L’emplacement de la mission de brousse

Le détachement du reste de la société coloniale

La mission dite « de brousse » est un modèle d’apostolat que l’on trouve dans tous les paysages africains, de la forêt équatoriale au désert de l’Afrique australe ou les prairies orientales. Elle se définit par sa position de rupture avec l’occupation originelle sur le littoral. En s’installant plus à l’intérieur du continent, les missionnaires affirment leur volonté de se détacher des communautés de la côte, notamment européennes, dont la mauvaise attitude nuirait à l’évangélisation. « Les comptoirs français sont extrêmement malsains » écrit Mgr Barron à propos du Gabon en 1844 : « ils empestent le voisinage des ports220 ». Le destinataire de la lettre, François Libermann, ne peut toutefois dans un premier temps rompre avec la communauté militaire, car ses missionnaires profitaient justement de la protection et du financement du ministère de la Marine. En revanche, un accord conclu un an auparavant leur assurait « la permission d’aller à l’intérieur prêcher la parole divine aux naturels221 ». En fait, l’ensemble des sociétés côtières, vivant du trafic commercial, sont considérées comme dévoyées et il s’agit pour les missionnaires de retrouver à l’intérieur des terres des âmes encore pures, à la fois aptes et dignes de recevoir le message du Christ. Les missionnaires adoptent donc une mise à l’écart, contraire au reste de la communauté européenne, comme le rapporte Henri Brunschwig :

« Les rares colons qui s’établissent en Afrique avant 1904 recherchent d’abord le voisinage des villes, des factoreries, des compagnies de commerce, des voies de communication régulièrement fréquentées. Ils n’allèrent en brousse que pour y trouver de l’or ou pour y exploiter la forêt. Les plantations et les élevages loin des côtes ou des marchés furent exceptionnels222 ».

L’exception missionnaire réside précisément dans son désir du détachement, qui devient un ordre impérieux pour les Pères Blancs quand ils s’installent en Afrique équatoriale223 comme pour les Spiritains au Gabon224.

Cette mise à distance correspond parfaitement avec la conception de l’apostolat au XIXè qui vise à élever les âmes primitives et les détourner de l’idolâtrie. Le climat réputé débilitant de l’Afrique et le dénuement matériel rendent la vie d’un Européen très difficile, mais en même temps grandissent l’œuvre du missionnaire, dont la foi est mise à l’épreuve. Celui-ci réalise l’idéal chrétien de l’ermite, poussé parfois jusqu’au martyre, perçu encore comme la consécration de la mission dans la seconde moitié du XIXè. Cette conception, régulièrement alimentée par les lettres édifiantes, a suscité de nombreuses vocations à l’arrière ; mais le taux de mortalité extrêmement élevé des premiers envoyés a forcé les Supérieurs de congrégation à revoir le modèle d’apostolat. Libermann propose en 1846, sur les conseils de Mgr Bessieux225, son envoyé au Gabon, un lieu d’acclimatement, pour permettre à ses prêtres de mieux supporter l’insalubrité du climat226. Cet espace de transition entre l’Europe et l’Afrique visait à maintenir des missionnaires en parfaite santé pour rendre leur apostolat efficace et viable. L’idée renaît dans l’esprit des Jésuites envoyés au Zambèze en 1870 : le RP Depelchin propose de fonder une maison d’études pour préparer à la mission et servir de centre d’opération ; les missionnaires y passeraient une « période d’acclimatement »227.

Le principe reste néanmoins le lien indéfectible qui doit unir la mission et ses bases arrières, comme un cordon ombilical. Il ne s’agit plus de disparaître dans l’intérieur car les missions isolées sont vouées à l’échec, mais bien de maintenir un contact avec la congrégation qui peut aider la mission en acheminant homme et matériel. En effet, pour être viable, celle-ci doit être facilement accessible depuis l’Europe, par une ligne de communication fréquentée : le long du littoral ou d’un fleuve parcouru par les vapeurs, près d’une route, ou d’une ligne de chemin de fer au XXè. Ainsi, les missions les plus éloignées souffrent d’un acheminement trop onéreux du matériel228. De même, la mise à distance vis à vis des autres Européens est toute relative car les missionnaires ont souvent besoin de protection. Les trafics d’esclave qu’ils combattent les menacent et quoi qu’en disent leurs lettres, la proximité des militaires et des commerçants n’est pas rejetée, pour l’approvisionnement comme pour la sécurité qu’ils apportent. Le choix du nouvel emplacement de la mission relève doncd’un jeu subtil entre les missionnaires et leurs compatriotes, tenus à un écart mesuré.

