Par la recherche d’uniformité

L’autre différence avec les cartes des Missions catholiques réside dans la place faite aux congrégations. Alors que la revue désigne les sociétés missionnaires comme les véritables responsables de l’évangélisation, seuls quelques atlas leurs rendent hommage, en rappelant pour chaque mission la congrégation responsable, mais de plus en plus discrètement sur la période738.(cf : Afrique   ,   Afrique ) En revanche, les atlas de Werner et de Streit, établis directement depuis les archives de la Propagande, ne les mentionnent pas et les missions se distinguent les unes des autres par deux seuls critères : le nom et l’étendue spatiale. Le résultat donne de la mission l’image d’un mouvement unitaire qui nie la compétition entre les congrégations. Spiritains, Pères Blancs et Jésuites ont tous disparu avec leurs querelles derrière la marche de l’évangélisation qui se mesure à la couverture uniforme des missions. Les intérêts particuliers s’effacent devant l’objectif commun. C’est le message que veut adresser le Saint-Siège aux congrégations. Il annihile leurs revendications et leur rappelle le sens premier de l’apostolat vers lequel doivent tendre tous les efforts. En revanche, dans le Katholischer-Missions-atlas de Werner, les congrégations apparaissent dans la légende de la carte sur la Chine. L’auteur a sans doute voulu rendre hommage aux vénérables institutions missionnaires739 qui ont su lier leur nom à l’évangélisation du pays car aucune carte portant sur le catholicisme en Chine ne saurait les oublier. Ce traitement différent des congrégations peut s’expliquer par le caractère récent de la mission en Afrique. Datant de la moitié du XIXè, la Propagande a pu l’encadrer dès ses débuts et imposer uniformité et autorité, ce qui n’était pas le cas pour les missions d’Extrême-Orient, notamment celles dirigées par les Jésuites.

L’atlas illustré de l’institut géographique d’Agostini de 1932 réaffirme le désir d’uniformité. Sa préface rappelle qu’« il n’aspire pas à donner un compte-rendu complet de l’actualité de chaque organisme missionnaire, mais plutôt à imprimer dans l’esprit des lecteurs quelques idées d’ordre général »740. L’ouvrage anticipe les critiques741 et se retranche derrière l’autorité romaine auprès de laquelle ont été puisées les sources, patiemment collectées, recoupées et mises à jour : les statistiques sont tirées des Missiones catholicae, les illustrations de l’agence internationale FIDES, et les remerciements traditionnellement adressés au Cardinal-préfet de la Propagande, Guglielmo M. Van Rossum, et à son secrétaire Carlo Salotti.

Les atlas de Werner, de Streit et de l’institut géographique d’Agostini peuvent être pris comme une réponse cartographique de la Propagande, une sorte de mise au point de l’institution pour dépasser les dysfonctionnements et célébrer l’essentiel : la marche de l’évangélisation. Parce qu’ils affirment l’autorité romaine et rappellent les congrégations à leurs engagements et parce qu’ils utilisent les archives détenues par la Propagande, ils peuvent être considérés comme la cartographie officielle du Saint-Siège à propos des missions. Ces ouvrages partagent une particularité : ils ont tous été traduits dans la plupart des langues européennes, ce qui les a imposés aux ouvrages concurrents comme la référence du moment. Après la seconde guerre mondiale, ce type de cartographie officielle connaît un essor flagrant : l’Atlante delle missioni cattoliche édité à Rome en 1947 recense à l’aide de 40 cartes à grande échelle le domaine de la Propagande. Puis, en 1958 paraît l’Atlas missionum742 : l’ouvrage propose près de 43 planches de cartes, à des échelles jusque-là inégalées comme le 1/5.000.000è. Son auteur est un disciple de Streit, le verbite Henrico Emmerich, qui a déjà consacré six ans auparavant un atlas à sa congrégation743. Le tour du monde des missions commence par un plan de Rome, sans doute pour affirmer la centralité qu’occupe le siège pontifical sur la terre744. En 1968, le RP Emmerich rend hommage à son professeur en reprenant, 38 ans plus tard, son Atlas hierarchicus, pour réactualiser l’état d’avancement des missions745. Elaboré par les éditions du Saint-Siège, il est un rappel nécessaire de l’étendue du domaine de la mission, au moment de la décolonisation et des affirmations nationales746. Depuis le Katholischer Missions-atlas de 1906, l’école de cartographie autrichienne mise en place par Karl Streit a joué un rôle décisif dans la production d’atlas officiels. Cette école s’est développée dans l’institut Saint-Gabriel fondé à Mödling près de Vienne par le RP Bsteh, à partir des travaux anthropologiques et ethnologiques des missionnaires de la Société du Verbe Divin747. Les RRPP Schmidt, fondateur de la revue Anthropos, et Schmidlin, considéré comme un promoteur de la Missionwissenschaft, sont de parfaits représentants. Karl Streit a initié la discipline cartographique748, transmise à d’autres Verbites comme Enrico Emmerich ou Anton Freitag, auteur d’un Atlas du monde chrétien en 1959749. Cette école de Mödling a maintenu la tradition de représenter l’étendue totale des missions et a généralisé ses compétences à toute la cartographie ecclésiastique750. En ajoutant l’œuvre accomplie par l’Istituto de Agostini de Novara durant les années 1930, le Saint-Siège dispose d’une image de l’évangélisation durant toute la période et réactualisée à chaque décennie.

