La place de l’Afrique dans les revues de géographie

La consultation de quelques revues de géographie, françaises et étrangères, permet d’évaluer la place prise par l’Afrique parmi les sujets en général et parmi les cartes en particulier à cette époque101.

Le Bulletin de la Société de géographie (1822-1899), La géographie (1900-1939)

Les travaux d’Alfred Fierro sur la Société de géographie102 nous renseignent sur les espaces couverts par son prestigieux Bulletin. De 1821, date de sa création, à 1899, année où il change de nom, le Bulletin consacre 30 % de ses articles à l’Afrique et notamment l’Afrique noire, qui « passionne » ses rédacteurs, et ses lecteurs. La revue est le miroir de l’intérêt porté par les géographes de cabinet sur le continent noir. D’abord focalisés sur l’Ouest, dans les régions explorées par les Français, les travaux se portent sur l’Est pour suivre la remontée aux sources du Nil ainsi que sur Madagascar. L’Afrique du Nord est ignorée, mais l’Egypte bénéficie d’un traitement de faveur et « aucune revue française du temps ne contient autant d’informations sur ce pays que le Bulletin ».

L’intérêt pour l’Afrique en général est maintenu dans sa nouvelle formule, La géographie : entre 1900 et 1939, près de 25 % de ses articles portent sur l’Afrique noire auxquels il faut ajouter les nouveaux 10 à 15 % de l’Afrique du Nord.

L’année géographique (1863-1880)

Paradoxalement, la revue de géographie ne présente pas de carte. En revanche, un impératif scientifique la force à traiter tous les continents. La part accordée à l’Afrique oscille entre 14 et 35 %. Elle connaît un intérêt supplémentaire en 1876 qui correspond à la deuxième série : la moitié du contenu de la revue lui est consacrée. Les explorateurs comme Stanley, le Dr Lenz, Brazza ou encore Marche y sont célébrés. Mais là aussi, l’intérêt décroît rapidement et l’Afrique retrouve une place plus modeste dans la contribution générale. Ces quelques années rendent compte des voyages français au Gabon pour accéder au bassin du Congo en amont des chutes.

Le tour du monde (1869-1909)

Cette revue de géographie et d’exploration est le périodique géographique de vulgarisation. Il propose de 1860 à 1909 près de 728 cartes, soit quinze documents par an, ou sept à huit par numéro semestriel. Comme pour les Missions catholiques, tous les continents ne sont pas couverts et la revue privilégie l’exotisme sur l’universalisme. Les cartes illustrent les textes qui mettent en scène les voyages de découverte. La parution des cartes est freinée à quatre par an, à partir de 1895, lorsque la revue devient annuelle. En revanche, elle se dote d’un hebdomadaire, A travers le monde, qui utilise un plus grand nombre de représentations, de plus petit format et aux informations plus denses. La carte ne se justifie plus comme un document particulier. Rarement exceptionnelle, elle sert surtout à renseigner les futurs voyageurs sur les modalités des transports en leur donnant des indications sur leur destination. Le Tour du monde se réserve quelques documents inédits qui portent sur des espaces insolites, le plus souvent des cartes-itinéraires qui rapportent les derniers voyages d’exploration.

L’Afrique avec 145 documents représente 20 % des cartes. Les seules années où cette part s’élève au tiers voire à la moitié correspondent aux grands récits d’exploration : Livingstone en 1866103, Stanley en 1873 puis 1878104, Serpa Pinto en 1881105. Mais l’engouement pour la région retombe dès les numéros suivants.

Les Petermann’s Mitteilungen (1855-1909)

La revue allemande est un modèle pour les géographes de l’époque surtout en ce qui concerne l’école française. L’impératif de couvrir tous les continents s’impose implacablement, selon une rigueur scientifique. A la différence des autres revues, les Petermann’s Mitteilungen cartographient tous les espaces du monde et l’Afrique ne fait pas l’objet d’un traitement particulier. Sur un total annuel de cartes compris entre 20 et 30, le nombre de documents sur l’Afrique s’élève rarement au-delà de 25 %.

