Recourir aux catéchistes

Considérés comme de simples auxiliaires, les catéchistes sont appelés à jouer un rôle fondamental dans la phase d’extension de l’évangélisation. Représentés sur les cartes, ils deviennent des acteurs de l’approche spatiale de la mission. L’exemple du Cameroun montre que les catéchistes constituent un moyen et un enjeu de l’évangélisation.

De précieux auxiliaires..

Le recours aux catéchistes en Afrique est conseillé dès 1846 par Libermann. Dans le Mémoire407 qu’il adresse à la Propagande, il préconise de choisir parmi les enfants ceux qui auraient du talent mais qui ne peuvent être promus au sacerdoce. Avec une instruction solide et la connaissance du chant et des cérémonies de l’Eglise, ils seront d’un secours immense aux missionnaires. Il s’agit de faire des catéchistes des « exemples ». Et dans certaines localités trop malsaines pour être l’habitat d’un prêtre européen, ces hommes peuvent les remplacer. Libermann espère les intégrer aux ordres mineurs, en permettant à l’Evêque de leur conférer la tonsure et le droit de porter l’habit ecclésiastique. C’est pourquoi il faut selon lui procéder avec prudence au moment de leur désignation. Enfin, un tel auxiliaire doit recevoir un traitement annuel de 400 F408. Les catéchistes seraient donc une catégorie d’élèves, repérés et formés par le missionnaire pour devenir ses auxiliaires.

Les catéchistes présentent de nombreux avantages : ils assurent une permanence de l’évangélisation, en l’absence du prêtre qui ne visite parfois le village qu’une fois par an. Installé dans une case ou à un poste, qui tient lieu de chapelle, ils assurent l’instruction et entretiennent la foi. Les catéchistes permettent aussi d’étendre le rayon d’action du missionnaire qui les charge parfois de porter plus loin le message du Christ en contactant de nouvelles populations à sa place. Cette forme d’apostolat peut alors avoir un impact plus efficace, du fait de la communauté de langue et de mœurs. C’est l’avantage du catéchiste sur le missionnaire que Lavigerie résumait par « la voix du sang », considérant que l’œuvre durable d’évangélisation devait être accomplie par les Africains eux-mêmes, devenus chrétiens et apôtres. Dans certaines missions, les catéchistes sont aussi présentés comme un rempart à l’extension de l’islam.

Malgré ces qualités, l’emploi des catéchistes ne devient une priorité qu’à partir des années 1890409, s’inspirant sans doute du modèle protestant ; la concurrence avec l’autre christianisme impose un changement de rythme : il ne s’agit plus d’occuper le terrain ; il faut le faire plus vite que les adversaires. Et leur progression est préoccupante, parce qu’aux dires des missionnaires, elle est rapide et agressive. Le recours aux catéchistes devient une parade, comme l’explique le RP Lejeune, missionnaire à Lambaréné :

« L’idée des catéchistes me vint d’une singulière façon. A mon arrivée à Lambaréné, je trouvais des protestants armés d’une bible, d’un accordéon, d’un livre de chant, dans chaque village (..) Je voulus un jour entendre ce qu’il disait, et à mon grand étonnement, j’entendis qu’il promettait beaucoup de manioc, beaucoup de poisson frais aux futurs élus (..) Je lui demandai de me montrer dans sa Bible un texte qui prouvât sa doctrine (..) Mon docteur ne savait pas lire. Eh bien ! pensais-je ce jour-là, les protestants ont deux fois plus d’adeptes que nous et ce sont leurs docteurs qui leur donnent tant de vogue. Leur seule arme est leur toupet ; moi aussi, je vais leur montrer le mien. Je revins à la mission, mon œuvre de catéchistes dans la tête, et c’étaient les protestants qui l’y avaient mise410 ».

C’est précisément au Gabon, lors de sa première visite en 1892-1893, que le nouveau v.ap. Mgr Le Roy prend conscience du caractère indispensable des catéchistes :

« Nous nous trouvons présentement en face d’une œuvre immense et dont l’immensité même nous écrase. Comment suffire à tout, à tout le pays, à tant de tribus, à tant d’âmes ? Il nous faudrait des catéchistes par centaines pour préparer, instruire, entretenir. Mais ces catéchistes ne peuvent travailler pour rien (..) et quand d’ailleurs ils ont à vivre, à s’acheter une femme (c’est ici l’expression juste et consacrée), à voyager, à se nourrir, à se construire une case, une école, une chapelle. Par an et par homme, il faudrait 200 à 250 F, moyennant quoi, au bout de quelques mois, tout un village serait chrétien411 ».

