La formation assurée par les congrégations

Chez les Spiritains

[Chez les Spiritains162]

François Libermann (1802-1852), avant d’être élu Supérieur de la congrégation du St-Esprit en 1848, est le fondateur de l’ordre du Saint-Cœur de Marie qu’il organise par une première règle en 1840. Son second article prévoit pour les missionnaire qu’..

« ..ordinairement, on ne les préviendra pas de leur départ ni de leur destination avant le temps qu’il leur est nécessaire pour s’y préparer. De leur côté, ils doivent éviter la curiosité sur ce point et se tenir en repos jusqu’à ce que la volonté divine se déclare163 »

Mais Libermann rectifie ses positions dans les années suivantes, sous l’influence de l’abbé Luquet. Ce missionnaire des Missions Etrangères de Paris envoyé auprès de la Propagande est favorable à un clergé indigène, comme il l’exposa en 1845164. Paul Coulon le présente comme un « catalyseur d’idées », un véritable « homme carrefour » entre la Propagande à qui il inspirera l’encyclique Neminem Profecto en 1845 et les congrégations : les Missions Etrangères de Paris, la future Mission Africaine de Lyon de Marion-Bresillac et les missionnaires du Saint-Cœur de Marie. Libermann est invité à défendre sa congrégation auprès de la Propagande avec un plan audacieux d’évangélisation de l’Afrique noire. C’est le célèbre Mémoire sur les missions des noirs en général et sur celle de la Guinée en particulier, présenté le 15 août 1846. Ce texte tient compte des difficultés de l’apostolat que l’auteur connaît très précisément grâce aux lettres que lui ont adressées depuis la Guinée le RP Bessieux et ses confrères, et qui paraissent dans les Annales de la propagation de la foi en mars 1847165. A la même année, Libermann adresse à la communauté de Dakar une lettre qui résume l’attitude qu’observeront dorénavant tous les missionnaires de l’ordre.

« Ne jugez pas au premier coup d’œil ; ne jugez pas d’après ce que vous avez vu en Europe, d’après ce à quoi vous avez été habitués en Europe, dépouillez-vous de l’Europe, de ses mœurs, de son esprit ; faites-vous nègres avec les nègres, et vous les jugerez comme ils doivent être jugés ; faites-vous nègres avec les nègres pour les former comme ils le doivent être, non à la façon de l’Europe, mais laissez-leur ce qui leur est propre ; faites-vous à eux comme des serviteurs doivent se faire à leurs maîtres, aux usages, au genre et aux habitudes de leurs maîtres et cela pour les perfectionner, les sanctifier, les relever de la bassesse et en faire peu à peu, à la longue, un peuple de Dieu166. »

Ces nouvelles dispositions impliquent donc une préparation complète à l’apostolat pour lequel la seule foi ne suffit plus. En 1848, les missionnaires du Saint-Cœur de Marie fusionnent avec ceux du Saint-Esprit. Libermann demande que chaque maison du nouvel ordre possède sa propre bibliothèque, rompant alors avec la règle de 1840167. Schwindenhammer, successeur et Supérieur de la congrégation de 1852 à 1881, multiplie les lieux de formation. Au séminaire de Notre-dame du Gard, il en ajoute quatre autres en France, un à Rome, deux collèges en Irlande, un à Braga au Portugal, un autre à Duquesne aux Etats-Unis, deux dans les Antilles en Haïti et à la Trinidad et le grand séminaire du Sénégal, premier créé en Afrique. Le RP Emonet, Supérieur de 1882 à 1895 rajoute d’autres écoles au Portugal, en Irlande, en Amérique du Sud, et Australie. La période de Mgr Le Roy, de 1896 à 1926 correspond à un redéploiement des séminaires dû aux persécutions en France et au Portugal et à une réduction des collèges. En 1926, seuls les écoles irlandaises de Blackrock et Rockwell ainsi que le séminaire français de Rome survivaient en Europe. Il semble que la cartographie ou même la géographie n’aient pas fait l’objet d’une formation particulière et commune à toutes ces écoles168. Chaque lieu a développé la formation qu’il jugeait la plus propice à l’apostolat. Certains ont pu dispenser quelques notions sur les territoires et les populations des missions pour préparer les futurs missionnaires169.

Notes
162.

Toutes les lettres de Libermann sont regroupées dans les Notes et documents relatifs à la vie et à l’œuvre du vénérable François-Marie-Paul Libermann, Paris, 1929, 13 tomes.

163.

Règle provisoire de la Congrégation des missionnaires du S t -Cœur de Marie, éditée à Rome, imprimée à Amiens, 1845. Cette habitude de prévenir au dernier moment l’aspirant missionnaire se prolonge jusqu’aux années 1950. C’est aussi le cas pour la Société des Missions Etrangères de Paris où la destination de mission n’était divulguée que le soir de l’ordination. La formation se poursuit donc dans la mission. Cf. LANGE Claude, « La formation du missionnaire dans la Société des Missions Etrangères » in CREDIC, Science de la mission et formation missionnaire au XXè, Actes XIIè session du CREDIC, Vérone, août 1991, Lyon, 438 p.

164.

Ses Eclaircissements en mai 1845 réunissent des nouveautés qu’adoptera le pontife.

165.

C’est la première longue relation sur l’Afrique noire parue dans la revue, jusque-là concentrée sur l’Asie et l’Amérique.

166.

Lettre de Libermann à la communauté de Dakar, 19 novembre 1847, rapportée par COULON Paul et BRASSEUR Paule (dir.), Libermann (1802-1852) ; une pensée et une mystique missionnaire, Paris, éd. du Cerf, 1988, 938 p.

167.

Libermann considérait à l’époque l’érudition comme un luxe. Conférence de Henry KOREN en 1982, rapportée par Jean ERNOULT, « Les spiritains, l’enseignement et les œuvres d’éducation. Quelques aperçus de 1703 à 1982 » in Mémoire spiritaine, n°17, 1er semestre 2003, pp.101-126.

168.

Il serait néanmoins utile de consulter quelques fonds d’archives, comme celui du séminaire de Séez où sont passés des missionnaires comme Augouard ou Duparquet.

169.

Quelques témoignages recueillis à la maison de Chevilly-la-rue évoquent pour les années 1940 et 1950 des cours de géographie où étaient appris les espaces de chaque mission, dont la carte était à reproduire, pour familiariser le futur missionnaire avec tous les champs d’apostolat relevant de sa congrégation.