L’examen toponymique

Toponymes ou ethnonymes ?

Tableau 20 : Comparaison des toponymes sur quelques cartes des années 1880
Mission Référence
Echelle

Taille
en cm

Lacs,
Rivières

Paysage

Relief

Total nature

Localité, village

Ethnie

Total popu-lation

Total
dont
nom
euro-péen
Afrique équatale
MC-1879-HT
1/2.500.000

58x40

62

4

7

73
(18 %)

234

104

338
(82 %)

411

5
Zanguebar
MC-1882-HT
1/1.100.000

38x29

42

6

14

62
(34 %)

109

13

122
(66 %)

184

0
Zambèze
MC-1882-HT
1/4.400.000

37x34

239

2

11

253
(51 %)

199

44

243
(49 %)

496

22
Antananarivo
MC-1895-HT
1/100.000

48x38

10

6

116

134
(19 %)

568

0

568
(81 %)

702

3

La comparaison de quelques cartes particulièrement riches, dressées dans les années 1880 par des missionnaires de congrégations différentes, aboutit à plusieurs remarques. Tout d’abord, elle confirme la majorité des toponymes de population, ou ethnonymes, parrapport aux toponymes de nature. Toutefois, l’élément le plus souvent nommé reste le village ou la localité. Leur omniprésence atteste d’une Afrique peuplée et socialement organisée et prouve que les missionnaires connaissent bien le terrain, à grande échelle. Elle peut aussi désigner en tant que marque d’évangélisation l’étendue exacte de l’apostolat, soit la mission effective. Ensuite, la comparaison s’intéresse au phénomène d’européanisation sur la carte. Le nombre de toponymes européens reste très faible546, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les missionnaires préfèrent le nom local et indigène à celui du colonisateur ; ce choix revendique la propriété du territoire pour ses premiers occupants et critique implicitement l’appropriation qui en est faite par les Européens. Mais il faut aussi constater l’absence des toponymes chrétiens, ce qui traduit l’incapacité des missionnaires à imposer leur vocable, ou plus simplement l’échec du baptème du territoire.Enfin, la question d’une cartographie différente selon les congrégations ne semble pas pertinente car aucune carte ne permet de reconnaître un « style » jésuite ou spiritain. Seule la carte d’Antananarivo, pour laquelle le RP Roblet a estimé près de 116 altitudes, se détache des autres et prouve le soin apporté par les Jésuites à la science cartographique. Pour le reste, il n’existe pas de choix toponymique particulier dans telle ou telle congrégation, ce qui confirme l’absence de directives sur le contenu des cartes à dresser. Un examen graphique des quatre cartes, en tenant compte des choix de figuration, aboutirait à la même conclusion.

Ces cartes font d’une Afrique a priori profonde et inconnue une Afrique connue, traversée et surtout peuplée. Elles remettent en cause le mythe d’un continent ténébreux et voué à l’anarchie. Chaque carte joue aussi le rôle d’une carte de visite, par laquelle chaque congrégation dévoile l’état de ses connaissances sur la mission qu’elle a reçue. Ensuite, certains tiennent à placer le plus grand nombre de toponymes, risquant la saturation typographique ; d’autres privilégient un document plus dépouillé pour transmettre un message moins ambitieux mais plus adapté au lecteur de la revue.

Notes
545.

Le comparatif porte sur des cartes de grande taille qui sont toutes le résultat de plusieurs années d’excursion. Elles dressent l’état des connaissances sur chaque mission, mais relèvent de trois congrégations différentes : l’Afrique équatoriale est gérée par les Missionnaires d’Alger, le Zanguebar par les Spiritains, le Zambèze et Madagascar par des Jésuites. Le tableau distingue les toponymes de nature, tels que les lacs, le paysage ou le relief des toponymes de population, tels que les localités ou les ethnies.

546.

Les rares noms désignent les installations portugaises et hollandaises au Zambèze, ainsi que le site de Lavigerieville sur le Lac Tanganyka.