Nommé à la tête de sa congrégation quatre ans plus tard, le Supérieur Le Roy donne une impulsion à la pratique en la diffusant à toutes les missions, attitude que l’on observe d’ailleurs dans les autres congrégations, et que montrent les rapports adressés à l’Œuvre.

Tableau 17 : Les catéchistes dans les rapports adressés à l’Œuvre (1894-1914)
Tableau 17 : Les catéchistes dans les rapports adressés à l’Œuvre (1894-1914) Ont été consultés les dossiers suivants : Archives OPM, G-36 Bas-Congo, G-37 Congo belge, G-39 Haut-Congo, G-119 Tanganyka, G-89 Madagascar-Nord. A partir de 1894-1895, chaque rapport évoque les catéchistes. Les dates correspondent au moment où les missionnaires mentionnent dans leur rapport le caractère indispensable des catéchistes.

Les conditions de recrutement et les responsabilités que leur délèguent les missionnaires diffèrent. Une mission récente se démarque aussi par de faibles effectifs413. Mais dans tous les cas, les effectifs de catéchistes augmente. Des écoles sont créées pour les former. En 1914, une mission emploie forcément ces auxiliaires. Ainsi, en l’espace de 10 ans, le recours aux catéchistes a connu une impulsion et s’est systématisé.

.. représentés sur les cartes..

L’intérêt porté aux catéchistes provient des témoignages qui ont assuré leur publicité. Les cartes quant à elles les ignorent jusqu’aux années 1890. Puis elles les localisent et les représentent par un figuré, identifié dans la légende. Cette apparition se produit en même temps qu’ils suscitent l’intérêt auprès des congrégations. L’impulsion des années1890 et 1900 est confirmée, comme le montrent six cartes publiées par les Missions catholiques. Chacune vante l’intérêt spatial qu’apporte l’emploi d’un catéchiste pour la mission, avantage que montre plus difficilement la correspondance habituelle.

Tableau 18 : Les catéchistes dans les cartes publiées par les MC vers 1900
Mission Gabon Gabon M. des Falls M. des Falls Loango Madagascar-central
Congrégation CSSp CSSp Sacré Cœur de Soissons Sacré Cœur de Soissons CSSp SJ
Date 1896 1899 1903 1907 1908 1909
Références MC-1896-556 MS-1899 MC-1903-341 MC-1907-491 MC-1908-319 MC-1909-293

Figuration
Légende
poste de
catéchiste
catéchiste

poste
religieux
résidence des
catéchistes
catéchiste
instituteur
chapelle

Les Missions catholiques associent dès le départ, en 1896, témoignage et carte sur le sujet. L’article du RP Lejeune sur les « Catéchistes de l’Ogowé » résume l’intérêt spatial de la méthode : dans une paroisse très vaste, les catéchistes permettent de suppléer à la pénurie de missionnaires, selon la remarque suivante :

« Ma paroisse représente un cercle de soixante-dix lieues de rayon. Je crains de m’être trompé, non pas en exagérant, mais en restant au-dessous de la vérité. Bien des curés de trois, quatre et six vicaires, doivent se demander comment il est possible d’administrer une pareille étendue (..) Nous sommes donc forcés de recourir aux catéchistes414 (..)

Le missionnaire ne peut pas être partout ; il ne peut pas visiter tous les jours sa paroisse, surtout quand elle a l’étendue de la nôtre. Tout au plus peut-il visiter les villages éloignés de dix lieues, six à huit fois par an, ceux de vingt lieues quatre fois, ceux de soixante lieues une fois. Et dans l’Ogowé, il y a à visiter dans le haut fleuve, dans le bas fleuve, dans toutes les rivières, dans tous les lacs, de tous côtés. Le maximum du temps qu’il peut donner par an à chaque village est de huit jours. Mais combien de villages ne le verront jamais, même trois jours ! »

Cette présentation concentrique de l’apostolat permet d’aborder plus en détail la tactique :

« Nos catéchistes restent d’un bout de l’année à l’autre à leur poste ; ils ont comme une paroisse où ils instruisent, encouragent, baptisent les moribonds. Chacun a autour de lui dix à quinze autres villages qu’il doit visiter deux fois par semaine tour à tour. Au son d’une clochette, il appelle tout son monde ; il chante un cantique, récite le chapelet (..) et commence son catéchisme415 »