L’expansion de la mission du Gabon dans la deuxième moitié du XIXè, étudiée par Odette Tournezy, résume cette attitude229 : après les accords signés entre Libermann et le ministère de la Marine, les missionnaires sur place chercheront à s’affranchir de la tutelle des militaires en s’éloignant du fort d’Aumale pour se rapprocher des peuples à évangéliser : « la communauté du Gabon ne doit pas être au blockhaus ni près du blockhaus » intime le RP Briot230. Mais si des stations voient le jour, au Cap Esterias chez les Bengas en 1849, sur la rivière Mondha, puis à Lambarené, elles ont toujours mobilisé une cohorte de soldats ou bien bénéficié de l’accord militaire. Les expéditions de Du Chaillu de 1859 à 1863, de Serval et Griffon du Bellay entre 1861 et 1867, de Marche et du Marquis de Compiègne en 1874, puis de Brazza de 1875 à 1881, ont aussi impliqué des missionnaires, qui ont servi de traducteur. Mais ceux-ci étaient ravis, d’après Odette Tournezy, de parcourir des terres qui jusque-là leurs étaient inaccessibles. L’expansion du Gabon traduit les relations subtiles tissées entre militaires et missionnaires, dans l’intérêt mutuel de chacun. Le silence des missionnaires sur les autres Européens dans leurs lettres masque mal leur vraie proximité que dévoilent, en revanche, les journaux de communauté. Parfois, certains admettent que la présence européenne assure un réconfort à la mission231.

L’éloignement de la côte et l’isolement

L’éloignement et l’isolement de la mission sont des sujets cartographiés. Un élément permet de les repérer : le littoral. Dans le corpus des Missions catholiques, seule une carte sur quatre ne le mentionne pas. Le trait des côtes est omniprésent car il remplit au moins trois fonctions : il fournit un repère pour les missions les moins connues dépourvues de nom aux sonorités célèbres ; avec le littoral, le lecteur peut resituer la carte sur la grande carte de l’Afrique dont il connaît le pourtour qui agit comme référent. Il lui permet aussi de mesurer l’avancée des missionnaires à l’intérieur des terres, à partir de la côte précisément, et annonce sans recourir à un trajet fléché le sens de la progression. Enfin, le littoral établit le lien avec l’Europe, c’est-à-dire le monde connu ; près d’une carte sur six accorde une place discrète mais essentielle à une petite portion de la côte (Cf. Annexe 5 : le littoral sur quelques cartes missionnaires ). Ainsi, le trait du littoral, quelle que soit sa valeur dans le champ de la carte participe pleinement à l’appropriation intellectuelle du territoire africain : en liant l’espace nouveau de la carte au contour ancien de l’Afrique, il intègre la mission jusque-là inconnue à une Afrique connue et possédée. Ainsi la connaissance du continent africain progresse par accumulation de lambeaux de terres. A mesure que se multiplient les explorations, la géographie africaine gagne du terrain dans l’esprit des Européens, comme le montrent les cartes : elles quittent le littoral et remontent les grands fleuves qui deviennent, avec les grandes localités, les nouveaux référents. L’élément maritime disparaît peu à peu des documents. Le morcellement des missions en territoires de plus en plus réduits aboutit au même constat. Notons au passage que l’utilisation du littoral comme référent prouve le caractère didactique des cartes missionnaires qui cherchent à situer précisément auprès des lecteurs leur mission, ainsi que les moyens de s’y rendre. Cette précision peut aussi être motivée par l’envie de fixer précisément les lieux, afin d’éviter les litiges territoriaux.

