Le découpage de l’Afrique en missions

Une appropriation originelle

Avec le commandement donné par le Christ à ses apôtres d’aller porter son message à tous les peuples700, l’étendue spatiale de l’évangélisation est immense car elle englobe tous les continents peuplés du monde entier. Elle correspond à l’œkoumène, ou l’espace habité, que les découvertes au fil des siècles déterminent de mieux en mieux. Dès l’Antiquité et pour confirmer l’universalité de la mission, l’Eglise accompagne les expéditions visant à accroître le monde connu. Au Moyen Age, elle les précède, comme le formule la bulle Inter caetera de mai 1493 : le pontife Alexandre VI reconnaît aux Européens la propriété sur des terres encore inconnues avant même leur découverte ; puisle traité de Tordesillas établit en 1494comme frontière la ligne astronomique d’un méridien, situé à 100 lieues des îles du Cap Vert, pour délimiter les possessions portugaises et les possessions espagnoles à venir. Implicitement, les deux souverains s’engagent à porter l’Evangile sur leurs nouvelles terres. Cette propension à découper le territoire et à l’attribuer puise ses racines dans l’attitude développée par le Saint-Siège à l’égard des Etats. En tant que pouvoir spirituel, il reconnaît à l’Etat, pouvoir temporel, une certaine légitimité et son droit à la propriété, en échange de quoi celui-ci se plaçait avec les nouvelles terres sous l’autorité de l’Eglise. Ce contrat se matérialise par le globe. Surmonté de la croix latine, il désigne la terre comme une propriété chrétienne. Ainsi, l’Eglise se place en position de propriétaire originel qui accepte de confier à titre provisoire la direction d’une terre à un souverain.

Cette conception d’une propriété pleine et entière justifie l’existence de la congrégation De Propagande Fide. Créée en 1622, elle est chargée de propager le christianisme sur l’ensemble des terres non chrétiennes. Le monde se divise alors entre une Europe déjà catholique qui relève d’une hiérarchie ordinaire et des continents asiatique, américain, africain et océanien qui dépendent de la Propagande, de manière à ce que l’ensemble de la terre relève d’une autorité catholique. A chaque région a été affecté un responsable, représentant direct du Pontife, chargé de l’évangéliser. L’évangélisation est alors la confirmation d’une souveraineté antérieure, car avant d’être connue en détail, la terre est selon le christianisme une création divine. Ensuite, le territoire sera divisé à mesure qu’il sera découvert puis christianisé. Mais aucune parcelle de terre n’est laissée à l’écart car l’autorité de l’Eglise est universelle. L’Afrique ne déroge pas à la règle : la situation au milieu du XIXè présente un continent découpé, partagé entre plusieurs juridictions, parmi lesquels les v.ap. de Guinée, d’Afrique centrale, du Cap. Bien entendu, le manque de connaissances géographiques et surtout la distance rendent ces titres de propriété très théoriques, qu’aucune autorité religieuse concurrente ne vient d’ailleurs contester. De plus, les limites de ces juridictions sont inconnues, sauf dans le cas des îles, plus faciles à circonscrire. Mais l’essentiel est le message habituellement délivré par Rome qui veut que chaque portion de terre dépende d’un responsable catholique représentant directement le Saint-Siège. Le fonctionnement de l’administration catholique intègre cette conception, c’est pourquoi le v.ap. d’Afrique centrale reçoit toute la correspondance qui porte sur l’évangélisation au cœur du continent. Il est le représentant officiel de Rome sur cette partie de la terre, l’interlocuteur incontournable avec lequel les puissances extérieures doivent traiter pour les questions religieuses. En entretenant une correspondance suivie avec ses vicaires stationnés en Afrique, le Saint-Siège renouvelle son droit de propriété sur le territoire. Encore une fois, c’est l’administration et la gestion des affaires ordinaires qui donnent du corps et du poids aux v.ap., car leurs seuls titres semblent démesurés et la réalité de leur autorité se limite le plus souvent à la ville ou au littoral qu’ils n’ont jamais quittés. Certains trouvent le titre suffisamment élogieux et nourrissent de vastes projets d’expansion ; c’est le cas de l’archevêque d’Alger, Mgr Lavigerie qui s’autoproclame délégué apostolique de l’Afrique pour diriger son plan d’évangélisation en Afrique noire. D’autres au contraire renvoient une image plus réaliste pour dénoncer les conditions plus que difficiles de leur apostolat et attirer sur eux des aides et des prières.

Notes
700.

Bible, Mc 16, 15 : « Allez dans le monde entier proclamez l’Evangile à toute la création ».