Cet exposé est conforme à la carte qui l’accompagne416.(cf : L’Ogowé ) Elle mentionne la mission, unique, localisée à Lambaréné et les villages, dont les plus importants sont nommés. Les postes de catéchistes sont échelonnés sur les rives de l’Ogowé et du lac Onangué, comme pour couvrir l’ensemble de la côte. Leur répartition est le fruit d’une volonté d’occuper tout l’espace fluvial, avec lequel contraste une terre peu connue et vide. Les catéchistes sont donc chargés d’une portion du littoral, sur lequel ils se déplacent en pirogue, d’un village à l’autre. Les noms donnés à ces postes de catéchistes témoignent du désir d’appropriation et de marquage : St-Joseph d’Oronga, Germainville, Paris, Bethléem, Madère.

Avec le « poste » qu’il occupe, le catéchiste apparaît sur la carte et dans l’univers de la mission. La figure de l’auxiliaire sort de l’ombre, et rejoint le missionnaire qu’il relaie dans sa tâche d’évangélisation. Alors que l’article du RP Lejeune insiste sur son caractère indispensable, la carte conclue sur le plan d’évangélisation que permet le catéchiste. Grâce à lui, il est possible de contrôler tout le fleuve et la carte doit montrer que tous les villages sont tenus, aboutissant à une sorte de bilan spatial de l’apostolat. Trois ans plus tard, une autre carte, manuscrite, portant sur l’ensemble du Gabon est adressée par les Spiritains à la Propagande417.(cf : V.A. du Gabon ) Elle dresse le même bilan, mais cette fois, en ne conservant que les installations chrétiennes. La légende recense dans l’ordre les missions centrales, les missions de secours, les catéchistes et les limites du vicariat. La figuration choisie pour les catéchistes reste le point, mais il est colorié en rouge, comme le reste de la légende, insistant sur le fait qu’il faut le comptabiliser dans l’état de l’évangélisation au Gabon. Les catéchistes sont dorénavant intégrés à l’organigramme de la mission et dans la hiérarchie régulière de l’Eglise. Les représenter permet d’augmenter les signes d’évangélisation et les 55 points qui entourent les 16 croix de missions accroissent l’effet d’occupation. Il n’y a pas d’exagération car dans l’esprit des missionnaires spiritains, ces catéchistes participent pleinement à l’apostolat. D’ailleurs, leur présence prouve le travail d’encadrement effectué par les missionnaires.

Les cartes de la décennie 1900 confirment cette intégration418, (cf : Madagascar-Central , Mission des Falls , Congo belge desarte de la P.A. des RR.PP. Rédemptoristes ) comme le montre d’ailleurs l’évolution de la figuration : identifiés au départ par un simple point, que l’on peut intelligemment colorier419, les catéchistes font ensuite l’objet d’une croix latine, parfois surplombant un cercle, soit le figuré traditionnellement réservé au chef-lieu de paroisse, à une résidence de missionnaire ou une station420. Dorénavant, le lieu qu’occupe le catéchiste, véritable extension de la mission, peut donc être considéré comme un endroit gagné au christianisme, ce que contestent d’ailleurs certains421. Au-delà des débats sur la stratégie missionnaire, le recours aux catéchistes offre une image positive de la mission. Représenter les catéchistes sur les cartes, c’est montrer la frange la plus active de la mission, celle qui connaît les progrès les plus visibles spatialement, alors que des missionnaires adoptent un mode de vie sédentaire dans leur station et qu’ils chargent leurs auxiliaires d’encadrer des populations qu’ils n’ont parfois jamais directement rencontrées. Les catéchistes offrent une image conquérante de la mission catholique, sur le paganisme ou l’erreur protestante. Les cartes les montrent comme les soldats sur un plan de bataille, mais face à un ennemi qui n’est pas représenté, à quelques exceptions près422.(cf : Congo belge des RRPP Rédemptoristes ) L’objectif reste le contrôle du terrain que l’on dispute aux adversaires.