Parfois, l’éloignement devient isolement et donne lieu sur les cartes à des représentations particulières. C’est le cas du document du RP Lang portant sur Cunène en Angola en 1899. La mission spiritaine est située dans une région difficile d’accès depuis la côte, c’est-à-dire à l’abri de ses mauvaises influences : l’Angola, alors colonie portugaise et domaine du padroado, n’admet pas la présence d’une mission relevant de la Propagande. Invisible depuis la côte, elle ne se dévoile qu’au voyageur courageux qui a traversé pendant plusieurs jours un désert et franchi la longue chaîne de montagnes de la Leba. Depuis un col, toute la région se découvre d’un seul coup d’œil, et la narration du RP Lang emprunte largement à l’épisode biblique qui clôt l’exode, raconté à la fin du Deutéronome232. D’ailleurs, la région est circonscrite par deux déserts, au nord et au sud et une terre inhabitée au lointain. Baignée d’une rivière qui traverse un plateau fertile, Cunène s’identifie à la terre promise.

Ce document met en scène la mission en insistant sur ses qualités géographiques : son isolement à l’abri des montagnes et les ressources naturelles dont elle dispose. Elle masque du même coup son principal défaut, à savoir l’influence protestante qui arrive du Sud-Est et remonte depuis Le Cap toute l’Afrique australe le long des chemins de wagons, qui sont malgré tout mentionnés sur le document. Cette poussée venant de l’intérieur est attestée par les nombreuses lettres adressées conjointement à la Propagation de la Foi233. Pourtant, elle est absente ici et la carte n’offre qu’un sens de lecture, d’Ouest en Est, depuis le port de Mossamédès, puis le désert, la chaîne de montagnes et la mission enfin découverte, soit de la côte à l’intérieur. Les déserts et les régions inhabitées qui la délimitent terminent le tableau en donnant une unité paysagère et humaine à cette région qui compte déjà 5 stations234.

Le principe du détachement qui devient éloignement ou isolement inspire chaque fondation. En se développant, la mission donne naissance à de nouvelles stations, qui offrent l’occasion d’appliquer le principe, ou bien d’autres choix. Mais parce que chaque station a un coût, elle nécessite une argumentation auprès des bailleurs de fonds comme la Propagation de la Foi. Parmi ces arguments figure parfois un raisonnement qui utilise la représentation spatiale.

Le développement par les nouvelles stations : choix et arguments

Chez les Missionnaires du Saint-cœur de Marie, la règle de 1840 dictée par Libermann précise que les premiers missionnaires constitueront des communautés et choisiront un Supérieur. C’est lui qui décidera des nouvelles stations. En revanche, leur propre résidence relève du Supérieur provincial dont l’autorité couvre toute la mission235. En 1863, à propos d’un nouveau centre de mission sur la côte du V.A. des Deux-Guinées, le RP Duparquet propose d’évaluer le futur emplacement selon cinq conditions, dans l’ordre suivant : sa salubrité ; les communications avec les autres Européens qui apportent « les choses indispensables à la vie » et la protection ; l’usage d’une langue européenne, de préférence celle de la puissance européenne qui possède le pays ; une population nombreuse avec beaucoup d’enfants qui nécessitent des écoles, bases fondamentales de la mission selon Duparquet ; la distance à maintenir entres les postes missionnaires pour ne pas neutraliser leurs effets236. Ces critères deviennent ceux de la congrégation et les autres missionnaires les adopteront.

Les lettres adressées à l’Œuvre de Propagation de la Foi constituent un document privilégié sur le thème des nouvelles stations. Leur lecture montre que ces stations semblent toutes remplir les mêmes critères de salubrité, de sécurité et surtout de viabilité, afin de convaincre l’Œuvre de bien vouloir les financer. Les archives des principales missions de l’Afrique subsaharienne regorgent de cette correspondance argumentative.

En Cimbebasie, le même Duparquet vante les relations faciles avec l’Europe, le climat très salubre et des tribus indigènes sans religion, c’est-à-dire disposées à l’évangélisation237. En 1881, quatorze ans après un premier échec, il réussit à fonder une mission avec l’aide du gouvernement portugais, confirmée par un décret royal. Cette protection par la puissance tutélaire constitue un argument supplémentaire238. C’est la menace protestante qui aurait provoqué la réaction du Portugal en faveur des missionnaires spiritains. Cette menace est régulièrement évoquée dans les lettres. En 1891, suffisamment importante, elle justifie la création de nouveaux postes pour occuper toute la mission et neutraliser son territoire239. Le nouveau p.ap. Lecomte, explique en 1897 que le gouvernement portugais devenu trop pauvre ne peut plus venir en aide à la mission, qui doit s’en remettre exclusivement à l’Œuvre240. Cette situation délicate explique a posteriori la bienveillance du Portugal à l’égard des missionnaires français : il leur abandonne provisoirement l’évangélisation d’un territoire qu’il n’est pas en mesure de contrôler en raison de son étendue très vaste241.

