Les archives de la Propagande réunissent les lettres que lui adressent les congrégations au sujet des modifications territoriales de leur mission : érection d’un nouveau V.A., partage, échange de terrain ou le plus souvent redéfinition des limites, car le service pontifical est le seul à arbitrer dans une querelle de frontières. Les congrégations les plus importantes disposent d’un représentant permanent auprès du Saint-Siège, un procurateur, chargé de défendre leurs intérêts et de les alerter sur les nouvelles décisions de la Propagande. Quand la situation est grave, le Supérieur en personne se déplace à Rome pour y rencontrer les personnes influentes, si possible le préfet-cardinal qui dirige le service ou même le Pontife pour peser davatange. Toute la correspondance adressée à la Propagande est archivée chronologiquement et par grande aire géographique. Quand un sujet est jugé suffisamment important, une commission de cardinauxse réunit, le congresso, pour prendre une résolution, sous forme d’acta, après avoir délibéré sur un dossier, la ponenza, composé par un minutante556. Plus proches des réalités que revêt la mission, les minutanti peuvent orienter la séance dès lors qu’ilconstitutent la ponenza. Les autres cardinaux sont eux aussi courtisés, surtout quand ils président une commission. Nombre d’entre eux se sont spécialisés sur une région précise, pour laquelle ils traitent toutes les affaires, ce qui prouve la volonté du Saint-Siège de conduire une évangélisation suivie et cohérente557.
La consultation des acta portant sur l’Afrique dévoile l’attitude de congrégations soucieuses de conserver l’intégralité du territoire que la Propagande leur a confié. En revanche, les cartes sont rares. Pourtant, elles ont bien été envoyées, pour justifier d’une division, revendiquer un territoire ou proposer un échange, c’est-à-dire comme argument pour convaincre la commission. Quelquefois, une carte est jointe à l’actum : elle répète sous forme graphique, ce qui a été affirmé par écrit. Mais elle ne paraît pas indispensable car les termes concernant les limites territoriales sont suffisamment précis, rendant impossibles différentes interprétations. En fait, quand elle est jointe, la carte est toujours celle envoyée par la congrégation qui défend le projet derrière lequel le congresso s’est rangé, lui économisant ainsi un document qui pourrait davantage alimenter des critiques et générer un contentieux. Nulle trace non plus des cartes dans les dossiers constitués par les minutanti pour préparer les commissions, les Scritturi originali (SOCG) et les Scritturi riferite nei congressi (SC). Destinés à orienter la décision de la commission, ces croquis ont sans doute été jugés inutiles une fois la résolution prise. Certains ont alimenté le fonds de cartes isolées qui n’a malheureusement toujours pas fait l’objet d’un classement558.
A partir des années 1930, soit la fin de notre période, la Propagande se dote d’un service cartographique pour dresser une représentation fidèle de ses décisions. Chaque document qu’il édite porte l’appellation « Carta geographica ecclesiastica » avec le numéro de la ponenza, et le protocole auquel elle se rattache. Si les précisions y sont nombreuses, la carte porte surtout sur ce que le congresso a décidé : une limite de V.A., un nouveau nom, un partage… Ce service cartographique est la réponse un peu tardive aux congrégations qui réclamaient de la Propagande arbitrage et décision. Les hésitations de Rome à l’égard des instituts missionnaires et la distance avec l’Afrique qui reste malgré tout encore mal connue sont des éléments qui expliquent ce retard. Néanmoins, on ne peut considérer ces documents comme une éventuelle perception de l’espace africain par Rome, objet de notre quatrième partie. Normalisés, ils traduisent sans doute une volonté de traiter de manière identique toutes les modifications quelque soit la mission dans le monde ; mais ils ne constituent qu’une représentation supplémentaire, un cadastre en quelque sorte, qui reste tardif car il ne traite que des modifications ultérieures à 1930559.
Claude Prudhomme a montré le rôle fondamental que jouent les minutanti, véritables chevilles ouvrières de l’évangélisation mondiale, in Stratégie missionnaire du Saint-Siège sous le pontificat de Léon XIII (1878-1903) : centralisation romaine et défis culturels, Thèse pour le doctorat es lettres, décembre 1989, Université Lyon III ; Chapitre 3.
Par exemple, le cardinal ponente Vincenzo Vannutelli traite toutes les modifications concernant l’Afrique centrale et orientale. Il dirige par exemple les ponenza sur le Sahara en juin 1893, l’Afrique centrale en décembre de la même année, le Haut-Nil en juin 1894, les grands lacs en juillet 1895 ; en 1897, il s’agit du Nyassa en janvier, puis du Zanguebar méridional en juin. A chaque modification apportée à la mission du Sahara, en juin 1893, juillet 1896, mai et juillet 1901, c’est toujours Vannutelli qui préside la commission. Cf. PRUDHOMME Claude, Stratégie missionnaire.. op. cit., p.134.
Le fonds de cartes isolées comprend près de 300 documents sur l’Afrique, réunis sans ordre chronologique ni géographique. Quelques uns portent un numéro ou trois chiffres après un G, ou bien le numéro de la ponenza et l’année pendant laquelle ils ont été utilisés. Ces documents sont très divers : des croquis manuscrits côtoient des cartes routières ou des planches d’atlas sur lesquels ont été recopiées les limites de mission ; ils montrent en définitive les sources très nombreuses qu’utilisait la Propagande avant de prendre une décision.
Ainsi, par exemple, les V.A. récents de Beaudoinville, du Cameroun français, de Rhodésie du Nord ou encore du Tchad ont bénéficié de ce service.