou 1.620 francs pour les Missions catholiques ; le 10 décembre, 28 dons ou 6.300 francs pour les Katholischen Missionnen. Rapportées à chaque contribution, les sommes s’élèvent donc à 15 f. pour l’édition italienne, 60 f. pour la française, 225 f. pour l’allemande.