Cette assimilation de la mission et du champ de bataille constitue le sujet d’une carte portant sur les environs de Moyamba, publiée par les Missions catholiques en 1922423.(cf : Environs de Moyamba ) D’un coup d’œil, le lecteur peut englober toute la région en recensant stations catholiques et stations protestantes, exceptionnellement représentées. La légende invite le lecteur à aider la mission : ses dons financeront l’installation d’un catéchiste, représenté par une croix latine supplémentaire qui occupera le terrain et supplantera numériquement les croix de Genève adverses. Cette méthode permet d’impliquer le lecteur ; projeté dans la situation locale de Moyamba, la carte le place dans la position enviable du décideur, du tacticien qui fait avancer ou reculer ses troupes. Le drame qui se noue à Moyamba reste l’éternel conflit entre la foi et l’hérésie. Mais cette fois, le lecteur peut intervenir en utilisant des armées –les catéchistes424-(Cf. Annexe 14 : Les catéchistes du Cameroun .) que l’article l’invite à placer aux extrémités de la ville, sur des points stratégiques. Au passage, on découvre que leur position n’est pas due au hasard ; chaque poste de catéchiste contrôle une route menant à Moyamba, soit une position décisive pour l’issue du rapport de force. Bien entendu, ce document ne prend toute sa signification qu’après l’épisode encore présent dans les esprits de la première guerre mondiale, servi par un article qui fourmille du vocabulaire militaire425. Mais il présente pour la première fois des précisions tenues traditionnellement à l’écart du grand public et réservées à la correspondance entre missions et congrégations.

La représentation des plans d’évangélisation à petite échelle se multiplie à mesure que l’évangélisation progresse et que le réseau de station se densifie. Dans les années 1920, les catéchistes constituent le moyen le mieux approprié pour combler les vides entre les stations. C’est l’étape du maillage, adoptée aussi par les missionnaires protestants. En 1922, la brochure habituelle de la Société des Missions Evangéliques de Paris rappelle encore à propos du Gabon l’intérêt des catéchistes pour le programme apostolique :

« Ce fut une des premières et principales occupations des missionnaires que de s’entourer d’un corps de catéchistes instruits et dévoués, capables de les aider à répandre la Bonne Nouvelle. Et c’est bien là qu’est l’avenir : suppléer à notre petit nombre en employant des évangélistes indigènes, qui supportant mieux que nous le dur climat de leur pays,pourront aller toujours plus loin dans l’intérieur (..)

En attendant, le programme de la Mission qui consiste à enserrer tout le pays dans les murailles d’un étroit réseau d’annexes, de telle sorte qu’il n’y ait pas un seul village qui ne reçoive l’Evangile, se réalise peu à peu. Les Pahouins accueillent avec joie ces messagers et le nombre des chrétiens et des catéchumènes devient tel que les fêtes de communion générale sur les stations doivent être abandonnées et en partie transportées sur des annexes centrales (..)

Le district de Lambaréné se perd dans les lacs de la Petite-Rivière, sur la rive droite et s’étend sur la Ngounié, affluent de gauche, tandis que de Ngomo on visite la région très peuplée des grands lacs de la rive gauche et le bas fleuve, jusque chez les Nkomi. Presque partout la jonction s’établit entre les annexes des stations de l’Ogooué et celles du Como et du Ramboué qui dépendent de Baraka426 ».

La compétition entre chrétiens augmente et alimente les cartes adressées aux congrégations. Quelques exemplaires consultés dans les archives spiritaines dévoilent ces plans. A chaque fois, il y est question d’une concurrence acharnée pour contrôler le territoire. Une carte de l’infiltration protestante au Loango au 1/1.000.000è datée de 1920427 (cf : Carte du V.A. du Loango ) montre par exemple un espace complètement balisé dans lequel aucune localité n’échappe à l’un ou l’autre adversaire. Les ethnies, représentées, sont les cibles, l’objectif de chaque mission. Le croquis cartographie cinq stations protestantes et deux catholiques, ainsi que d’anciennes stations et d’autres en projet. Il permet de dresser un véritable plan de bataille pour lutter contre l’infiltration qui semble privilégier la réoccupation d’anciennes stations menacées par des catéchistes protestants. Autre exemple, la carte de la mission de Berberati en Haute-Sangha établie au 1/2.000.000è en 1927428. (cf : Carte de la Haute- Sangha, Mission de Berberati ) Cette fois, le document porte sur le déploiement des catéchistes, en distinguant les « postes occupés » de ceux « à occuper dès que possible ». Le Sud est catholique, le Nord et l’extrêmeSud protestant. Les postes à occuper, au centre, invitent à sortir d’une situation d’encerclement. La carte mentionne aussi précisément les voies de communication –routes carrossables ici- achevées ou en projet, car un poste de catéchiste doit occuper une position privilégiée de carrefour. Très vite, de jeunes auxiliaires seront appelés à s’installer dans ces endroits pour prendre possession du territoire. De telles cartes traduisent des stratégies territoriales propres aux missionnaires, formulées dans des situations d’urgence et de danger. Elles répondent à des questions du type « Où sont les Protestants ? Comment lutter contre leur progression ? Y a t-il un risque ? Où déployer les catéchistes ?». Adressées à la congrégation, elles prouvent le désir d’alerter les bases arrières de la mission, dans l’objectif de solliciter des renforts plutôt que d’obtenir des conseils de tactique.