Les annales de géographie (1891-1913)

La revue naît en 1891 pour réagir à..

«  ..une multiplication outrée des périodiques visant à servir les mêmes intérêts, qui ne vivent souvent que de subventions et qui se résignent à donner aux lecteurs, sous couleur de géographie, toute autre chose que de la science. La revue se propose donc de faire de la vraie géographie, et de devenir l’équivalent français des Mitteilungen de Petermann ou les Proeceedings of the Royal Geographical Society d’Angleterre. Il ne s’agit pas de refaire un autre Bulletin de la Société de géographie de Paris, mais plutôt de suivre systématiquement les progrès des sciences géographiques106 ».

Dès lors, copiant ses modèles européens, la revue traite de tous les continents. L’Afrique occupe une place non négligeable, surtout au départ, quand Marcel Dubois, titulaire de la première chaire de géographie coloniale à la faculté de Paris, donne ses premiers cours. Les explorations du continent sont amplement abordées. Mais son éviction assez rapide de la direction de la revue, en 1894 par Vidal de Lablache, et son remplacement par Gallois réorientent les sujets. Trois ans plus tard, un tournant disciplinaire est pris et l’Afrique n’est plus traitée comme le cadre exotique des prouesses coloniales. Elle devient ainsi que ses populations un véritable objet d’étude, réservant ses articles à une géographie plus scientifique ainsi qu’à l’ethnologie107. Les articles sur l’Afrique représentent rarement 25 % du total, ceux sur l’Afrique noire à peine dix108.

Ce bref comparatif confirme l’intérêt porté par les revues de géographie sur l’Afrique. Cependant, les Missions catholiques se distinguent par une nette spécialisation pour l’Afriquesubsaharienne. En définitive, la revue a lié sa prospérité à l’évangélisation des populations noires.

Notes
101.

Ont été consultés sommaires et index des revues suivantes : le Tour du monde (1869-1909), l’Année géographique (1863-1880), l’Année cartographique (1891-1913), le Bulletin de la société de géographie (1822-1899), la Géographie (1900-1939), les Annales de géographie (1891-1913), les Petermann’s Mitteilungen (1855-1909), le Bulletin de la société de géographie de Lyon (1875-1907). Un travail analogue mais plus détaillé a été mené par Emmanuel Sibeud sur les Annales de géographie, ainsi que d’autres revues scientifiques comme L’année sociologique, L’Anthropologie, La Revue scientifiqueou encore La revue d’ethnographie. SIBEUD Emanuelle, Une science impériale pour l’Afrique ? La construction des savoirs africanistes en France (1878-1930), Paris, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 2002, 357 p.

102.

FIERRO Alfred, Inventaire des manuscrits de la société de géographie, Paris, BN, 1984, 304 p. ; La société de géographie (1821-1946), Paris, Droz, Champion, Hautes études médiévales et modernes n°52, 1983, 341 p.

103.

En 1866, la revue couvre les explorations du missionnaire en lui consacrant 6 cartes sur 12.

104.

En 1873, 5 cartes sur 8 ; en 1878, 8 cartes sur 17.

105.

En 1866, la revue couvre les explorations du missionnaire en lui consacrant six cartes sur douze. En 1873, les voyages de Stanley parti à la recherche du même Livingstone font l’objet de cinq cartes sur huit, de huit cartes sur dix-sept en 1878.

106.

« Avis au lecteur », pages I-IV, Annales de géographie, Tome 1, 1892.

107.

Olivier Soubeyran remarque aussi que Marcel Dubois fait encore l’objet d’une amnésie dans l’histoire de la géographie française. Evincée des Annales, cette géographie coloniale ne participera pas à la formation de la géographie tropicale assurée par les Vidaliens. SOUBEYRAN Olivier, « La géographie coloniale au risque de la modernité », in Géographies des colonisations, Actes du Colloque Géographies, colonisations, décolonisations, XVe-XXe, Talence, mars 1992, Paris, L’harmattan, 1994, 420 p.

108.

La revue propose près de 471 articles entre 1891 et 1913. 84 portent sur l’Afrique, 40 sur l’Afrique subsaharienne.