L’Afrique dans l’administration de la Propagande

Plusieurs indicateurs permettent d’évaluer l’intérêt accordé par la congrégation De Propagande Fide à l’Afrique. Il semble simplement très limité. Par exemple, parmi toutes ses instructions, décrets et bulles regroupées dans les Collectanea, les documents qui traitent du continent le placent en cinquième position, ex-aequo avec l’Océanie, sans distinction entre les pontificats de Pie IX et Léon XIII. Parmi d’autres sondages portant sur les lettres adressées par la curie romaine aux missions, l’Afrique récolterait moins d’une lettre sur quinze en 1889, loin derrière l’Asie et l’Amérique694. Un autre indicateur est offert par la correspondance qu’entretient la Propagande avec la Propagation de la Foi695. Ces lettres envoyées par Rome témoignent de deux intentions : les premières répondent aux inquiétudes de l’organisation lyonnaise qui veut être tenue au courant des modifications administratives. Les secondes, aussi importantes en nombre, sont une demande exceptionnelle pour que l’Œuvre aide une mission ou un v.ap. particulier qui a retenu l’attention des services romains. Le nombre total de lettres s’élève à une vingtaine par an, quelque soit le préfet cardinal responsable de la Propagande696, avec une légère augmentation dans la décennie 1880. L’enquête697 a identifié parmi elles le nombre de lettres qui portaient sur l’Afrique entre les années 1868 et 1891. Celui-ci s’élève au départ à unelettre sur quatre, puis atteint une sur trois en 1880698, et la proportion s’abaisse continuellement : une sur sept dans les années 1880, une sur dix après. Cette diminution traduit une certaine normalisation des missions : elles reçoivent dorénavant toutes une aide de l’Œuvre et ne nécessitent plus l’intervention de Rome. De même, les décrets et brefs officiels sont adressés plus régulièrement. Ce sondage montre aussi au passage que les modifications entraînées par le découpage de l’Afrique noire à Berlin en 1885, portant sur quatre juridictions en 1886 et trois en 1887, n’ont pas fait l’objet d’un plus grand nombre de lettres. Cela prouve que le mouvement général n’était pas une surprise et qu’il avait été anticipé et intégré par Rome.

L’Afrique ne constitue donc pas une priorité pour la Propagande. Parmi les raisons qui l’expliquent, il faut rappeler l’image autrement plus positive de l’Asie ou de l’Amérique du Nord. La première est un foyer de civilisations, notamment en Extrême-Orient ; la seconde nourrit toutes les promesses, à mesure que grossit le flux d’immigrés européens. C’est pourquoi le poids des missions asiatique et américaine est relativement plus important. Le déploiement des missionnaires et l’ancienneté de leur installation justifient des préoccupations bien plus considérables que celles de la « jeune mission d’Afrique ». C’est ce que confirment les statistiques des Missiones catholicae : au XXè, l’Afrique est toujours loin derrière l’Asie. Mais elle a parfois dépassé l’Amérique qui a connu entre-temps la transformation des missions en diocèses ordinaires. Ainsi, le recensement général de l’armée missionnaire en 1928 établit 121.000 hommes pour l’Asie, 37.000 pour l’Afrique, 5.000 pour l’Amérique et 3.000 pour l’Océanie, avec le clergé et les auxiliaires indigènes699.

Ainsi, l’image de difficultés que promet l’apostolat en Afrique explique le manque d’initiatives de la Propagande, qui réagit en gestionnaire, préférant économiser les forces vives pour des objectifs plus sûrs, asiatiques ou américains. Mais à défaut d’initier le mouvement, l’autorité romaine peut au moins l’encadrer, l’organiser. Sa principale marque sera le découpage et l’attribution des champs d’apostolat.

Notes
694.

PRUDHOMME Claude, Stratégie missionnaire , op. cit. , Graphiques pp.53 et 59. En 1889, l’Océanie reçoit 4 % des lettres, l’Afrique 6 %, l’Asie 19 % et l’Amérique 27 %. La comparaison avec les années 1869 et 1879 montre aussi que l’Afrique et l’Océanie sont les continents qui ont vu leur nombre augmenter le moins.

695.

Archives OPM, Correspondance avec la Propagande ; B-15 (1868-1873), B-16 (1874-1879), B-17 (1880-1883), B-18 (1884-1887), B-19 (1888-1891).

696.

Durant cette période se sont succédés le cardinal Barnabo jusqu’en 1874, Franchi de 1874 à 1878 et Simeoni de 1878 à 1892.

697.

L’enquête porte sur les 508 documents de la série d’archives.

698.

Les quatre modifications survenues dans les délimitations ecclésiastiques en Afrique équatoriale, pour laquelle l’archevêque Lavigerie s’est personnellement impliqué, ont nourri la correspondance.

699.

STREIT Robert, OMI, Les missions catholiques , Desclée de Brouwer et Cnie, Paris, 1928, pp.57-67.