Dans ces deux exemples, les catéchistes sont plutôt utilisés comme moyen de pénétration ou de résistance à une influence missionnaire. Finalement, ils peuvent devenir un enjeu.

.. deviennent un enjeu de l’évangélisation : l’exemple du Cameroun

La mission du Cameroun connaît une histoire particulière. Erigée en 1890, la P.A. est confiée aux Pères Pallotins allemands, en conformité avec la puissance coloniale. Transformée en V.A. en 1905, elle est partagée et donne naissance à la P.A. de l’Adamaoua en 1914. Quand éclate la première guerre mondiale, les Britanniques du Nigeria et les Français du Congo pénètrent dans la colonie d’où ils chassent les missionnaires allemands. Craignant une poussée protestante anglo-américaine, le personnel des missions adjacentes est sollicité pour occuper les stations qu’ont dû quitter les Pallotins, à charge de les leurs remettre une fois la paix retrouvée429 (cf : Cameroun et missions adjacentes ). Mais le traité de Versailles, en confiant à la France le mandat du Cameroun, pérennise la situation.

La société protestante américaine tenta de mettre à profit cette situation. Malgré l’interdiction par l’autorité coloniale de fonder de nouveaux centres, la société américaine, profitant de sa neutralité, déploya des catéchistes pour limiter la mission catholique à Yaoundé : « Les Américains installent ça et là des évangélisateurs, batailleurs, accrocheurs, qui traversaient les contrées Bible en main, carnet en poche et crayon à l’oreille430 ». En 1922 au Cameroun, comme à Moyamba au Sierra Léone, les protestants construisirent de nombreuses cases-chapelles sur les routes qui menaient à des postes de catéchistes catholiques. L’encerclement devait venir à bout de la mission concurrente. Pourtant, le réseau de catéchistes mis en place par les catholiques résiste, et ce malgré le départ des missionnaires allemands.

L’œuvre accomplie par les Pallotins est exemplaire, précisément en ce qui concerne les catéchistes. Augustin Sagne, qui a comparé les stratégies protestantes et catholiques dans l’Ouest du Cameroun, estime que la formation des indigènes auxiliaires constituait une première préoccupation431 : une école fut fondée en 1891, on traduisit de nombreux manuels en langue locale et chaque station sélectionnait ses meilleurs élèves qu’on rassemblait à l’école des catéchistes à partir de 1906. La méthode est plébiscitée par le RP Briault, CSSp, dans une conférence sur l’expansion des missions, qu’il donne en 1929 à l’Institut catholique de Paris432. Le Spiritain veut rendre justice à l’œuvre des Pallotins qu’il érige en modèle et qui devrait selon lui inspirer sa propre congrégation. En effet, Briault reconnaît tout d’abord que les Spiritains de la première génération, préféraient se fier à eux-mêmes, repoussant jusqu’aux années 1890 le recours aux auxiliaires indigènes. Puis il explique que la création des postes et l’obligation de les visiter obligeait le missionnaire à « sortir des stations ». Enfin, il avoue que la méthode n’atteignait son rendement maximal que lorsque les conditions de densité de population et de législation énergique étaient réunies, ce qui fut le cas au Cameroun : les Allemands découpèrent méthodiquement le pays Yaoundé en districts limités ou rien ne fut laissé à l’arbitraire. Un programme de planification433 fut établi : il a permis une extension rapide et complète de la mission, avec une évangélisation portée à 350 km de la station de départ434 ! Par souci de réalisme et pour actualiser son propos, le conférencier cite les paroles du RP Pierre Pichon, missionnaire du pays Yaoundé :

« Le V.A. du Cameroun est une des missions du monde entier qui a le plus de catéchistes. Nous avons 1890 catéchistes répandus par toute la brousse et qui enseignent, chacun dans sa case-chapelle, la lettre du catéchisme ; autant dire que l’enseignement du catéchisme se fait sans nous, en dehors de nous, missionnaires, et grâce aux seuls catéchistes qui retiennent dans les catéchuménats les 128.000 candidats au Baptème (..)

