L’échelle

La grande majorité des cartes privilégie une échelle moyenne, soit entre 1/100.000è et 1/10.000.000è. Quelques exceptions portent sur un espace réduit, comme celle d’Ozange-Ningé au 1/15.000è ou Nossi-Vey au 1/4.000è146(cf :   Ile Ozange-Ninge ), d’autres sur un espace immense : ce sont des cartons qui accompagnent une étude des populations ou bien des documents de grande taille qui donnent l’Afrique à voir, d’un seul coup d’œil147.(cf : Négrilles d’Afri que , Races de l’Afrique , Fangs en Afrique ) Mais tous relèvent d’une approche thématique car la revue n’est pas le lieu d’une cartographie à petite échelle. La série au 1/4.000.000è dessinée par P. Vuillot de 1897 à 1903 constitue un autre exemple. Mais, concentrées sur le fait missionnaire, elles ne prétendent pas rivaliser avec les cartes les plus abouties de l’époque. La référence alors reste la formidable série en 63 feuilles au 1/2.000.000è, dressée par l’ingénieur du génie Régnauld de Lannoy de Bissy, entre 1874 et 1888. Cette œuvre de compilation fait autorité auprès des savants comme des diplomates qui en utilisent des extraits lors de la conférence de Berlin en 1884148. La particularité de la revue est d’offrir des images sur des espaces peu connus, qui, dans le cas d’un continent encore mal cartographié, peuvent être de grande taille. Ainsi, la Cimbebasie est couverte au 1/10.000.000è, le Damara au 1/2.500.000è. C’est aussi le propre des espaces de mission qui sont encore très vastes avant le phénomène de parcellisation. Vers 1846, le V.A. de Guinée couvre le littoral occidental entre les latitudes 5° N et 12° S, alors que celui d’Afrique centrale occupe le tiers du continent149.

Certaines cartes sont dépourvues d’échelle, d’autres de canevas, ce qui leur donne un aspect rudimentaire. Le canevas de latitude et longitude apporte la caution scientifique. C’est lui qui distingue la carte du simple dessin. Il permet justement une mesure des distances et donne des repères, essentiels dans un monde inexploré. Parallèles et méridiens sont des lignes invisibles qui deviennent des limites tangibles que les explorateurs atteignent et dépassent. En Afrique ils jouent aussi le rôle de limites politiques grâce auxquelles l’espace est divisé, approprié avant d’être occupé. La représentation du quadrillage et le découpage qu’il implique participent à l’appropriation du terrain. Comme tous les voyageurs en Afrique, les missionnaires utilisent ces lignes astronomiques pour montrer qu’ils sont les premiers à fouler ces territoires : c’est l’image d’un parcours poussé toujours plus loin à l’intérieur, d’une connaissance géographique qui progresse. Représenter les latitudes et les longitudes, c’est aussi montrer son appartenance à un monde savant, européen, qui, à l’arrière, saura apprécier les limites atteintes et dépassées.

L’échelle renvoie au sujet de la carte et donne un sens à sa lecture. Avec une carte au 1/6.000.000è, soit 1 cm sur la carte équivalant à 60 km dans la réalité, il est évident que le missionnaire ne représente pas son espace quotidien. C’est la mission toute entière qui est montrée. Les détails sont gommés, au profit des points importants : les stations principales, les localités, les grands éléments naturels. D’ailleurs, la précision n’est pas forcément recherchée. La carte missionnaire présente cette particularité de ne pas utiliser l’échelle comme d’un argument. Cette indication n’apparaît pas dans les publicités. Cela reste pourtant l’objectif de tous les cartographes, militaires comme civils, qui cherchent à mieux connaître l’espace en élevant la précision de sa représentation. C’est surtout le premier caractère d’un travail scientifique.

Notes
146.

«  Ile Ozange-Ninge   », MC-1900-210, « Nossi-Vey », MC-1893-380.

147.

L’esclavage donne lieu à deux cartes en 1888 : MC-1888-459 et MC-1888-474. Les races sont abordées en 1897 et 1898 : «  Négrilles d’Afrique   », MC-1897-438, «  Races de l’Afrique   », MC-1897-463, «  Fangs en Afrique  », MC-1898-93. Les grandes cartes sont celles offertes aux abonnés et portent sur les missions : « Missions en Afrique », MC-1890-HT de l’ouvrage éponyme du baron Bethune. 

148.

 LOISEAUX Olivier, « La carte d’Afrique à 1/2.000.000è de Régnauld de Lannoy de Bissy » in Le monde des cartes, n°180, juin 2004, pp.102-116.

149.

Champs d’apostolat en Afrique en 1846. DELACROIX (dir.), Histoire universelle des missions catholiques en 4 tomes, T.III : Les missions contemporaines (1800-1957), Paris, Grund, 1958.