Au Congo242, les missionnaires déploient les mêmes arguments, à l’initiative du RP Duparquet. Cette fois, le Portugal fait obstruction à leur installation et les Français doivent quitter le littoral et se placer en amont du bas-Congo, malgré leurs nombreuses protestations243. Mais les projets de stations sont liés à la découverte du fleuve. Le mystère qui enveloppe le Congo et l’intérieur de l’Afrique et qui passionne savants et scientifiques se traduit sous la plume de Duparquet par l’image de peuples lointains et nombreux, autrefois christianisés. L’auteur espère que ces peuples « obtiendront aussi les sympathies de l’Œuvre de la Propagation de la Foi, pour nous prouver les moyens de conquérir ces régions à la vraie religion, tandis que d’autres vont la conquérir à la science ». Si religion et science marchent de concert, la compétition se situe à l’intérieur des forces missionnaires. En 1878, la concurrence entre Stanley et Brazza devient celle des protestants contre les catholiques, des Britanniques contre les Français, alors même que Stanley est au service de Léopold II, roi des Belges. Les spiritains dénoncent l’activisme des premiers qui accompagnent l’explorateur britannique ; ils lancent quant à eux des expéditions sur le fleuve pour y installer de nouvelles stations. Celle du RP Augouard témoigne d’une compétition directe avec Stanley244. L’argument est imparable : « évidemment, ce fleuve est appelé à devenir la grande artère commerciale de l’Afrique équatoriale, et les négociants vont préparer un accès facile aux missionnaires dans ces régions inconnues jusqu’ici »245.

La compétition s’amplifie et s’accélère. En 1879, une lettre de Duparquet transmise par Carrie conseille à l’Œuvre de se lancer dans la course en adoptant la même technique que Stanley. Dans sa remontée du fleuve, plutôt rapide, il utilise de petites stations en bois toutes prêtes à monter qu’il installe à mesure qu’il avance dans l’intérieur sur les points de relâche importants246.(cf : Carte du Congo (de l’embouchure au Stanley-Pool)  »)

« Il faut marcher dans le Congo à la suite de la science et du commerce, pour lutter contre les protestants et faire autant qu’ils font (..) Un établissement à Mboma avec 3 missionnaires permettrait d’occuper le terrain, ce qui serait un bon commencement »247.

Le texte témoigne de l’impatience du missionnaire qui, sur place, assiste aux progrès de l’explorateur britannique lui-même considéré comme un concurrent. Duparquet a une longue expérience de l’Afrique ainsi qu’une vue panoramique de la conquête de sa moitié australe depuis la côte Atlantique. Il est difficile d’évaluer l’écho qu’a pu rencontrer cet appel auprès de l’Œuvre, mais il montre comment le missionnaire cherche à l’impliquer en la projetant dans le jeu trépidant de la colonisation248.

L’urgence au Congo est maintenue dans la correspondance du RP Carrie, puis amplifiée avec « la grande nouvelle » à partir de 1880249 : Brazza, parti en mai, a reconnu l’Oggoué et rejoint le Stanley-Pool après avoir fixé des postes français et contracté un accord avec le roi Maccoco en octobre. Une liaison directe est prévue de Stanley-Pool à la côte qui permet d’éviter le bas-Congo, comme le résume la carte inédite parue un an plus tard dans le n°641 des Missions catholiques250.(cf : «  du Gabon au Congo   ) Carrie emploie un nouvel argument pour fonder la mission : Brazza en personne estime « extrêmement » important d’établir une mission catholique française à Stanley-Pool et dans le haut-Oggoué. Le missionnaire rappelle tous les avantages du site : les protestants s’y précipitent ; les populations locales ont gardé un bon souvenir de la première évangélisation par les Capucins ; surtout, la France pourra assurer la protection des missions et établira des communications entre le Gabon et ces deux postes de l’intérieur251. La carte du RP Augouard de 1886 consacrée au Congo, de Stanley-Pool à l’Equateur, montre que la collaboration avec les autorités françaises continue252.(cf : «  Congo (du Stanley-Pool à l’Equateur)   ) Le recours à l’Œuvre est nécessaire, précisément pour financer ces nouvelles stations, particulièrement coûteuses quand tout est à créer. La station de Stanley-Pool nécessite 17.000 F, soit près du tiers du budget alloué à la mission du Congo, le reste se partage entre les quatre premières stations253. L’achat du terrain représente une somme, tout comme l’acheminement des missionnaires. Enfin, l’entretien de trois hommes y coûte plus cher que sept à Landana.254. En 1882, le Stanley-Pool reste encore la station la plus chère de toute la mission255, ce qui confirme sa position de station la plus avancée à l’intérieur de la mission.

