Les atlas des missions

Les atlas dont le sujet porte sur les missions en général sont aussi à considérer car tous ont puisé des informations auprès des Missiones catholicae. La liste des ouvrages produits durant notre période d’étude est suffisamment longue pour que l’on puisse parler d’un nouveau genre d’atlas. Celle proposée en annexe rappelle les exemplaires les plus souvent répertoriés672.( Cf . Annexe 18 : les atlas des missions .) Le fonds de la Bibliothèque de la Propagande, à l’Université Urbaniana à Rome dévoile la richesse de ce type d’ouvrages que tous les pays européens engagés dans la mission se sont mis alors à produire673. La plupart recherchaient l’assentiment de la congrégation romaine, en guise de caution scientifique et morale, pour attirer les lecteurs. Certains sont l’œuvre des congrégations et, limités à quelques champs d’apostolat, ils remplissent des fonctions bien précises674. D’autres couvrent l’ensemble des missions et présentent implicitement le champ sur lequel s’étend la Propagande. C’est le cas du Katholischer-Missionsatlas du RP Werner, SJ, élaboré après deux années d’enquête auprès des archives romaines :

« Notre atlas se borne à retracer l’organisation ecclésiastique des pays de missions subordonnés à la Sacrée Congrégation de la Propagande. Créée surtout en vue des lecteurs du Bulletin allemand des Missions catholiques, il offre la représentation complète du théâtre général de l’apostolat »675

L’atlas se consulte comme un catalogue sans imposer un cheminement. C’est la diversité et la totalité des missions qui lui donnent du sens. Pour Christian Jacob, l’atlas vise une forme de complétude, comme la mappemonde. Il est un « lieu d’archivage, une somme, qui offre une maîtrise symbolique de l’espace ». Ce type de cartographie ne se prête pas au voyage, surtout si elle est thématique. Elle nourrit plutôt les ambitions expansionnistes et les rêves universalistes676. Les atlas plus célèbres connaissent de nouvelles éditions car l’évangélisation progresse et ils doivent montrer les territoires gagnés sur le paganisme. De plus, les progrès des connaissances géographiques, notamment sur les terres extra-européennes, impulsent un rythme tel que ces ouvrages sont vite dépassés, ce qui les rapproche des atlas classiques de géographie qui connaissent la même menace677.(cf : Afrique politique   Afrique politique ) Mais là s’arrête la comparaison car l’évangélisation suit son propre rythme, qui n’est pas celui de la découverte ni de la conquête. Elle comporte une phase d’exploration, d’institutionnalisation puis de territorialisation de la mission que seule la consultation de cartes à des dates différentes peut rendre compte.

L’atlas reste le seul support cartographique capable de combiner la multitude et l’uniformité. La multitude est assurée par le nombre important des missions, toutes rendues différentes par leur identité géographique propre. L’uniformité vient de la forme de l’atlas : réunir ces espaces si différents dans le même ouvrage, puis les présenter sous une même nomenclature et selon une typographie semblable, permet d’insister sur ce qui les rapproche, en l’occurrence la même autorité souveraine de Rome. L’atlas fonctionne comme une autocélébration pour celui qui le produit.

