Une logique de surface

L’appropriation originelle détermine donc la démarche qu’adopte la Propagande, c’est-à-dire une démarche spatiale, surfacique etgéométrique, qui vise à attribuer des territoires aux congrégations aptes à les évangéliser. La démarche est distante car elle est menée par des responsables romains qui n’ont jamais mis le pied en Afrique ni même parfois dans une mission. La démarche est officielle et personne ne contestera son autorité car tous reconnaissent la Propagande comme le représentant légitime du Saint-Siège. Elle est aussi un organisme de régulation qui discipline les congrégations missionnaires pour coordonner leurs efforts en un seul mouvement. Par le Jus commissionis, la Propagande confie un champ d’apostolat identifié et délimité à une congrégation. Après avoir atteint une certaine maturité, et à la demande des missionnaires, la mission éprouve le besoin d’être divisée. La Propagande procède donc à des découpages, comme le réclament les congrégations701. La logique est toujours spatiale et l’autorité adopte un point de vue zénithal, à la fois global et distancé. Grâce aux cartes, qui résument à petite échelle les juridictions ecclésiastiques, la Propagande possède une image nette et -selon ses souhaits- réactualisée de l’évangélisation. Cette logique est assimilée par les congrégations comme le montre le découpage en districts à partir des années 1900 : la mission est divisée en parcelles, sur laquelle rayonne une station, avec un Supérieur et ses missionnaires. Toutefois, il ne faut pas exagérer le rôle joué par Rome dans l’organisation de la mission car il s’agit le plus souvent pour elle de réguler les relations entre congrégations et Etats. Sur cette question, la Propagande prend peu d’initiatives ; elle accompagne davantage l’évangélisation qu’elle ne la planifie.

Cette logique est conforme à la géographie poursuivie par l’Eglise catholique pour laquelle le diocèse constitue l’unité de base de la hiérarchie. Augmenter le nombre de diocèses, c’est augmenter la surface catholique, mais aussi la hiérarchie : c’est donc à la fois accroître son influence et sa territorialité702, et vice-versa. Cette logique de surface n’écarte toutefois pas une autre approche, plus ponctuelle, qui intéresse les lieux de pèlerinage. Localisés, ceux-ci correspondent mieux à la définition habituelle de « géographie sacrée »703. La logique suivie par Rome ne considère donc pas la mission en profondeur. La principale préoccupation reste l’installation de la hiérarchie et son déploiement, devenus avec les nombres de baptêmes et de chapelles les marques d’une mission prospère et suffisamment développée. En revanche, les moyens utilisés pour ce résultat intéressent moins l’autorité. Ils relèvent de la vie intérieure à la mission, soit le domaine que se réserve sa congrégation, pour lequel elle nourrit une logique de réseau, linéaire ou en rhizome selon son avancement ou sa disposition. Chaque logique correspond à une conception de la mission et renvoie une image : la logique de réseau aboutit à une description organique de la mission en insistant sur son identité ; la logique de surface ne retient que ses résultats et sa hiérarchie qui, une fois installée, la rend conforme aux autres missions.

Notes
701.

Cf. infra chapitre VIII : La revendication territoriale.

702.

Zeni Rosendhal définit la territorialité par « l’ensemble des pratiques dans le but de contrôler un territoire donné » ; « Géographie et religions, quelques orientations de recherche », in Géographie et cultures, n°42, 2002, pp.37-56.

703.

Ils font souvent l’objet d’une construction importante, surtout pour ceux qui ont précédé l’évangélisation. Leur renommée exerce une attraction sur des étendues parfois surprenantes. Mais leur rayonnement ne correspond pas au découpage de la hiérarchie.