Parmi les raisons de cette efficacité, le Père évoque la moralité du personnel :

« Nous avons aussi des moyens de contrôle, de recoupement, d’investigation, qui nous permettent à l’occasion de nos tournées surtout, d’apprendre que tel ou tel catéchiste n’a pas encore abandonné les pratiques païennes ou ne se conduit pas conformément aux mœurs chrétiennes. Chaque catéchiste est toujours doublé, dans un village, d’un chef des chrétiens. De plus, si le Père ne peut se rendre fréquemment au village pour le visiter, il y délègue un chef de catéchiste, nanti d’un cahier de rapport, sur lequel sont inscrites toutes les observations435 ».

Si d’autres raisons sont avancées pour expliquer la réussite de cette mission436, l’utilisation planifiée et contrôlée des catéchistes a été décisive, ce qui pousse le RP Briault à rendre hommage à..

« ..ces humbles tâcherons de l’Eglise d’Afrique. Cinquante ans, soixante ans durant, les architectes, les maîtres d’œuvre ont obscurément creusé ses fondations : si aujourd’hui lesmurs sortent partout de terre, ici plus hauts, là moins élevés, partout solides, c’est que chacun de ces obscurs travailleurs y a apporté sa pierre437 ».

En 1931, une brochure éditée par les Prêtres du Sacré Cœur de St-Quentin sur leur mission de Foumban rend hommage aux catéchistes (Cf. Annexe 14 : les catéchistes du Cameroun )438. Des photographies les présentent alignés, comme sur un souvenir de promotion. Âgés de 16 à 30 ans, habillés à l’européenne, avec un chapeau, une cigarette ou une bible à la main, ils sont regroupés sans la présence du missionnaire. Or, jusque là, les catéchistes encadraient le prêtre qui était assis au milieu d’eux. Et auparavant encore, quand le catéchiste était seul, il apparaissait sur des photos pour accompagner le missionnaire439. Ainsi, le processus d’individualisation concernant les catéchistes continue : après avoir été plébiscités par les lettres missionnaires et simultanément représentés sur des cartes à partir de la décennie 1890, les catéchistes sont photographiés et présentés dans la décennie 1930 comme les troupes fraîches du christianisme, les forces vives de l’évangélisation. Sans doute parce qu’ils correspondent enfin à l’objectif premier de la mission qui est la mise en place d’une Eglise africaine. Entre 1890 et 1930, la considération sur les catéchistes s’est complètement inversée. Perçus au départ comme de simples auxiliaires, ils prennent le relais du missionnaire et assurent finalement l’évangélisation à sa place, devenant les cadres d’une Eglise indigène. Mais ce processusdépend de la responsabilité que veulent bien leur céder les missionnaires440.

L’impératif cartographique est adopté par toutes les congrégations qui exigent, comme la Propagande ou la Propagation de la Foi des comptes-rendus statistiques régulièrement mis à jour. De plus, chaque mission dresse des plans d’évangélisation et utilise les mêmes procédés. Ainsi, comme les raisons de cartographier sont les mêmes d’une mission à l’autre, l’analyse de contenu doit révéler une certaine homogénéité entre les cartes, notamment dans les sujets représentés et ce quelque soit l’auteur et la pratique qu’il possède. Qu’en est-il ? Et quelle différence distingue la carte d’un missionnaire d’un autre ?

Notes
407.

Mémoire adressé à la Propagande, op. cit., pp.248-249. Les catéchistes interviennent dès le début de la « méthode », placés aussitôt après la formation des prêtres, avec celle des maîtres d’école.

408.

« Lettre de François Libermann au Ministère de la Marine, le 20 janvier 1846 » in LIBERMANN, Notes et documents relatifs à la vie et à l’œuvre du vénérable François-Marie-Paul Libermann, Paris, 1929, vol. 8.

409.

KOREN Henri, Les spiritains , op. cit.. L’auteur rapporte que le premier corps de catéchistes ne voit le jour que 30 ans après le Mémoire de Libermann. Vers 1872, deux missionnaires furent affectés à leur formation au Gabon.

410.

RP Lejeune, « Les catéchistes de l’Ogowé », in MC, 1896, n°1433, p.557.

411.

Rapporté par GORE Henri, Un grand missionnaire, Mgr Alexandre Le Roy, Paris, Procure du St-esprit, 1952, p.102.

412.

