Les effets produits par les cartes sur les dons

L’étude des dons s’effectue sur les numéros de l’année 188085. Deux raisons expliquent ce choix. C’est tout d’abord une année particulièrement riche avec précisément cinq cartes sur l’Afrique noire. De plus, elle dévoile un contexte de compétition entre les Missionnaires d’Afrique dirigés par Mgr Lavigerie et les missionnaires du St-Esprit pour la conduite de l’évangélisation au cœur du continent africain. Chaque congrégation informe de ses progrès la revue qui les publie, ce qui est le cas ici avec de longues lettres de chaque congrégation, ponctuées de cartes et de photographies86. (cf les cartes : Missions de l’Afrique équatoriale  ; Le D amara   ; Quanhama et Ovampo   ;   Okavango ). Il paraît donc intéressant de suivre ces progrès à travers leur correspondance et surtout leurs illustrations, pour évaluer, d’après les dons, leur incidence auprès des lecteurs. Notre hypothèse reste la même : la carte, en fixant l’image de la mission dans l’esprit du lecteur, contribue à mieux la faire connaître et donc amorcer un soutien financier.

La carte d’Afrique des Missionnaires d’Afrique dressée par le RP Charmettant est publiée en décembre 1879 pour permettre aux lecteurs de suivre le compte-rendu du voyage « De Bagamoyo aux lacs Nyanza et Tanganyka ». Le récit paraît en 18 épisodes à partir du 5 décembre 1879 et raconte le voyage d’une caravane de missionnaires de la côte orientale vers l’intérieur. La carte est surtout focalisée sur la région des grands lacs. Sans doute a-t-elle contribué aux dons précisément adressés à cette nouvelle mission. La donation maximale s’enregistre près de trois semaines après la carte. Les dons en général sont maintenus jusqu’à la fin des 18 épisodes, le 30 avril 1880. Il faut sans doute leur ajouter les sommes accordées à Mgr Lavigerie dont le rôle dans la mobilisation de cette expédition est plusieurs fois rappelé.

Tableau 8 : Les dons aux Pères Blancs et aux Spiritains des MC : 1880
Tableau 8 : Les dons aux Pères Blancs et aux Spiritains des MC : 1880

Le RP Duparquet, alors vice-préfet de Cimbébasie, n’est en revanche jamais le bénéficiaire direct des dons. Ses trois cartes parues durant l’été 1880 sur le Damara, le Quanhama et l’Ovampo, et l’Okavango ne suscitent d’ailleurs aucune aide. Les Missionnaires du St-Esprit enregistrent un meilleur écho avec un plan de Bagamoyo parû dans le numéro du 16 juillet qui rapportait au moins un don trois semaines plus tard87. (cf : Plan de Bagamoyo ) Cet effet limité peut s’expliquer par l’image que laisse le RP Duparquet. Contrairement à la caravane des Pères Blancs, le missionnaire spiritain est seul. Il parcourt des régions inconnues, avec un regard de naturaliste, ce qui confère à ses documents un caractère insolite et inédit, dans l’esprit du voyageur-explorateur plus que dans celui du missionnaire. Il ne correspond pas non plus exactement au profil du célèbre Livingstone à qui l’on reprocha d’être plus un explorateur qu’un véritable évangélisateur. Le RP Duparquet assure les descriptions exotiques à la revue, ce qui ne lui attire pas forcément le soutien des lecteurs-bienfaiteurs.

La correspondance semble générer plus de mobilisation. Le long récit de la caravane des Pères Blancs a surtout comme effet de maintenir l’intérêt pour une mission naissante qui prend peu à peu corps. Au départ attachée au seul nom de Lavigerie, la mission devient autonome comme objet de financement et reçoit alors à six reprises des dons avant la fin de l’année. Les autres illustrations comme les croquis ou les photographies sont rares sur ces missions durant l’année 1880. Sans doute ont-elles contribué aux quelques sommes adressées aux missionnaires spiritains du Congo et du Gabon.

Ainsi, pour susciter une aide, il faut multiplier les supports matériels ou bien disposer d’un nom suffisamment célèbre qui met les donateurs en confiance. Il faut aussi l’annoncer dans un climat de mobilisation générale. La caravane, dont l’image rappelle la croisade, provoque beaucoup plus d’attention que les voyages de découverte de Duparquet. Surtout, la parution quelques semaines plus tard de nouvelles lettres agrémentées de deux photographies, montrant précisément la caravane, fait l’effet d’une « piqûre de rappel » et entretient l’attention générale sur cette mission88.( Cf. Annexe 17 Les caravanes de l’Afrique équatoriale ) Enfin, les cartes, malgré leur qualité ou leur originalité intrinsèque, ne constituent pas un document privilégié pour collecter de nouveaux dons. Au mieux ont-elles contribué à faire connaître davantage ces missions.

Notes
85.

Plus précisément de décembre 1879 à décembre 1880 qui correspond à une longue correspondance.

86.

Ainsi, pour les missionnaires d’Alger : « De Bagamoyo aux lacs Nyanza et Tanganyka », MC, 5 décembre 1880, en 17 épisodes, avec la carte des «  Missions de l’Afrique équatoriale   », MC-1880-HT, adressée aux souscripteurs avec le numéro. Pour les missionnaires du St-Esprit : « Voyage en Cimbébasie », MC, 30 juillet 1880, en cinq épisodes, avec plusieurs cartes : «  Le D amara   », MC-1880-367 ; «  Quanhama et Ovampo   », MC-1880-405 ; «  Okavango   », MC-1880-451. Photographies : Enfants rachetés au Congo, MC, 26 décembre 1879 ; Scènes congolaises, MC, 30 janvier 1880. 

87.

«  Plan de Bagamoyo   », MC-1880-343.

88.

Caravane pour l’Afrique équatoriale, MC, 10 septembre 1880 ; Campement, MC¸ 24 septembre 1880. Cf. Annexe 17 Les caravanes de l’Afrique équatoriale .