La cartographie des Jésuites

L’historien de la géographie des Jésuites, le premier à avoir analysé les rapports entre la géographie et la mission, est aussi celui de la cartographie en général, François de Dainville181. Ces rapports entre la géographie, la mission et l’ordre des jésuites sont anciens et importants. Selon lui, la mission est au XVIè avec l’humanisme, la force vive qui a permis de mettre en place un enseignement de la géographie. Les confrères de François Xavier prirent l’habitude de suivre son chemin sur les cartes. Mieux, ils y nourrissaient leur désir apostolique. Les écoles de formation enseignaient la géographie, au même titre que les mathématiques. François Xavier avait mis en garde l’Eglise d’envoyer des missionnaires qui ne soient pas doctes. Matteo Ricci sera précisément choisi pour ses aptitudes intellectuelles. En Chine, en 1854, il est l’auteur d’une magistrale leçon de géographie qui attira la bienveillance des Chinois sur les missionnaires182.

Au XVIIè, le bagage géographique des jésuites est accru au point qu’un règlement spécifie qu’ils n’emportent avec eux aucun livre cosmographique. De Dainville explique que le cadre jésuite formait le climat idéal et le plus favorable aux intérêts de la géographie. A leur tour, les écrits de géographie jésuites ont considérablement influencé la géographie scolaire et son évolution en apportant « une masse sans cesse accrue d’information ». Enfin, les travaux géographiques et cartographiques ont exercé une influence décisive des nations missionnaires. Dès le dernier tiers du XVIIè, ils se détournent du Canada, mieux connu, et s’orientent vers les Antilles ou les missions orientales du Levant et de la Chine. Sans nul doute, les travaux missionnaires au XIXè sur le Zambèze, le Kwango ou Madagascar, jouent le même rôle pour le continent africain.

De Dainville résume l’intérêt de la carte en rappelant sa nécessité pour toute investigation géographique : « apprendre la géographie, c’était toujours apprendre la carte183 ». Ainsi, les jésuites reçoivent un enseignement cartographique de leurs maîtres qui les distingue très nettement des autres missionnaires. Cet enseignement considère la cartographie comme science à part entière et bénéficie aussi de la proximité des autres disciplines comme l’astronomie, les mathématiques ou la physique. Deux siècles plus tard, les cartes des jésuites utilisent la triangulation, établissent des relevés astronomiques et dressent une topographie avec de nombreuses altitudes. L’exemple significatif du RP Roblet permet de mesurer le degré d’aptitude atteint par quelques Jésuites en cartographie. Seul, il est responsable d’une triangulation à la fois vaste et précise sur le centre de Madagascar, donnant les cartes de l’Imerina au 1/100.000è et du Betsileo au 1/200.000è, travail qui relève d’ordinaire d’une équipe de plusieurs ingénieurs sur plusieurs années184.( Cf. Annexe 27 Une cartographie scientifique, Roblet ) Ses cartes furent confirmées par les relevés de l’observatoire de Tananarive, fondé par son collègue le RP Elie Colin en 1899. Elles illustrent la rigueur et la précision d’une cartographie proprement jésuite185.(cf :   Antananarivo (environs) )

Ainsi, il paraît exagéré de parler d’une formation à la cartographie assurée par les congrégations, à l’exception des Jésuites. Les manuels témoignent d’un intérêt qui correspond à la prise en compte de la missiologie. Ceci explique pourquoi les cartes sont très inégales sur le plan scientifique les unes des autres. La plupart du temps, elles ne mobilisent aucune technique ou compétence particulière. S’interroger sur la formation cartographique des missionnaires revient donc à poser la question de la carte à l’école

Notes
181.

de DAINVILLE François, La géographie des humanistes, Paris, Beauchesne, 1940, 562 p. Lire aussi des conférences données à la Sorbonne sur l’histoire de l’éducation et la cartographie historique, annuaire 1964-1965, IVème section des sciences historiques et philologiques. Un récent colloque dresse l’état de l’œuvre de Dainville et son apport à l’histoire de la cartographie en général. BOUSQUET-BRESSOLIER C. (dir.)., 2004. François de Dainville, un géographe pionnier de l’histoire de la cartographie et de l’éducation. Actes du colloque des 6-7 juin 2002, collection Etudes et rencontres de l’Ecole des chartes n°15, Paris, PRODIG- Ecole des chartes, 328 p.

182.

Ibid ., p.109.

183.

I bid., p.406.

184.

Le missionnaire explique sa démarche : « Je n’avais à ma disposition qu’une mauvaise lunette d’approche et un baromètre anéroïde renfermé dans une boîte dont le fond offrait une surface à peu près plane. Muni de ces deux instruments, je gravis les pentes d’une montagne au sud d’Ankaratra ; arrivé au sommet, je pris une feuille de papier que j’appliquais sur le fond de la boîte de mon baromètre, après en avoir préalablement déterminé le centre en la pliant en quatre. Sur cette feuille, avec la lunette pour alidade, je traçais les angles de quelques points principaux. Cette manière, toute improvisée, n’était guère commode pour l’opérateur, obligé de s’étendre sur le gazon pour relever le moindre point ; je ne me laissais pas arrêter pour si peu. Bientôt après, sur une autre montagne, située à l’est d’Ankaratra et distante de la première de trente kilomètres environ, je faisais un travail pareil à celui du premier jour. Avec ces données, si grossièrement acquises, je dressais une petite carte dans laquelle je déterminais avec précision et justesse la distance de lieux par lesquels je n’avais jamais encore passé », in « Une carte de la province de l’Imerina », MC, 1881, p.451. La méthode s’améliore : Cf. Annexe 27 Une cartographie scientifique, Roblet .

185.

Cartes de Désiré Roblet, SJ, parues dans les Missions catholiques : « Imerina », MC-1881-HT ; «  Antananarivo (environs)   », MC-1895-HT.