Au Zanguebar, sur la côte orientale, le RP Horner utilise aussi l’argument de l’urgence. En 1877, il note que la compétition des Anglais est forte ; elle annonce celle des protestants. Ainsi, après la mission catholique de Zanzibar, puis celle de Bagamoyo, il faut entrer dans le territoire, pour que « la vérité précède l’erreur ». Horner dépêche alors deux missionnaires à Mhonda, un site de l’Oukami repéré quelques mois auparavant qui pourrait accueillir « tout de suite cent communautés » (..) De cette sorte les protestants arriveront un mois après nous et s’établiront probablement dans les environs de notre première résidence » prévoit le Supérieur256. La carte du voyage d’exploration dans l’Oukami publiée en 1878 résume la situation257.(cf : «  De Bagamoyo à Mhonda   ) Avec son successeur, le RP Baur, le risque d’être devancé se transforme en menace d’invasion : « il en arrive par chaque malle. Ils sont aussi arrivés d’un coup. Tous cherchent à pénétrer dans l’intérieur et à établir des missions, choisissant les meilleures positions » écrit-il en 1880, avant de conclure : « il est donc de toute nécessité que nous les devancions et nous prenions possession avant eux », en fondant une nouvelle station258. Après le partage de la mission en 1887, le v.ap. du ZanguebarNord, Mgr Courmont, privilégie l’argument d’une terre prometteuse. De retour de voyage au Kilimandjaro, il justifie le choix d’une nouvelle station, à Monbaze, par le fait que cette terre « devra devenir un pays d’émigration pour une population laborieuse de paysans catholiques allemands »259. De plus, Monbaze occupe un site où les Anglais doivent faire passer une ligne de chemin de fer, ouvrant du même coup la région de l’Ukamba260. Son successeur Mgr Allgeyer confirme sept ans plus tard la création de l’Uganda Railway qui relie la côte au Victoria-Nyanza et permet aux missionnaires catholiques d’accéder au pays Kikouyou261.(cf : Chemin de fer de l’Ouganda   », MC-1899-611 ; «  Kikouyou  »)

Cette correspondance montre que les missionnaires, parce qu’ils sont les principaux témoins de l’exploration et de la conquête en Afrique, sont aussi les premiers informateurs a priori objectifs en Europe. Au-delà de l’émotion face aux perspectives religieuses qu’ouvrent de telles découvertes, ces lettres nous renseignent aussi indirectement sur la sensibilité de l’Œuvre de la Propagation de la Foi, car les missionnaires cherchent systématiquement à obtenir les faveurs de son Conseil. Ces lettres présentent donc une certaine image de la mission, telle que la décrit sur place le missionnaire mais conforme aux souhaits et objectifs de l’Œuvre de la Propagation de la Foi. La comparaison avec d’autres missives, adressées par le missionnaire à sa congrégation, met en valeur les exagérations et démontre finalement le caractère très normatif de cette correspondance. Ainsi, les cartes qui représentent de nouvelles stations jouent un rôle de publicité. En les parcourant, le lecteur doit admettre le bien-fondé de la logique suivie dans la mission.

Notes
220.

« Lettre adressée à François Libermann le 7 août 1844 » in LIBERMANN, Notes et documents relatifs à la vie et à l’œuvre du vénérable François-Marie-Paul Libermann, Paris, 1929, vol. 5, pp.64-65.

221.

« Lettres échangées entre Libermann, l’Evêque d’Amiens et le ministre de la Marine et des colonies, octobre, novembre, décembre 1843 », in Notes et documents relatifs à la vie du vénérable François-Marie-Paul Libermann, Paris, 1929, vol. 4, pp.482-497. L’accord marque une époque où missionnaires et militaires se rendent mutuellement service.

