A la gloire de Dieu et de la congrégation : la carte du Gabon en 1903

Si l’œuvre accomplie est montrée par les atlas, elle peut aussi être célébrée sur de simples cartes. Celle dressée par les Spiritains du Gabon et attribuée à leur vicaire, Mgr Adam, en 1903 est envoyée à l’Œuvre de la Propagation de la Foi avec le rapport habituel643 (cf : Carte du V.A. du Gabon ). Le document a sans doute bénéficié de la toute nouvelle imprimerie de Libreville qui diffuse des brochures sur la mission depuis un an644. De grande taille645, il est destiné à être montré.. La carte est générale ; elle renseigne sur l’hydrologie, les localités et l’état du réseau missionnaire : en rouge sont reportées près de 22 missions. On constate que c’est le V.A. à son extension maximale qui est représenté ; les missions de Lastourville et de Franceville, officiellement cédées au V.A. voisin de l’Oubangui figurent encore, quatre ans après et même la station de Bata, récemment cédée à l’Espagne, apparaît ; fondées par la congrégation du St-Esprit, elles appartiennent toutes à la famille spiritaine. Mais l’intérêt du document réside dans son cadre, attribué auRP Briault646 : un bandeau de quelques cm de large qui entoure la carte réunit une douzaine de blasons et 22 feuilles de vigne représentant par ordre chronologique d’apparition les 22 missions,préfectures et vicariats apostoliques, tous nés du partage de la mission initiale des Deux-Guinées, confiée aux Spiritains en 1844. Au départ de la vigne figurent deux plaques mortuaires évoquant les deux premiers v.ap.,les RRPP Bessieux et Le Berre, deux figures originelles dont chaque spiritain doit célébrer la mémoire. Le document veut montrer la filiation entre toutes les missions de la région et celle du Gabon, héritière directedu vicariat des Deux-Guinées qui s’étendait alors comme l’affirme le texte de présentation « depuis le Sénégal jusqu’au fleuve Orange ». Même celles qui ne relèvent pas de l’autorité spiritaine sont mentionnées : le Niger inférieur, le Cameroun, le Togoland ou la Côte d’Ivoire. D’autres ne sont que de simples stations, comme Lastourville, Franceville ou Bata. Les blasons figurant à droite ont sans doute été choisis pour désigner les différentes missions, qui les utilisent parfois comme en-tête dans leur papier à lettre. Ils contribuent à institutionnaliser la mission et la désigne comme un territoire possédé, un fief. Ce choix de représentation, le recours aux dates, aux notions d’héritage et de lignage, confirment la volonté de valoriser l’œuvre accomplie par les Spiritains. Reprenant l’image biblique de la vigne, omniprésente chez les missionnaires, cette carte et son cadre présentent une mission pleine de succès qui a fertilisé d’autres missions ; en s’agrandissant, la famille spiritaine évangélise l’Afrique647.

Ainsi, de même nature que les atlas produits par les congrégations, cette carte témoigne de ce que Jean Pirotte désigne par « l’appropriation symbolique », quand chaque congrégation laisse son empreinte en construisant à sa propre image. Il s’agit de « marquer son territoire physiquement »648. Cette forme d’autocélébration, est destinée avant tout aux missionnaires de la congrégation pour rappeler les origines héroïques et le lien quasi charnel qui relie les missions, contribuant un peu plus à inculquer la fierté d’un passé glorieux et l’esprit de famille parmi eux. Pour finir, il faut constater que cette attitude d’appropriation par les cartes caractérise les congrégations catholiques car l’équivalent protestant n’existe pas.

Notes
643.

OPM, G-67 Gabon, «  Carte du V.A. du Gabon   », 1903, G 05794. La carte accompagne le « Rapport général des recettes et dépenses », 1904, G 05795.

644.

Mgr Adam explique qu’il a déjà imprimé neufnuméros de 12 pages à 150 exemplaires. OPM, G-67 Gabon, « Brochure sur la mission du Gabon », G 05787.

645.

60x51 cm.

646.

Le nom est proposé par STREIT Robert & DIDINGER Johannes, Bibliotheca missionum, vol. 18, Afrikanische Missionslitteratur, 1880-1909, p.675.

647.

Pour un souci évident de lisibilité, les nombreuses ethnies ont disparu, donnant l’impression d’un territoire au peuplement très homogène, ce qui est faux. Ne restent donc plus que les missionnaires, seuls dans leurs terres.

648.

PIROTTE Jean, « L’espace et le temps vécu en mission », pp.17-44, in PIROTTE Jean (dir.), Les conditions matérielles de la mission, Actes du colloque conjoint du CREDIC, de l’AFOM et du Centre Vincent Lebbe, Belley du 31 août au 3 septembre 2004, Paris, Karthala, 2005.