L’évangélisation du continent mesurée par les grandes cartes des MC

« Notre carte d’Afrique », 1892

[« Notre carte d’Afrique », 1892713] (cf : Afrique ecclésiastique )

La carte des missions d’Afrique est attendue depuis longtemps. Elle s’inscrit dans la série de grandes cartes en couleur offertes chaque année aux lecteurs qui dressent l’état de l’évangélisation pour une région ou un pays. La première date de 1877 et porte sur les Etats-Unis. La mission américaine présente le double intérêt d’une région vaste comme un continent et d’un quadrillage missionnaire organisé. En effet, les missions sont calquées sur le découpage des Etats, donnant l’impression d’une couverture uniforme, géométrique et complète du territoire, qui correspond au partage égalitariste caractéristique des Etats-Unis. La carte des Etats-Unis constitue un modèle d’évangélisation pour d’autres missions comme l’Afrique, en même temps qu’un modèle de représentation, dans la figuration, la manière de nommer les missions, et l’utilisation de la couleur rouge pour identifier le déploiement missionnaire. Le document est offert de nouveau en 1881, puis fait l’objet d’une réactualisation en 1900 et 1918, ce qui place la région en tête des espaces couverts par les grandes cartes de la revue. L’Afrique n’est abordée qu’en 1891, bien après le Proche-Orient, la Cochinchine, la Chine et l’Inde714. Si les premières cartes inédites de la revue traitent toutes de l’Afrique, elles ne portent que sur des espaces restreints présentés à grande échelle et ne permettent pas une synthèse continentale des missions. Or, la revue nécessite une image complète de l’évangélisation en Afrique. Elle la trouve un moment dans l’ouvrage qu’un explorateur, le Baron Béthune, fait paraître en 1890715. Mais la carte est jugée insuffisante et les Missions catholiques entendent offrir à leurs lecteurs un document original, établi à partir de données plus officielles. C’est la carte de l’Afrique ecclésiastique, produite en 1892 par le RP Meillorat, CSSp. Plus grande716, elle utilise les Missiones catholicae pour les statistiques et l’Atlas de Werner717 pour les dé (cf : Afrique ecclésiastique ), coupages de mission. La revue est alors fière d’annoncer « notre carte d’Afrique » à ses lecteurs en mai 1892 :

« Les Missions catholiques ont confié à l’un des membres les plus érudits de la Congrégation du Saint-Esprit et du Saint-Cœur de Marie, le RP Meillorat, d’une compétence exceptionnelle pour les questions ecclésiastiques et géographiques du noir continent »718.

La représentation privilégie plusieurs approches en combinant cartes et tableaux statistiques, délivrant simultanément la valeur spatiale et quantitative des missions. Sur le plan spatial, le choix d’une carte lisible l’a emporté, ce qui tranche avec les cartes habituelles de l’Afrique. Ici, tous les noms géographiques sont en noirs, les termes hydrographiques en bleu, l’orographie en bistre. Le rouge et le chamois désignent les noms et les limites des missions et diocèses, confirmant les choix adoptés pour la carte des Etats-Unis quinze ans plus tôt. Cette attribution permet de rendre la hiérarchie religieuse facilement identifiable sans écarter la toponymie habituelle car la carte ne doit pas être pauvre d’un point de vue scientifique. Mais un même espace peut-être identifié par deux toponymes, l’un en noir et l’autre en rouge, donnant parfois lieu à une compétition pour la dénomination du territoire. Cette « querelle des toponymes » peut signifier l’ancienneté de la mission et son antériorité sur la colonie. Elle affirme du moins que le Congo des missionnaires n’est pas celui des militaires. Des numéros en rouge renvoient en légende à la liste des congrégations intervenant en Afrique, classées par ordre décroissant de leur nombre de missions. Le critère du nombre a été préféré à la taille ou au peuplement car il traduit la confiance que le Saint-Siège place en chaque congrégation, renouvelée pour chacune des missions qu’il confie. Il en résulte un palmarès qui désigne les Spiritains, largement en tête de classement avec onze missions, puis les Missionnaires d’Afrique et les Missions Africaines de Lyon, comme les principaux responsables de l’évangélisation de l’Afrique719. Ce classement entretient un esprit de compétition entre les congrégations et auprès des lecteurs-bienfaiteurs. Les premières sont appelées à se dépasser, les seconds à contribuer à leurs efforts. Sur le plan statistique, le choix de l’actualité a primé avec l’utilisation du tout récent Orbis terrarum catholicus de Werner720 et les Missiones catholicae de 1891. Chaque circonscription est évaluée selon le rapport habituel des moyens et des résultats, soient les nombres de prêtres et de frères puis de catholiques et d’églises. L’addition de toutes les statistiques donne l’impression d’un recensement complet qui n’écarte aucun effort et considère le moindre baptême comme un progrès pour l’évangélisation globale du continent.

Ainsi, en combinant lisibilité et actualité, cette représentation est mise au service de la mobilisation. De grande taille et éventuellement destinée à être affichée, elle se prête à une consultation collective devenant par exemple le support visuel pour drainer les aumônes et les aides dans les paroisses françaises. Mais la mention de sa date, 1891, insiste aussi sur son caractère éphémère : la carte dresse le bilan ecclésiastique pour cette année seulement. Elle appelle donc la comparaison avec une représentation ultérieure.

Notes
713.

«  Afrique ecclésiastique   », MC-1891-HT.

714.

Respectivement en 1882, 1883, 1884 et 1886. Cf. Tableau 1 Liste des grandes cartes offertes par les Missions catholiques (1880-1915).

715.

« Mission en Afrique », MC-1890-HT, 50x43 cm, 1/20.000.000è.

716.

«  Afrique ecclésiastique   », MC-1891-HT, 70x72 cm, 1/12.000.000è.

717.

WERNER O., Katholischer Missions-Atlas, Freiburg im Brisgau, Herder, 1884, 19 Tafeln. L’ouvrage est traduit par GROFFIER Valérien, Atlas des missions catholiques, Lyon, 1886, 20 cartes.

718.

« Notre carte d’Afrique », in MC¸ 6 mai 1892, pp.217-218.

719.

Les autres résultats sont les suivants : Société des Missionnaires d’Alger : six missions ; Missions Africaines de Lyon : cinq ; Oblats de Marie-Immaculée : trois ; Jésuites, Franciscains et Capucins deux missions ; sept autres congrégations dirigent une seule mission.

720.

WERNER O., Orbis terrarum catholicus sive totius ecclesiae catholicae et occidentis et orientis. Conspectus geographicus et statisticus, Fribourg im Brisgau, 1890, 266 p.