222.

Henri BRUNSCHWIG, Noirs et blancs dans l’Afrique noire française, Paris, Flammarion, 1983, p.41.

223.

Le cardinal Lavigerie précise en mars 1878, dans ses « Premières Instructions aux Pères Blancs de l’Afrique équatoriale » : « J’ordonne absolument aux Supérieurs de ne point laisser s’établir de relations entre les simples missionnaires et les agents de ces socitétés qui habitent l’Afrique équatoriale. Il en résulterait des inconvénients, des indiscrétions et, à la longue, des tiraillements de toute sorte ». in Ecrits d’Afrique, Paris, B. Grasset, 1966, p.160, Le passage est aussi rapporté par MERLE Marcel, « l’anticolonialisme », pp.611-645, in FERRO Marc, Le livre noir du colonialisme, Laffont, Paris, 2003.

224.

Elikia M’Bokolo rapporte que les missionnaires n’ont pas servi la politique du « poste » et les officiers de marine français ne devaient compter que sur eux-mêmes. Noirs et blancs en Afrique équatoriale ; les sociétés côtières et la pénétration française (vers 1820-1874), Paris, EHESS, 1981.

225.

« Lettre de Bessieux adressée à M. Briot le 15 octobre 1845 », in Notes et documents relatifs à la vie et à l’œuvre du vénérable François-Marie-Paul Libermann, Paris, 1929, vol.5, pp.296-307. Bessieux estime que les conditions de vie se sont améliorées : « depuis 18 mois, il n’est mort personne au poste ».

226.

Libermann, Mémoire adressé à la Propagande, 15 août 1846, in Notes et documents relatifs à la vie et à l’œuvre du vénérable François-Marie-Paul Libermann, Paris, 1929, vol. 8, pp.219-277.

227.

Extrait de Mission de l’Afrique australe ou du Haut-Zambèze, Bruxelles, 1878. ARSI, Fonds Zambesiana, 1001 1-I, 2.

228.

C’est le cas de la mission du Haut-Congo dont l’isolement sert précisément d’argument à son Supérieur, le RP Roelens, quand il demande une aide exceptionnelle à la Propagation de la foi : sa mission est située « au centre du continent barbare et n’a pas à sa portée les ressources de la civilisation la plus rudimentaire. Aucun pays n’est situé en réalité aussi loin de toute civilisation que le vicariat du Haut-Congo, puisque les caravanes mettent 4, 5 et même 6 jours pour faire le trajet qui le sépare de la côte ». L’auteur explique le prix exorbitant du transport de matériel : 130 f pour 30 kg transportés de Zanzibar au Tanganyka. De plus, deux paquets sur dix ne sont pas arrivés à destination. Archives OPM G-39 Haut-Congo, Lettre du RP Roelens, de Baudoinville, 1er juin 1894, G 03130.

229.

TOURNEZY Odette, Contribution de la mission catholique du Gabon aux premières tentatives de mise en valeur et de connaissances du pays de 1844 à 1880, Thèse 3è cycle, EHESS, Centre d’Etudes Africaines, sous la direction de Henri Brunschwig, Paris, 1982.

230.

Rapporté par SIRUGUE Richard, L’implantation des missions catholiques au Gabon (1844-1876), Mémoire de maîtrise, Université Lyon III, p.118.

231.

Le RP Corbet, CSSp, missionnaire à Madagascar-Nord, écrit en novembre 1902 : « Bien que notre but principal soit l’évangélisation des infidèles, les missions s’occupent aussi de ceux qui connaissent déjà notre sainte religion, afin de développer parmi eux la foi et les vertus chrétiennes. Ce ministère est très fructueux et très consolant (.. ) Il est juste et convenable que les missionnaires s’appliquent avec zèle aux ministère sacré auprès des Européens ; car si le mauvais exemple de ceux-ci est souvent un obstacle au bien, leur vie chrétienne est une prédication bien efficace et qui produit une excellente impression sur les indigènes. D’un autre côté, les missionnaires ne doivent pas négliger leurs compatriotes français pour répondre aux désirs d’un grand nombre de familles qui ont des fils ou des parents à Madagascar. Souvent en effet des parents en France s’inquiètent de savoir si leurs enfants trouveront des secours religieux dans ces pays lointains et ils seront heureux en apprenant que les missionnaires s’intéressent à eux ». Archives OPM G-89 Madagascar-Nord, Rapport annuel adressé à l’œuvre, novembre 1902, G 06503.

