Par le rejet provisoire du cadre politique

Contrairement aux grandes cartes des Missions catholiques, celles des atlas se spécialisent sur le sujet des missions. Si les premières rappellent le découpage politique comme une toile de fond, les secondes ne cartographient que la répartition des champs d’apostolat. Cette attitude s’explique par le fait que les missionnaires sont les premiers Européens à parcourir ces contrées, c’est-à-dire que le fait missionnaire a précédé le fait colonial. Les cartes revendiquent cette antériorité, ne laissant apparaître avec les missions que les toponymes et ethnonymes les plus importants et occultant les colonies et la présence européenne en général. L’exemple de l’Atlas des missions françaises727 (cf : L’Afrique  ) de l’abbé Durand témoigne de cette préférence pour le découpage missionnaire : il n’offre même pas l’habituelle querelle des termes entre toponymes politiques et religieux. L’Afrique est toute entière disposée à l’appropriation par l’Eglise qui ne rencontre aucun rival. Le Katholischer Missions-atlas de Werner de 1884728 (cf : Nord und Central-Africa , Süd-Africa , Afrique4, septentrionale et centrale , Afrique méridionale et îles voisines ) ignore aussi les colonies dont les limites ne figurent pas. En revanche, un partage originel a divisé tout l’espace africain en 31 missions et six diocèses, avec un vaste Sahara encore non-délimité. Le découpage du continent en missions préexiste à celui des colonies. Cette présentation accrédite l’idée d’une géographie religieuse propre, qui se distingue de la géographie civile en ne tenant pas compte de la colonisation729. L’image d’une Afrique encore vierge que les missionnaires se chargent d’occuper et de découper est tout aussi flagrante dans les dictionnaires du catholicisme. Ainsi, le Dictionnaire de théologie de 1899 recense les missions sur un fond africain blanc avec une dizaine de noms pour seuls et uniques repères730.(cf : L’Afrique en 1899   ) Dans le Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastique731 (cf :   Afrique  ) de 1912, c’est la même spécialisation : l’Afrique est découpée en missions et diocèses, et cette fois dépourvue des noms habituels : Gibraltar, le Congo et le lac Tchad ont disparu. Ainsi, les cartes de l’Afrique dans les atlas sont l’expression d’une géographie religieuse propre, d’un découpage missionnaire originel qui suit sa logique et son rythme. Ces documents servent dans un premier temps à localiser les missions, pour les curieux ou les proches des missionnaires. Mais ils manifestent la capacité de l’Eglise catholique à s’approprier le territoire et à le découper à sa convenance, et ce en dehors de tout contrôle politique. L’évangélisation est libre et échappe à tous les cadres fixés par les Etats. Elle précède et l’emporte sur la colonisation.

Pourtant, la géographie religieuse n’ignore pas dans la réalité la géographie civile. L’établissement des champs d’apostolat s’est largement inspiré du découpage politique car le Saint-Siège a fait correspondre, dans leur intérêt, les limites des missions avec celles des colonies. Les atlas de missions rendent compte de cet alignement durant les années 1920. En faisant apparaître les Etats et les colonies ainsi que les toponymes locaux, les missions redeviennent vivantes et ne s’apparentent plus à une enveloppe superficielle posée sur l’Afrique. Dans le Petit Atlas des missions catholiques rédigé par Mgr Boucher en 1928, sur un fond de carte politique, les missions sont identifiées par leur nom en caractères gras ainsi que celui du lieu de résidence du v. ou du p.ap. En localisant ces centres, la mission s’anime et impose une géographie qui double souvent celle de l’administration coloniale. L’édition de 1932 accentue encore la correspondance entre évangélisation et colonisation732. L’atlas contemporain de l’Institut géographique d’Agostini733 renoue avec une représentation surfacique des missions, mais cette fois plaquée sur la carte politique de l’Afrique.

Ainsi, à la fin de notre période, dans les années 1930, les atlas des missions ont intégré l’idée selon laquelle la géographie missionnaire ne pouvait être montrée seule. La géographie religieuse et son produit, le découpage en champs d’apostolat, ne peut plus concurrencer la géographie politique et les empires coloniaux. Dès lors, la représentation des missions a adopté le cadre politique. Symboliquement, cela peut signifier que l’évangélisation est perçue comme un phénomène intégré à la colonisation. Cette tendance se confirme dans les atlas des années suivantes qui présentent des planches de l’Afrique exclusivement titrées par le nom des colonies734.

Notes
727.

«  L’Afrique  », 1874, planche 1, in DURAND, Les missions catholiques françaises ; Atlas, Paris, Delagrave, 1874.

728.

« Nord und Central-Africa », n°10 et « Süd-Africa », n°11, in WERNER O., Katholischer Missions-Atlas, Freiburg im Brisgau, Herder, 1884. Les mêmes traduites en français dans l’atlas de Groffier : «  Afrique4, septentrionale et centrale   », «  Afrique méridionale et îles voisines   ».

729.

D’ailleurs, quand elles apparaissent dans les légendes, les limites coloniales sont nommées « limites civiles ».

730.

«  L’Afrique en 1899   », in Dictionnaire de théologie, Tome 1, hors-texte, Letouzey et Ané, 1899. Sont portés les noms des six plus grands fleuves, de cinq caps et du Lac Tchad.

731.

«  Afrique   », 1912, Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, Tome 1, Letouzey et Ané, 1912.

732.

La carte de l’ « Afrique » au 1/30.000.000è montre à quel point les missions se sont logées dans le découpage colonial ; la légende de la carte rend compte des deux mouvements d’évangélisation et de colonisation. Pour mieux identifier la géographie religieuse de la carte générale, le graveur a du recourir à deux procédés : il souligne les chefs lieux de mission et accorde une initiale aux toponymes qui donnent leur nom à une mission : V pour V.A. , P pour P.A., M pour Mission. BOUCHER Mgr André, Petit atlas des missions catholiques, 1933, Hatier, 244 p, 12 cartes.

733.

Testo-atlante illustrato delle missioni, Istituto geographico de agostini, Novara, 1932, 160 p, 54 planches.

734.

Le Testo-atlante illustrato delle missioni, de 1932, l’Atlante delle missioni cattoliche de 1947 ou encore l’Atlas missionum de 1958 consacrent respectivement leursneuf, douze et neuf planches sur l’Afrique à des espaces politiques.