La collecte de statistiques

Avec les cartes, les statistiques sont l’autre priorité dans la collecte d’information. Elles alimentent les questionnaires qui accompagnent la relation annuelle de la visite adlimina pour rapporter à Rome l’activité de chaque mission. Pour cela, on recense le nombre de catholiques, de prêtres européens et indigènes, les paroisses, les stations, les séminaires et les écoles, les élèves, les instituts de charité, les orphelinats, hôpitaux et asiles. Toutes ces informations sont compilées par la Propagande qui les restitue sous forme de statistiques officielles dans les Missiones catholicae, éditées chaque année à partir de 1886. Un décompte par continent établit l’état de l’évangélisation, en reprenant cinqinformations principales : le nombre de catholiques, les stations, les églises et chapelles, les prêtres, les établissements d’éducation et de charité. Ces cinq informations résument toute l’activité de la mission, réduite à une seule ligne statistique dans un tableau. En les comparant, la congrégation De Propaganda Fide peut établir la valeur de chaque mission. Le rapport entre « catholiques » et « prêtres » ou « églises » et « catholiques » permet de désigner les plus efficaces et celles qui progressent le moins. Ces tableaux constituent un outil primordial pour la direction de l’évangélisation. Mais parce qu’elles ne proposent pas de cartes, les Missiones catholicae dressent une image exclusivement statistique de la mission et écartent sa dimension spatiale.

L’Annuaire pontifical catholique constitue une autre manière d’évoquer les missions. Publié chaque année à Paris à partir de 1898 par Mgr Albert Battandier, il offre au lecteur des listes complètes sur l’organisation du Clergé catholique. Après les archevêchés et évêchés résidentiels figurent les évêchés titulaires qui recensent l’ensemble des vicaires apostoliques. Puis sont abordées les terres de mission : délégations, vicariats et préfectures apostoliques⁶⁶⁸. Les vicaires apostoliques sont identifiés par le nom de leur diocèse, choisi dans la géographie ancienne et classé par ordre alphabétique⁶⁶⁹. Ainsi, Mgr Augouard est évêque de Sinide, en Arménie et Mgr Le Roy évêque d’Alinda, en Carie. Figurent aussi des évêchés non-attribués, comme Adana, Platées ou encore Héliopolis en 1914. Ce choix d’attribution place le territoire au centre du rapport entre l’évêque et le Saint-Siège. C’est lui qui désigne dorénavant l’évêque en rappelant au passage le lien fondamental à Rome. Suit une courte biographie qui présente la carrière religieuse des titulaires, parfois illustrée d’une photographie.

Délégations, vicariats et préfectures apostoliques sont classées de manière identique, sans carte pour les localiser. Cette présentation alphabétique insiste sur la condition très égalitariste qui les réunit et les rattache à Rome. D’habitude, l’énumération des missions suit un ordre géographique et débute par l’Asie, avant d’aborder l’Afrique, l’Amérique puis l’Océanie. Ici, le classement abolit les priorités. Chaque V.A. et P.A. est identifié par son nom, celui de son dirigeant et de la congrégation qui en a la charge. Suivent quelques éléments de localisation, un court historique sur son évolution territoriale et son découpage intérieur en districts. Les statistiques habituelles les plus récentes viennent clore l’article. Cette présentation fait donc une large place au territoire mais sans jamais recourir aux cartes. Le texte suffit à le localiser. De même, aucun portrait ne vient égayer la longue liste. Ce choix peut signifier que le temps de la mission dépasse celui de la vie d’un seul homme, que la mission est le résultat des efforts de plusieurs générations.

Ces documents sont révélateurs de l’image particulière de la mission vue de Rome. Celle-ci est un espace institutionnalisé et confié par le Saint-Siège. Le mélange de tous les champs d’apostolat dans la liste alphabétique traduit la volonté d’établir un lien uniforme et égalitaire avec chaque mission. C’est la somme de toutes ces missions qui donne du sens au recensement : elle affirme le principe d’une évangélisation mondiale et, implicitement, d’une autorité romaine à la compétence universelle.