232.

« Sur le plateau de Huilla », MC, n°1586, 1899, p.515. La description de Huilla, figurant au troisièmeépisode, paru dans le n°1589, p.533, est très proche de la carte.

233.

Archives OPM G-44 Cunène. Les rapports statistiques annuels adressés à l’œuvre de la Propagation de la foi, durant toute la décennie 1890 (G 03363 à G 03372) mentionnent tous les types de fléaux : sécheresses, sauterelles, peste bovine, guerres entre tribus et avancée des protestants. Chaque année, le RP Antunès, Supérieur général de la mission, attire la bienveillance de l’Œuvre sur « les pauvres peuples » de la P.A. de Cunène.

234.

En 1899 : missions de Chimbingito, de Jau, Huilla, de la Quihita et des Gambos.

235.

Règle provisoire de François Libermann pour les Missionnaires du St-Cœur de Marie, écrite à Rome en 1840 : « Du Supérieur de communauté », Tome II, pp.323-325 ; « Du Supérieur provincial », Tome II, pp.325-330.

236.

Archives spiritaines, Dossier Congo, « Lettre de Duparquet au T.RP », 19 septembre 1863, 2D23.21. Deux ans plus tard, par la lettre du 6 octobre 1865, Duparquet déclenche un débat dans la congrégation en proposant Mossamédès, choix qu’il confirme par une lettre adressée directement à Libermann le 29 octobre de la même année.

237.

OPM, G-33 Cimbebasie, « Lettre du RP Duparquet à l’Œuvre », 19 août 1878, G 02743.

238.

OPM, G-33 Cimbebasie, « Lettre du RP Duparquet à l’Œuvre », 21 décembre 1881, G 02748. Duparquet estime avoir obtenu la même protection portugaise pour les stations jésuites du Haut-Zambèze, lui permettant d’affirmer : « Toutes les forces du catholicisme, dans cette partie de l’Afrique australe, se trouvent unies pour lutter contre les efforts du protestantisme ».

239.

OPM, G-33 Cimbebasie, « Lettre du RP Lecomte, p.a. de Cimbébasie », 19 octobre 1892, G 02772.

240.

OPM, G-33 Cimbebasie, « Lettre du RP Lecomte, p.a. de Cimbébasie », 1er novembre 1897, G 02782.

241.

OPM, G-33 Cimbebasie, « Lettre de Duparquet », 1er novembre 1883, G 02753. Le missionnaire évoque les dimensions exceptionnelles de la Cimbebasie, « à ranger parmi les plus grandes du monde entier (..) Elle s’étend du 11° au 29° de latitude Sud et du 12° au 28° de longitude Est, soit 450 lieues sur 400 » ou encore 1800 km du Nord au Sud et 1600 d’Est en Ouest.

242.

Sur l’évangélisation au Congo, voir ERNOULT Jean, Les spiritains au Congo de 1865 à ns jours¸ Mémoire spiritaine, études et documents, Paris, 1995, 461 p.

243.

La légitimité des missionnaires est expliquée en 1874 par Duparquet : après avoir été chassés de Loanda en 1838, dont l’installation fut obtenue par le Saint-Siège en 1729, puis de l’Angola en général, les missionnaires du St-Esprit réagissent en fondant un séminaire à Braga, afin de former un personnel qu’acceptera sans doute le Portugal. Mais ils doivent quitter le littoral et remonter le Congo où ils fondent Landana. OPM, G-35, « Lettre de Duparquet », 10 février 1874, G 02861. Cet épisode prouve la capacité de réaction de la congrégation qui entend maintenir sa présence dans la région.

244.

Accompagné des RRPP Carrie et Schmidt.

245.

OPM, G-35 Congo, « Lettre de Duparquet », 3 janvier 1878, G 02868. Une route britannique devrait selon lui relier les deux côtes de l’Afrique et permettre aux missions spiritaines du Congo et du Zanguebar de se rencontrer dans la région des grands lacs.

246.

Les plus importantes sont représentées sous la mention « Stations de Stanley » sur la «  Carte du Congo (de l’embouchure au Stanley-Pool ) », MC-1882-HT, du RP Augouard.

