La carte des Missions catholiques en Afrique, 1905

[La carte des Missions catholiques en Afrique, 1905722] (cf : Missions catholiques en Afrique )

Dressée au 1/10.000.000è, la carte est offerte aux lecteurs en 1905. Elle clôt la série débutée dix ans auparavant en reprenant la figuration habituelle. Pour rassurer les esprits les plus exigeants, une note rappelle qu’elle a été réalisée « avec les documents les plus récents des missions, des explorateurs français, anglais, allemands et belges. Elle marque scrupuleusement d’après les rapports officiels, tous les tronçons de chemin de fer en exploitation, en construction et en projet dans les colonies européennes ». Il est évident que dans l’esprit des lecteurs des Missions catholiques, mission et colonisation ne font qu’un. Et comme l’actualité est marquée par la construction de voies de pénétration ferroviaires, toute nouvelle carte se doit de les figurer, au risque de l’anticipation. Le chemin de fer est la preuve d’une civilisation en marche et a contrario d’une barbarie et d’un paganisme en repli.

La disposition générale est la même qu’en 1892 : la carte légendée par la liste des congrégations surmonte des tableaux statistiques, invitant explicitement à la comparaison des deux documents. De nombreux indices témoignent des progrès de l’évangélisation. Sur un plan spatial, les blancs du Sahara et du Soudan ont été comblés par des toponymes et les circonscriptions de l’Afrique du Nord ont rejoint celles de l’Afrique subsaharienne723. Il n’existe plus de missions aux limites indécises et toutes ont leurs contours délimités avec précision. L’évangélisation progresse donc grâce aux missions, car la quinzaine d’évêchés et d’archevêchés de 1891 n’ont pas évolué. Le morcellement est une autre manifestation des progrès : l’Afrique est divisée en 68 missions, contre 50 en 1892. Enfin, la légende enregistre le niveau des « résidences ou postes de missionnaires », après celui des « résidences de vicaire ou de préfet apostolique », pour mieux rendre compte du déploiement territorial de la mission. En revanche le nom en majuscules des missions ne figure plus et il faut utiliser la légende pour les identifier. Le numéro en rouge ne renvoie plus à la liste des congrégations, mais au tableau statistique qui les nomme et les évalue selon neuf informations chiffrées724. Ainsi, le nom de la congrégation s’efface derrière l’œuvre accomplie et l’accent est porté davantage sur les réalisations : écoles, hôpitaux, orphelinats. Le contexte d’anticléricalisme en France en 1905 justifie sans doute que l’on insiste sur l’apport social et civilisationnel de la mission. Comme son nom ne figure plus directement sur la carte, c’est le nom politique, en noir, qui désigne seul le territoire. Il n’y a plus de concurrence entre le nom de la colonie attribué par le colonisateur et celui de la mission choisi par la Propagande. La querelle des toponymes est terminée. La carte gagne en lisibilité et montre un découpage ecclésiastique plus discret, c’est-à-dire respectueux du découpage politique où les espaces nés de la colonisation sont désormais adoptés.

Ainsi, les grandes cartes des Missions catholiques offrent une cartographie qui a évolué, même sur un temps très court, pour rendre compte du processus d’évangélisation sans appauvrir leur contenu géographique que les explorations augmentent sans cesse. La figuration accorde la couleur rouge à tout ce qui relève de la mission et permet de calquer une hiérarchie religieuse sur un découpage politique définitivement admis. On constate alors que l’Afrique présente l’exemple le plus abouti de la surimposition des limites ecclésiastiques sur les limites politiques, faisant coïncider missions et colonies. C’est le résultat de l’attitude conciliante recherchée par le Saint-Siège dans l’intérêt des missions. Ces cartes témoignent aussi d’un double mouvement : l’Afrique occidentale rejoint l’Afrique orientale alors que les missions du Sud du Sahara atteignent celles du Nord. L’Afrique est entièrement divisée et contrôlée. Il existe dorénavant un continuum chrétien qui n’admet aucune interruption.

Ces documents des Missions catholiques composent un genre cartographique particulièrement engagé. Mis au service d’une cause, célébrer la mission, ils cachent une réalité que d’autres n’hésitent pas à montrer, au risque de nuire à l’effet rassurant que procure la couverture totale du continent par la hiérarchie catholique. Par exemple, en 1912, le Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastique rappelle à propose des 72 missions qui se partagent l’Afrique, que..

« ..ce progrès, quelque incontestable qu’il soit ne doit pas faire illusion. Qu’est-ce en effet que 72 circonscriptions ecclésiastiques pour une superficie totale de 29.820.000 km2 ? Qu’est-ce qu’environ 500.000 catholiques, et même en comptant les schismatiques et les hérétiques, qu’est-ce que 750.000 chrétiens sur une population totale évaluée à 140 millions d’individus, dont 30 millions au moins sont musulmans, et dont 100 millions sont fétichistes ? »725

Notes
723.

Les nouvelles délimitations sont toutes des lignes astronomiques : le 20°N entre le P.A. du Sahara et le V.A. du Soudan, sur plus de 3.000 km ; le 15°N délimite le V.A. du Soudan et le V.A. du Haut-Niger ; de même, en Afrique australe, les deux nouvelles missions de Cimbebasie inférieure et du fleuve Orange sont encadrées par des méridiens et des parallèles. La plupart du temps, elles correspondent aux frontières politiques.

724.

Aux nombres de prêtres missionnaires, de frères, d’églises ou chapelles et de catholiques sont ajoutés ceux des Sœurs, des Ecoles, des hôpitaux ou pharmacies, des léproseries et des orphelinats.

725.

La remarque est de Henri Froidevaux, spécialiste d’histoire et de géographie coloniale, directeur de la Bibliothèque de la Société de géographie de Paris. FROIDEVAUX Henri, article « Afrique – aperçu sur l’histoire du christianisme », pp.862-871, in Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastique, Paris, Letouzey, 1912.