Une perception globale, encouragée par de vastes plans d’évangélisation

Dans son Mémoire de 1846, Libermann dévoile un plan d’évangélisation à l’échelle du continent : il s’agit selon lui de découper la côte occidentale de l’Afrique du Sénégal au fleuve Orange en 5 V.A. et doter d’une maison centrale d’éducation et d’acclimatement la position de Dakar. L’endroit sur la côte de Sénégambie est suffisamment salubre et présente « l’avantage d’être le point central de toute la Guinée pour faciliter les rapports avec les autres côtes ». Dans cette maison seront formés les jeunes Africains destinés au clergé indigène. Ce programme porte sur un espace très vaste. Il marque une première impulsion dans l’évangélisation du continent au XIXè. Les missions ne seront plus cantonnées sur quelques points isolés de la côte car il est question de les mettre en relation sur l’ensemble du littoral. Les V.A sont encore vastes mais leur individualisation leur rapportera des moyens, qu’ils pourront mettre au profit d’explorations et d’installations vers l’intérieur. Ainsi, en proposant de découper l’immense V.A. des Deux-Guinées, Libermann donne le signal de l’évangélisation vers l’intérieur du continent693.(cf : Plan du P. Libermann en 1846 pour la création de cinq vicariats en Guinée supérieure , Plan du cardinal Lavigerie de 1878  )

L’autre plan qui marque une seconde impulsion pour l’évangélisation de l’intérieur est celui de Lavigerie, présenté à la Propagande en 1878 dans le contexte de la lutte anti-esclavagiste. Il prévoit un découpage général de l’Afrique équatoriale qui serait confiée à une seule et même autorité, celle des Missionnaires d’Afrique. Insistant sur les excès de la nature africaine et les malheurs qui condamnent ses populations, Lavigerie encourage la Propagande à adopter une vision globale de la mission en Afrique, ce qui renforce sa tendance naturelle à la centralisation. Comme son prédécesseur Libermann, Lavigerie mobilise les écrits des explorateurs : Cameron, Livingstone, Stanley. Ils témoignent du fait que l’Afrique n’est plus aussi ténébreuse et qu’il est devenu possible de la parcourir et même la traverser en reliant ses deux côtes. Le voyage de Cameron en 1875 a eu comme effet de modifier la représentation du continent en Europe et de nourrir du même coup tous les projets : l’Afrique noire n’est plus divisée par deux côtes qui s’ignorent. Jusque là, le cheminement habituel des ouvrages suivait la chronologie de la découverte du continent : après une longue côte occidentale, l’Afrique était contournée par le Sud ce qui donnait lieu à quelques développements sur sa partie australe, avant d’aborder la côte orientale, mal connue, lointaine et associée à tous les trafics. Dorénavant, grâce à la traversée de Cameron, cette côte orientale paraît plus proche et il est possible de la représenter sur la même planche que son équivalent occidental. Ajoutées à la rive méditerranéenne, les deux côtes occidentale et orientale composent le visage d’une Afrique entière, enfin retrouvée, ce qui l’expose à tous les découpages. Celui de Lavigerie s’inspire du projet suivi par la Conférence africaine de Bruxelles : en établissant des stations reliées entre elles d’une côte à l’autre, toute l’Afrique serait rapidement encadrée. Ainsi, en réclamant le découpage du centre de l’Afrique en quatre V.A., Lavigerie se fait le promoteur d’une Afrique pensée globalement. Il invite la Propagande à accélérer l’évangélisation du continent noir en permettant une direction unanime sur l’ensemble des missions de l’intérieur.

Ces plans d’évangélisation portent sur des espaces immenses. Parce que leurs croquis adoptent une petite échelle, ils correspondent aux attentes de la Propagande, qui apprécie l’Afrique d’un point de vue distant et entier. La distanciation du regard permet la complétude. Ces documents encouragent l’autorité romaine à poursuivre la conduite de l’évangélisation tout en lui économisant une réflexion sur ses modalités d’application. Comment la Propagande peut-elle réagir à ces sollicitations, venant de jeunes congrégations enthousiastes, qui se sont placées naturellement sous son autorité ?

Notes
693.

«  Plan du P. Libermann en 1846 pour la création de cinq vicariats en Guinée supérieure  », établi d’après les archives de la Propagande, repris par KOREN Henri, op. cit. p.379. A opposer au «  Plan du cardinal Lavigerie de 1878  ».