Les cartes produites par l’Œuvre ou celles des atlas correspondent à une cartographie spécialisée, qui traite exclusivement des missions et de la hiérarchie missionnaire en particulier. La revue des Missions catholiques exerce un monopole sur ce genre de représentation qu’aucune revue coloniale ou d’exploration ne vient lui contester. En effet, les documents sur l’Afrique se multiplient dans les revues grand public où elles bénéficient souvent de moyens plus séduisants à des coûts de plus en plus faibles. Concurrencées, les premières cartes missionnaires perdent leur caractère inédit et la revue doit trouver d’autres arguments pour conserver son lectorat. Le repli sur la hiérarchie missionnaire devient en quelque sorte sa spécialité et donne un ensemble de cartes thématiques protégées de la concurrence. Par le choix des couleurs, par la sélection des informations, elles se distinguent des cartes ordinaires et composent un nouveau type cartographique. Il peut être considéré comme un type transitoire entre l’ancienne cartographie chorégraphique et la nouvelle cartographie quantitative. La première, traditionnelle, représente tous les éléments d’une contrée. Mais elles est dépassée depuis le milieu du XIXè par les travaux sur la topographie dont s’emparent quelques spécialistes. La seconde, étudiée par l’historien Gilles Palsky, est dressée pour représenter des statistiques. Chaque document porte sur un thème précis et le caractère cartographié est quantitatif. Mais elle reste selon lui le « type le plus négligé en histoire de la cartographie »678. Trop jeune pour faire l’objet d’une étude au XXè s., le genre est délaissé et on ne voit dans ces documents que l’information véhiculée par la carte. Pourtant, il mérite une analyse. Gilles Palsky date les premières cartes quantitatives du dernier quart du XIXè679. Elles ouvrent le débat sur le rapport avec les statistiques, que bon nombre de géographes utilisent en empruntant leurs concepts et moyens de représentation, sans le reconnaître tout à fait. Les grandes cartes des Missions catholiques ne correspondent pas encore à ce genre. Bien que des tableaux statistiques accompagnent systématiquement chaque carte, les chiffres n’ont jamais remplacé la localisation de la hiérarchie, qui reste le sujet principal. Ils sont toujours restés en dehors du cadre spatial. La revue continue sa cartographie, alors même que d’autres s’essaient à la carte quantitative680(cf : AEF, Zone d’utilisation de l’énergie électrique ). La même remarque est valable pour les Atlas de missions qui se contentent de représenter la hiérarchie, et ce jusque dans les années 1930, sans adopter le nouveau genre, à quelques exceptions près681.(cf : Distribution des catholiques sur la terre )

Notes
673.

Il faut signaler aussi le fonds assez riche des OPM à Lyon pour lequel une cinquantaine d’ouvrages ont été recensés.

674.

Cf. infra Chapitre X : 2) Une attitude alimentée par les atlas des congrégations.

675.

Préface, traduite dans l’édition française, in GROFFIER Valérien, Atlas des missions catholiques, Lyon, 1886, 20 cartes.

676.

JACOB Christian, L’empire des cartes,op. cit., p.98.

677.

C’est principalement dans la partie outre-mer et colonies que les ouvrages sont révisés. Ainsi, la carte de l’Afrique politique dans l’Atlas de géographie de Vidal Lablache de 1894 et dans celui de 1897 présente des modifications importantes : les possessions coloniales françaises sont délimitées au Sahara, Madagascar est devenue colonie française et une nouvelle légende consacrée exclusivement aux colonies, protectorats et zones d’influence française vient s’ajouter au recensement habituel des colonisateurs. « Afrique politique   », in VIDAL LABLACHE, Atlas de géographie général, 1894, pp.124-125 et «  Afrique politique   », in Atlas classique, 1897, p.124-125.

678.

PALSKY Gilles, Des chiffres et des cartes. La cartographie quantitative au XIXè s., Paris, CTHS, 1996, 331 p.

679.

L’auteur cite l’Album de statistique graphique du Ministère des travaux publics, paru pour la première fois en 1879. L’homme qui dirige le projet est l’ingénieur Emile Cheysson, responsable des cartes et plans. Il conçoit plusieurs documents qui portent sur le trafic ferroviaire en France, la navigation marchande, etc.

680.

Quelques essais sont tentés dans plusieurs atlas, dont celui de Vidal de la Blache en 1894. L’Afrique constitue un terrain privilégié pour cette cartographie à la fois scientifique et utilitaire. Voir par exemple «  AEF, Zone d’utilisation de l’énergie électrique  », in BRUEL Georges, L’Afrique équatoriale française, Paris, Larose, 1918, 558 p.

681.

C’est le cas de quelques cartes qui utilisent des teintes différentes. L’atlas de Werner et sa version française proposent dans un planisphère cinq catégories pour représenter la proportion de catholiques dans la population totale. Le jaune concerne moins de 10%, le vert de 10 à 25, l’orange de 25 à 50, le violet de 50 à 90 et le rose plus de 90% de catholiques. «  Distribution des catholiques sur la terre », in GROFFIER Valérien, Atlas des missions catholiques, Lyon, 1886, n°1.