Dans les manuels de formation

La place de la géographie pose la question du bagage scientifique du missionnaire, en d’autres termes de la place de la science par rapport à la piété dans sa formation. Le développement des missions au XIXè s’est accompagné de l’édition de nombreux manuels qui informaient le public sur le sens de la mission, tout en préparant les candidats à l’apostolat. Cette littérature, qui s’adressait sans doute aux familles des missionnaires, a pu influencer quelques individus. Le manuel du RP Dominget paru en 1869, évoque les connaissances nécessaires à la préparation du missionnaire, dans l’ordre suivant : 1 : la grammaire. 2 : la prononciation et le débit. 3 : la littérature. 4 : la philosophie. 5 : la théologie. 6 : l’Ecriture sainte et 7 : l’histoire de l’Eglise et de la vie des Saints. Il y est nullement question de géographie, encore moins de cartes. Mais l’auteur précise d’un point de vue pratique : « quand un chef de mission d’une manière générale aborde la personne qu’il doit évangéliser, il dresse un plan et il s’entend avec les confrères qui doivent l’accompagner sur le choix des instructions principales174 ».

Un autre manuel daté de 1925 rappelle les qualités requises pour devenir missionnaire : physiques, elles nécessitent une bonne santé ; intellectuelles, elles réclament un bon fond de philosophie et surtout la connaissance poussée de la langue du pays ; morales et matérielles, elles impliquent l’esprit de prière et d’adaptation. Pour se faire chinois, indien, japonais, l’étude de la langue y contribuera beaucoup tout comme celle de l’histoire du pays qui doit être familière au missionnaire. « Et d’abord qu’il ait certaines idées très arrêtées sur la configuration géographique, les provinces, les principales villes, les principaux fleuves, la population, les us et coutumes175 ».

Cet apprentissage implique de la part du missionnaire qu’il sache dans quelle région il sera affecté. Entre temps, les congrégations ont adopté la missiologie. Pour augmenter l’efficacité de l’évangélisation, elles ont intégré de nouvelles disciplines dans la formation. Le futur missionnaire reçoit quelques rudiments sur la géographie des pays de mission, le plus souvent dispensés par d’autres missionnaires de passage en France et s’entraîne parfois à apprendre et reproduire la cartes des champs d’apostolat de sa congrégation176, ce qui lui donne précisément une identité spatiale.

Après la seconde guerre mondiale, il est clairement établi que la sainteté seule ne suffit plus pour devenir missionnaire. Il faut aussi la science. Ainsi, à l’ouverture de la 17ème session de la Chaire des missions réunie à Lyon en 1957, le RP Bouchard, CSSp, estime que si « la science est l’ensemble des moyens naturels que l’homme a à sa disposition », il est légitime qu’on la mobilise pour l’apostolat. Le savant n’est donc pas l’érudit mais le missionnaire qui aura pris soin d’acquérir les connaissances utiles à l’exercice de son ministère. La missiologie peut fournir au missionnaire cette « formation spéciale » qui l’ouvrira à une foule de choses. « L’apostolat missionnaire est un ministère spécial qui demande une préparation spéciale ». On ne peut rien faire de bon sans y être introduit scientifiquement, au terme d’un enseignement reçu et assimilé177. Le RP Rétif, SJ, reprend à ce sujet une phrase de Lyautey qu’il adopte : « celui qui n’est que missionnaire est un mauvais missionnaire ». Il invite chaque missionnaire à « recevoir une initiation à l’agriculture, la géographie, l’histoire, à l’ethnie, à la linguistique ». Reprenant le modèle apostolique du Dr Schweitzer, il rappelle qu’« en Afrique, il est de toute nécessité d’avoir un travail intellectuel qui soutienne le moral. Plongé dans la lecture d’un livre qui donne à penser, il redevient un être humain ». Rétif dénonce l’état d’inactivité intellectuelle qui gagne tout missionnaire après une journée de labeur et pour le combattre, conseille à chaque congrégation de lui envoyer des paquets avec journaux, livres et revues. Chaque mois, un cercle de gens d’arrière-garde, de munitionnaires, veillera à la santé intellectuelle du missionnaire178.

Entre ces deux dates, en 1959, Rome a pris soin de déclarer le recours nécessaire aux sciences avec l’encyclique Evangeli Praecones179. Ainsi, la cartographie et la géographie ont sans doute bénéficié de l’intérêt pour les sciences que véhicule la missiologie. Elles font partie du bagage minimal qu’un missionnaire doit posséder avant d’entrer dans sa mission. Néanmoins, il n’existe pas de date précise à partir de laquelle des cours ont été donnés dans les séminaires et les écoles de préparation. Chaque congrégation adopte ses propres choix, selon les règles et les instructions dictées par son fondateur et réactualisées par l’expérience du terrain, transmise dans des cours ou des conférences. La missiologie mobilise la géographie et la cartographie, mais sans leur attribuer de rôle majeur. Considérées sans doute comme annexe dans la formation à la mission, elles ne font pas l’objet d’un intérêt particulier, au XIXè comme aujourd’hui d’ailleurs180.

Notes
174.

RP H. DOMINGET, Les missionnaires et les directeurs de stations et de retraites ; manuel complet, Paris, Gaume frères et J. Duprey, 1869, 465 p., p.106.

175.

HUGON J, SJ, Une carrière, le missionnaire, Paris, Spes, 1925, p.13.

176.

Entretiens avec quelques missionnaires spiritains, octobre 2004.

177.

Collectif, La formation du missionnaire, Lyon, OPM, 1957, p.9.

178.

Ibid., pp.40-41.

179.

Evangeli Praecones sur le développement à donner aux missions, 2 juin 1951. Le siège apostolique et les missions ; textes et documents pontificaux, Union missionnaire du Clergé, imprimerie Jacqueline, Saint-Lô, fascicule II, p.196-211.

180.

Cf. infra, Introduction, les absences remarquées dans Le récent Dictionnaire de missiologie, op. cit .