Ainsi, les grandes cartes des Missions catholiques et les atlas opposent deux représentations : les premières proposent plutôt une image de l’intérieur : en montrant les congrégations à l’œuvre en Afrique, elles présentent en quelque sorte les rouages du système. Les atlas en revanche proposent l’image d’une Eglise toute puissante qui centralise et assure seule l’évangélisation. Certains privilégient l’uniformisation romaine et insistent sur l’organisation générale des missions. Parfois, ils sont dépourvus de cartes et ressemblent davantage à des annuaires. Délaissant l’aspect territorial et spatial, ils misent sur l’aspect administratif et hiérarchique751. Cette représentation romaine laisse de la mission une image lisse et uniforme, destinée à être comparée aux autres religions.

Notes
738.

Dans l’atlas de l’abbé Durand en 1874, les congrégations constituent la légende de la carte : « Afrique   », 1874 in DURAND, Les missions catholiques françaises ; Atlas, Paris, Delagrave, 1874. Dans le Dictionnaire de théologie de 1912, leur nom figure en petits caractères sous celui de chaque mission : «  Afrique   », 1912. Le Petit atlas de Boucher de 1933 ne retient que leur sigle associé à chaque mission : BOUCHER Mgr André, op. cit .

739.

Sont présentes les Missions étrangères, les Jésuites, Franciscains, Lazaristes, Augustins, Dominicains, parfois depuis le XVIIè s.

740.

Testo-atlante illustrato delle missioni, Istituto de agostini, Novara, 1932, prefazione, pp.IV-V.

741.

I bi dem. « Les ordres, les congrégations, les instituts religieux qui pourvoient au personnel de mission sont priés de tenir tout particulièrement compte des délais d’édition et de ce fait certains auteurs n’ont pu étudier dans le détail bon nombre de missions qui mériteraient une attention soutenue ». Traduction personnelle.

742.

Atlas Missionum¸ 1958. Chaque planche est accompagné d’un texte traduit dans quatre langues européennes.

743.

EmMerich (Henrico), Atlas societatis verbi divini, Austria, 1952.

744.

Plan de Rome au 1/16.000è. Près de 200 églises sont localisées avec la couleur rouge habituelle.

745.

« Depuis, ce n’est pas seulement l’image politique qui s’est changée, mais aussi celle de l’Eglise catholique. L’œuvre présentée qui au fond est une création complètement nouvelle en prouve la vérité. Elle présente la permanence de l’Orbis Catholicus d’aujourd’hui selon ses dimensions géographiques et statistiques (..) Pour le contenu des cartes, il fallait tenir compte des intérêts essentiels de l’Eglise : limites exactes, structure hiérarchique, séminaires et académies ecclésiastiques, lieux importants par rapport à l’histoire de l’Eglise ou à la vie ecclésiastique actuelle », in EmMerich (Henrico), Atlas hierarchicus, St-Gabriel-Verlag, Mödling, Austria, 1968, Préface, p.3.

746.

Sans oublier la centralité de Rome : un plan du Vatican, puis un autre de Rome, précèdent la longue liste des missions.

747.

AVELINE Jean-Marc, Les chemins de dialogue, n°27 avril 2006, p.5.

748.

Sur la question, outre les atlas précités et à titre indicatif : « Mission und Kartographie », pp.276-280, in Z eitschrift für Missionswissenschaft, XX, Münster, 1930.

749.

FREITAG Anton, Atlas du monde chrétien ; l’extension du christianisme à travers les siècles, Paris, Bruxelles, Trad., 1959.

750.

En 1955 est créée à Rome lors du Xè Congrès international des sciences historiques une commission internationale de cartographie ecclésiastique et dont la présidence est confiée au RP de Dainville. Son objectif initial est de réaliser un atlas de géographie historique des religions. Un groupe de travail réuni à l’Institut Max Plancke de Göttingen les 24 et 25 juillet 1961 vise à collecter bibliographie et cartographie sur la question. En France se tient un premier colloque en 1963. Pourtant, deux seuls ouvrages naissent de ce projet, sans doute dressés par les Verbites de l’école de Mödling : Bibliographie de cartographie ecclésiastique, Tome 1 : Allemagne, Autriche, Leiden, Brill, 352 p ; tome 2 : Pologne, Leiden, Brill, 204 p.

751.

Ainsi l’ouvrage de WERNER O., Orb i s terrarum catholicus sive totius ecclesiae catholicae et occidentis et orientis. Conspectus geographicus et statisticus, Fribourg im Brisgau, 1890, 266 p. Il est composé à l’aide d’une collection complète établie à partir des différents conciles et synodes de l’Eglise. Il réunit toutes les missions catholiques du monde entier, sans recourir à la moindre carte.