Les globes

[Les globes757]

Les globes terrestres symbolisent le pouvoir sur le monde que revendiquent de nombreux souverains. Ils figurent au revers des monnaies de l’empereur romain Auguste, associés à la couronne et au sceptre, signifiant que le pouvoir de Rome lui assure la direction du monde ; le prince est dit cosmocrator758. D’autres utilisent une boule d’or pour matérialiser l’univers ; surmontée d’un emblème, elle compose le globe impérial. Les empereurs byzantins utilisent une victoire. Au VIè s., Justinien lui préfère la croix, signifiant la nature de son pouvoir et affirmant le césaropapisme. Les empereurs francs privilégient aussi le globe crucifère. Il réunit le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel : la sphère représente la terre, la croix le christianisme. Le globe impérial symbolise alors la légitimation du pouvoir temporel par le pouvoir spirituel, du souverain par l’Eglise759. Le globe surmonté de la croix revêt ainsi plusieurs sens et alimente toutes les prétentions : il peut désigner le monde comme une propriété chrétienne, notamment pour les empereurs chrétiens760 ; il peut aussi identifier celui qui le porte comme l’unique chef politique et religieux du monde, l’autocrator. Dans les deux cas, il est une image du pouvoir. La symbolique royale française n’adopte le globe qu’à partir du XVè, mais il n’entre pas dans la liste des regalia. A l’époque, l’expansion outre-mer s’anime d’une motivation religieuse et il s’agit de convertir toutes les nations au christianisme. « Dans un avenir qu’on croyait proche, la sphère terrestre serait conquise par la croix du Christ »761. Ainsi, miniaturisés, les globes symbolisent la maîtrise de l’univers.

Pour l’Eglise, le globe surmonté de la croix devient alors l’image réduite de l’évangélisation car il réunit l’Eglise et l’espace, soit l’autorité et son champ d’action. Il permet de revendiquer la propriété totale et entière du christianisme sur le monde et constitue en même temps son objectif à atteindre. Des ordres religieux l’adoptent, comme celui des Chartreux au Moyen-Age762. Au XIXè, il devient l’image privilégiée pour exprimer l’Œuvre de la Propagation de la Foi. Elle l’utilise sur ses revues763 puis ses affiches764. Les publications spécialisées dans la mission s’emparent du motif, puis le déclinent sous différentes formes, notamment sur les pages de couverture d’Atlas. Au XXè, le globe surmonté de la croix devient l’image officielle des publications de la Congrégation de la Propagande, associée à la devise Euntes docete omnes gentes765. Les images du globe crucifère sont donc nombreuses et chacune prend un sens différent selon l’autorité qui la produit.

Les représentations qui figurent sur les publications de notre période (Cf. Annexe 22 :  : quelques représentations du globe et de la croix ) sont l’œuvre de l’autorité religieuse. Elles se démarquent des représentations politiques par deux éléments. Tout d’abord, la croix est distincte du globe ; elle le surplombe, sans doute pour mieux signifier son rayonnement, d’origine extra-terrestre, voire cosmique. Sa taille varie, mais l’essentiel est de montrer l’ascendance de la croix sur le globe, qui se trouve entièrement placé sous son influence ou sa protection. La croix occupe aussi une position centrale ; soit elle est située au-dessus du globe dans l’axe des pôles, qu’une brève esquisse des continents permet de reconnaître, soit elle est placée entre deux globes, qui font référence aux deux mondes, l’ancien composé de l’Europe, l’Asie et l’Afrique et le nouveau constitué par l’Amérique. La croix est donc au centre de toutes les terres occupées par les hommes, assurant le ciment entre ses continents. Cette position avantageuse de l’Eglise catholique nourrit les prétentions romaines à la centralité, comme le montre l’Annuaire pontifical catholique : la place St-Pierre reproduit dans sa rotondité la sphère terrestre et se désigne comme son centre. L’image pourrait s’interpréter ainsi : la terre est dominée par la Croix, son centre est Rome, siège du Pontife. Le second élément porte sur l’absence de personnage : le globe et la croix sont représentés seuls, davantage pour eux-mêmes que comme objet dans les mains d’un puissant. En tant qu’objet, le globe crucifère symbolise la maîtrise du monde et prétend la toute puissance de celui qui le détient, suffisamment représenté pour qu’on puisse le reconnaître. Seul, en tant que sujet, il délivre un message que l’esprit est censé décrypter à partir de ses composantes : le globe, la croix et son rayonnement. Parfois, une devise l’accompagne, pour mieux en préciser le sens. Très souvent, et pour appuyer les prétentions romaines, la figure du pontife est ajoutée au dessin grâce à ses attributs habituels que sont la tiare, les clés croisées et le ruban. Cela permet d’exprimer un discours intemporel, car il est question du Pontife et non d’un Pape en particulier, soit une manière de répondre aux représentations vaniteuses et forcément datées des souverains. Ici, l’image peut être reprise quelque soit la période. Ces attributs sont souvent placés au-dessus de la croix et parfois même la remplacent. Ainsi, ces nombreuses variations montrent que le globe associé à la croix est une figure que s’est appropriée l’Eglise catholique pour exprimer son universalité et le Saint-Siège en particulier pour signifier centralité et direction.

Notes
757.

Sur les globes, voir Le globe et son image, BNF, exposition 13 avril-27 mai 1995, Paris, 1995, 70 p.

758.

« Les éléments lui obéissent, les mers lui livrent passage, les vents répondent à sa voix » : LECOQ Danielle, « Une image du pouvoir », in Le globe et son image, op . cit.,p.14.

759.

Ibid., p.23. Raoul Glaber rapporte qu’en 1014, pour la première fois, le Pape Benoît VIII aurait remis un globe à l’empereur Henri II en signe de souveraineté : « Le pape Benoît (..) fit fabriquer une sorte de pomme d’or, divisée en quatre parties par des rangées de pierres fort précieuses, et surmontées d’une croix d’or. Elle était l’image de cette terre qui paraît-il affecte une forme ronde ; sa vue devait rappeler au souverain de l’empire terrestre qu’il doit gouverner et faire la guerre en ce bas monde sans autre souci que de mériter d’être protégé par l’enseigne de la croix vivifiante ».

760.

Ibid., p.20.

761.

PELLETIER Monique, « La symbolique royale française des globes et des rois », in Le globe et son image, op. cit .

762.

Le globe crucifère des Chartreux daterait du XIIIè s. C’est une croix placée au centre d’un cercle, surmonté de sept étoiles représentant St-Bruno et ses disciples. Plus tard lui est associée la devise Stat Crux dum vol v it ur orbis : le monde tourne, la croix demeure.

763.

Les Annales de la Propagation de la foi l’adoptent à partir de 1884, les Missions catholiques seulement à partir de la nouvelle formule en 1936.

764.

Voir la belle collection d’affiches disposée dans les locaux des Œuvres Pontificales Missionnaires, au 12 rue Sala à Lyon.

765.

« Faire des disciples de toutes les nations», extrait de la Bible, Mt 28, 19.