Ont été consultés les dossiers suivants : Archives OPM, G-36 Bas-Congo, G-37 Congo belge, G-39 Haut-Congo, G-119 Tanganyka, G-89 Madagascar-Nord. A partir de 1894-1895, chaque rapport évoque les catéchistes. Les dates correspondent au moment où les missionnaires mentionnent dans leur rapport le caractère indispensable des catéchistes.

413.

La mission de Madagascar-Nord est dirigée par les Spiritains depuis 1899 seulement. Douze ans plus tard, elle ne compte que 13 catéchistes pour 32 prêtres car le v.ap. Mgr Corbet a préféré l’installation de missionnaires fixes plutôt que des catéchistes abandonnés à eux-mêmes Cet exemple montre l’adaptation des consignes à la situation locale et prouve qu’une certaine liberté est permise aux responsables de mission.

414.

RP Lejeune, « Les catéchistes de l’Ogowé », op. cit., p.557. Le missionnaire mentionne le RP Bichet parmi les confrères les plus proches. Sa position, à Fernan-Vaz, se trouve à huit jours de pirogue.

415.

Ibid, p.587.

416.

«  L’Ogowé  », MC-1896-556.

417.

Une autre, réduite au quart, est destinée à la Propagation de la foi : «  V.A. du Gabon   », MS-1899, 1eroctobre 1899.

418.

La carte de «  Madagascar-Central   », MC-1909-293, les dissimule encore sous l’appellation « Chapelle ». Mais les documents sur la mission des Falls, sans doute du RP Grison, mentionnent des « postes religieux » en 1903 et les « résidences des catéchistes » en 1907. Cf.«  Mission des Falls   » MC-1903-341 et «  Stanley Falls  », MC-1907-491. En revanche, le «  Congo belge desarte de la P.A. des RR.PP. Rédemptoristes   », publié en 1911, distingue « postes de catéchistes » et « écoles-chapelles ».

419.

L’utilisation de la couleur, rouge en l’occurrence, associe le poste du catéchiste aux autres lieux de la mission qui sont traditionnellement coloriés en rouge, comme sa résidence principale, ses stations et ses limites. Le lecteur repère plus rapidement ce qui, créé par les missionnaires, relève du christianisme, dans l’environnement.

420.

Sur la figuration habituelle des sites religieux, voir la synthèse encore inégalée sur le sujet : de DAINVILLE François, SJ, Le langage des géographes : termes, signes, couleurs des cartes anciennes : 1500-1800, Paris, Picard, 1964, 385 p. ; voir aussi de Dainville, « Problèmes de cartographie historique des Eglises », pp.391-445, in La cartographie, reflet de l’histoire, recueil d’articles, Paris, éditions Slatkine, 1984, 491 p.

421.

Des débats opposent les missionnaires au moment de la désignation des aides. Certains privilégient des prêtres formés, d’autres des catéchistes, plus nombreux mais moins sûrs. Mgr Corbet, Supérieur de la mission de Madagascar-Nord, explique en octobre 1911 qu’il préfère installer un missionnaire sur un poste fixe plutôt que de recourir à des catéchistes. C’est selon lui la clé de l’évangélisation, qu’il se propose d’illustrer avec une nouvelle station à Ambata, « entourée de beaux villages où les protestants ne sont pas encore établis ». Selon lui, un missionnaire dissuaderait davantage les adversaires. Archives OPM, G-89 Madagascar-Nord, « Lettre de Mgr Corbet », 5 octobre 1911, G 06536.

422.

Au Congo belge, dans le tout récent P.A. de Matadi, une brochure de 19 pages tente de réunir des fonds pour la mission. Associée, une carte du «  Congo belge des RRPP Rédemptoristes  », MS-1911, représente exceptionnellement les résidences des protestants. Les postes de catéchistes sont placés dans la légende après les résidences des pères et les écoles-chapelles. Leur localisation est fixée par les axes de communication, chemin de fer et routes des caravanes, et évite très nettement les régions où est située une résidence de missionnaires protestants.

423.

«  Environs de Moyamba   », MC-1922-322.

424.

L’idée selon laquelle les catéchistes composent une armée n’est pas déplacée. Les nombres importants avancés par les missions, qui dépassent parfois la centaine, laissent imaginer des cohortes de soldats prêts à défendre la croix. C’est précisément dans les années 1920, avec la généralisation des catéchistes, que leur représentation sur des photographies change. Cf. Annexe 14 : Les catéchistes du Cameroun .

425.

