Chapitre X : L’appropriation du territoire

D’après le jus commissionis, chaque mission est confiée par le Saint-Siège à une congrégation ou un institut missionnaire pour l’évangéliser et y fonder une Eglise locale. La restitution du territoire s’établit quand v.ap. et V.A. disparaissent au profit de l’Evêque et d’un diocèse ordinaire. Ainsi, les missions ne sont que des entités territoriales provisoires, des diocèses en formation, dirigées par la Propagande. Pourtant, au moment de la « passation des pouvoirs611, de nombreuses congrégations ont refusé, retardé ou empêché l’événement qui signifiait pour elles la fin de l’apostolat et annonçait leur départ. Les missions apparaissent alors comme des chasses gardées ou des camps retranchés que les missionnaires refusent de quitter612. Cette attitude, flagrante au XXè, pose la question des rapports entre la congrégation et la mission.

Le champ d’apostolat est l’espace d’expression de la congrégation, son champ d’expérimentation pour tester ses pratiques apostoliques. C’est vers lui que s’adressent les prières et les aides. C’est pour lui que des générations de missionnaires sont partis en mission et nombreux ont préféré lui consacrer toute leur vie plutôt que de revenir en Europe. Il constitue l’endroit qui inspire la vocation, parfois le martyre. Il est en quelque sorte la concrétisation du territoire chrétien désiré par la congrégation. Inversement, il participe à l’essor et contribue au succès de sa congrégation qui se développe à mesure que lui sont confiées de nouvelles missions. Enfin, il constitue le lien entre les différentes générations de missionnaires qui se succèdent. Tous partagent une mémoire commune, alimentée de souvenirs puisés dans le territoire. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant de voir des missionnaires s’accrocher à leur mission et refuser de la quitter, surtout dans les espaces tenus depuis près d’un demi-siècle613. Ainsi, l’objectif initial qui était de transmettre à un clergé local la direction religieuse a été écarté et la formation d’un personnel ecclésiastique indigène proprement abandonnée.

Notes
611.

Voir sur cette question les actes de la Xè session du CREDIC, Des missions aux Eglises ; naissance et passation des pouvoirs, XVIIè-XXè, Lyon, Université Jean Moulin, CNRS, 1990, 306 p. et notamment BRASSEUR Paule, « l’établissement des circonscriptions ecclésiastiques à partir du V.A. des Deux-Guinées », pp.220-239.

612.

I bid em. Une table ronde réunit sur le sujets Mrs de Benoist, Gadille, Maurier, Pirotte, Rossel et Roux. En 1960, le cardinalCostantini utilise l’expression de « féodalisme territorial » pour qualifier la situation. Cf . COSTANTINI, Réforme des missions au XXè, Paris, 1960.

613.

Des missionnaires rapportent le douloureux épisode de leur « sortie » forcée du territoire. En Afrique, elle se produit au moment des indépendances au début des années 1960. La plupart expriment le sentiment d’avoir été « foutus dehors » par les figures nationalistes locales. Témoignages recueillis en 2004.