247.

OPM, G-35 Congo, « Rapport du RP Carrie à l’Œuvre », 1879, G 02873.

248.

Les archives du Congo ne mentionnent pas d’augmentation de l’aide, ni de lettre de remerciement sur une éventuelle rallonge à titre exceptionnel.

249.

OPM, G-35 Congo, « Lettre du RP Carrie », 20 septembre 1880 : « deux missionnaires protestants se précipitent vers le centre de l’Afrique (..) Avec les protestants, tout est perdu pour nous au Congo si l’on ne vole pas promptement au secours de ses habitants. Hâtons-nous ! ». Mais Carrie se veut rassurant pour obtenir le soutien de l’Œuvre : « nous irons prudemment, même lentement si vous le voulez. Nous n’exposerons rien ».

250.

La carte «  du Gabon au Congo   », MC-1881-439, nommée aussi « Carte de l’Afrique équatoriale, d’après les dernières explorations », est la première à établir la liaison entre le Gabon et le fleuve. Elle montre que le trajet de l’explorateur relie les établissements spiritains. Une légende précise le caractère approximatif du chemin comme de la position de « Makoko » car aucun document n’est encore paru sur l’expédition. Le Bulletin de la Société de g éographie publie une carte de M. Hansen pour accompagner l’article de Dutreuil de Rhins, trois mois après : 7è série, II, décembre 1881, pp.514-523 ; mais « les matériaux sont insuffisants » estime la revue qui dénonce le tracé hypothétique du retour de l’explorateur sur la rive droite du fleuve. Dans le Tour du monde, la première carte date de 1887.

251.

OPM, G-35 Congo, « Lettre du RP Carrie » relayée par le Supérieur Schwindenhammer, 10 décembre 1880, G 02875.

252.

Carte du «  Congo (du Stanley-Pool à l’Equateur)   », MC-1886-20. Le fleuve est jalonné de petits drapeaux français sur sa rive droite qui délimitent ainsi le cadre dont bénéficient les missionnaires.

253.

Soit, par ordre de création : Landana en 1873, Mboma en 1880, Pinda en 1881 et Loango en 1883. D’après ERNOULT Jean, Les Spiritains au Congo, op. cit.

254.

OPM, G-35 Congo, « Lettre du RP Carrie, 20 septembre 1881, G 02878. Les 17.000 F se répartissent entre l’achat du terrain (2.000 F), l’entretien des trois missionnaires (12.000 F), le voyage et les trousseaux des deux nouveaux arrivants (3.000 F).

255.

OPM, G-35 Congo, « Lettre du RP Carrie », 8 septembre 1882, G 02881. Le missionnaire demande 20.000 F pour Stanley-Pool, 16.000 pour Landana, 9.000 pour St-Antoine de Pinda et Loango, 6.000 à Mboma.

256.

OPM, G-131 Zanguebar, « Lettre du RP Horner, 31 octobre 1877, G 08948.

257.

«  De Bagamoyo à Mhonda   », MC-1878-175. La carte relate un voyage d’exploration dans l’Oukami en août 1877. Elle présente habilement Mhonda comme le point le plus intérieur jamais atteint par les missionnaires et entretient l’ambiance de compétition en représentant le projet d’ une mission anglaise protestante à Mpouapoua, encore plus à l’intérieur dans l’Ousagara.

258.

OPM, G-131 Zanguebar, « Lettre du RP Baur », 1er novembre 1880, G 08954. Le Supérieur demande une aide extraordinaire de 36.000 F pour financer cette seconde mission de l’intérieur, chez les Vassigouas. Cette station de Mandera nécessitera 12.000 F un an plus tard. « Rapport général des recettes et dépenses », 1881, G 08955.

259.

OPM, G-132 Zanguebar Nord, « Lettre de Mgr Courmont », 1er mars 1890, G 08972.

260.

OPM, G-132 Zanguebar Nord, « Rapport général des recettes et dépenses », 1890, G 08974.

261.

OPM, G-132 Zanguebar Nord, « Rapport général des recettes et dépenses », 1897, G 08986. Cette liaison ferroviaire constitue l’argument principal pour un développement de la mission au Kikouyou. Deux cartes la représentent : «  Chemin de fer de l’Ouganda   », MC-1899-611 ; «  Kikouyou  », MC-1902-482.