L’auteur, le RP Raymond, CSSp, est en partie responsable. Il fait partie des missionnaires qui ont reçu initialement une formation militaire à l’école de Saint-Maixent. Il effectue aussi son retour au Sierra Leone après un passage dans les tranchées. « De Bello ad Bellum », in MC, 1922, n°2745.

426.

Nos champs de mission, Société des missions évangéliques, Paris, 3è éd., 1922, pp.89-92.

427.

«  Carte du V.A. du Loango   », MS-1920, 17 novembre, Archives spiritaines, Dossier Congo, 3J1.8.a.1.

428.

«  Carte de la Haute- Sangha, Mission de Berberati   », MS-1927, 7 octobre, Archives spiritaines, Dossier Oubangui-Chari, 5J1.2.a.2.

429.

C’est ainsi que le Supérieur Le Roy justifie la mobilisation de sa congrégation, dans l’article « Au Cameroun », in MC¸1916, p.326. Les missionnaires sont surtout les Britanniques de Mill-Hill, issus du Nigeria voisin et les spiritains français de l’Oubangui-Chari. Certains retrouvent une partie des terres concédées à l’Allemagne dans le célèbre accord colonial de 1911 et que la France s’était empressée de réoccuper en 1914. Le Roy rappelle la situation par une carte : «  Cameroun et missions adjacentes   », MC-1916-326.

430.

D’après le RP Guillet, CSSp, rapporté par LOMO-MYAZHIOM Aggée Célestin, Sociétés et rivalités religieuses au Cameroun sous domination française (1916-1958), Paris, L’harmattan, 2001, pp.296-298.

431.

SAGNE Augustin, Evolution des stratégies missionnaires chrétiennes protestantes (SMEP) et catholiques (SCJ) dans le Mungo et à l’Ouest-Cameroun, 1917-1964, Thèse, juin 1995, p.35.

432.

RP BRIAULT, Conférence du 14 mars 1929, avant dernière d’un cycle consacré aux « Voies d’accès de l’apostolat africain », du 7 février au 21 mars 1929. Archives spiritaines, 2D12.3.a2.

433.

La préfecture est organisée en stations principales. Chacune comprend plusieurs stations secondaires ou de relais. Les stations principales constituent des lieux d’habitat des Pères, des frères, des sœurs, de certains élèves internes. Chaque station comprend une église, un dispensaire, une école, des internats, des ateliers. D’elles aussi dépendent plusieurs postes satellites qui ont chacune une école, une chapelle, un maître catéchiste.

434.

Augustin Sagne note que les missionnaires, lors des voyages d’exploration au Cameroun, sont « parfois émerveillés et presque effrayés par la rapidité avec laquelle s’est répandu l’Evangile ». SAGNE Augustin, Evolution des stratégies , op. cit.¸ p.162.

435.

Article non titré du RP Pichon, rapporté par le RP Briault dans sa conférence, op. cit .

436.

Philippe Laburthe-Tolra désigne plutôt le choix de l’emplacement des stations, qui exigeait au moins cinq conditions favorables, ainsi que le doublement des prêtres dans chaque poste missionnaire et la création en 1911 d’une S.A.R.L. chargée d’acquérir les terrains. LABURTHE-TOLRA Philippe, « La mission du Cameroun et la missologie », in CREDIC, Science de la mission et formation missionnaire au XXè, Actes XIIè session du CREDIC, Vérone, août 1991, Lyon, p.127.

437.

RP BRIAULT, Conférence, op. cit.

438.

La carte générale placée en début de brochure, de trop petite échelle, ne représente pas les catéchistes, ni d’ailleurs aucun élément habituel comme les résidences ou les stations. Les clichés les montrent par groupe de village, dont le nom, seul, établit un lien avec la carte.Reste aulecteur le soin d’associer la photographie à la carte pour se rendre compte de leur déploiement et mesurer le niveau d’encadrement de la population.

439.

C’est une photo type dont le titre était le plus souvent « le RP etson catéchiste au départ d’une tournée ».

440.

En 1986, une table ronde organisée par le CREDIC et dirigée par René Luneau, devait rappeler que le catéchiste n’était pas l’auxiliaire du prêtre ou son vicaire, avant de le définir comme « le responsable d’une communauté chrétienne plus ou moins éloignée de la station principale ». LUNEAU René, Naître et grandir en Eglise ; le rôle des autochtones dans la première inculturation du christianisme hors d’Europe, Actes du colloque du CREDIC de Chantelle sur Allier, août 1986, Lyon, Université Jean Moulin, 1987, pp.216-235.