Le sens de l’exposition vaticane des missions

[Le sens de l’exposition vaticane des missions785]

Le projet d’une exposition missionnaire sur les missions à Rome est arrêté depuis 1923. Pie XI en présente le principe :

« rassembler et exposer publiquement en cette cité, capitale du monde, tout ce qui est propre à mettre en lumière la nature et l’action des missions catholiques, les lieux où elles opèrent, en un mot, tout ce qui s’y apparente »786.

Ainsi, l’exposition sollicite tous les acteurs impliqués dans l’évangélisation : les congrégations, les organisations charitables comme la Sainte-Enfance ou l’Œuvre de la Propagation de la Foi787 rejoignent l’ensemble des missions pour célébrer l’apostolat. Chaque V.A., chaque P.A., chaque mission devra faire parvenir à Rome toute sorte d’objets qui les caractérisent. Rome veut réunir tous les travaux scientifiques des missionnaires pour alimenter la future bibliothèque de la Propagande et en même temps offrir des objets insolites pour satisfaire la curiosité des visiteurs. Il faut révéler au monde la richesse et la diversité des missions catholiques. En tout, 1.718 colis parviennent à Rome. Le 21 décembre 1924, le Pape inaugure une exposition vaste de 6.500 m2, déployée dans les jardins du Vatican. L’exposition est à la fois une et plurielle. L’unicité désigne Rome et sa capacité à centraliser et diriger l’élan missionnaire, à réunir toutes les missions du monde et près de 64 institutions. La diversité est assurée par les missions que l’on donne à voir, selon une rigueur scientifique :

« Nous avons voulu que l’ensemble magnifique des missions, de cette œuvre vraiment divine, soit comme illuminée d’une unique lumière qui en révèle non seulement sa beauté, mais aussi les plus délicates exigences. C’est pourquoi nous avons désiré que la partie scientifique, géographique, ethnologique, médicale et littéraire des missions occupe une place importante (..) Car nous vivons dans des temps où plus que jamais il est manifeste que tous les héroïsmes et tous les sacrifices inhérents à la vie des missions ne suffisent plus à assurer le succès de l’apostolat. Si l’on veut recueillir le fruit le plus complet de tous ces sacrifices et de tout ce labeur, il faut demander aux sciences des lumières qui permettent d’indiquer les voies les plus directes, qui suggèrent la méthode la plus efficace »788.

Comme en témoigne ce discours inaugural, l’exposition reflète l’intérêt dorénavant primordial accordé à la missiologie et fournira les matériaux pour sa formation. Ainsi, tous les livres sur l’histoire, les traditions, les légendes, la géographie, l’ethnologie, la religion, la langue du pays, rédigés par les missionnaires doivent être envoyés en deux exemplaires. Pour les articles, il fallait indiquer la revue, l’année, la page de leur parution. Cette bibliographie constituera une base solide pour la Bibiotheca Missionum du RP Streit. Un musée ethnologique missionnaire est prévu pour transformer l’événement en exposition permanente. Institué par le motu proprio du 12 novembre 1926, il est placé sous la direction du RP Schmidt, SVD, par ailleurs fondateur de la revue Anthropos en 1906.

Les cartes à l’exposition

Sur le plan cartographique, l’exposition devient l’occasion de produire des cartes sur l’ensemble des missions ou d’actualiser celles existantes et de les acheminer à Rome. Sont prévues..

« ..des cartes terrestres et maritimes, anciennes et modernes, manuscrites ou imprimées, avec notes corrigeant ou complétant les données déjà publiées. Vues pittoresques, panoramas des lieux curieux ou intéressants de la région, surtout si les dessins sont artistiques ou faits par les indigènes (..) »789.

Et pour chaque mission..

« ..la carte géographique la plus récente possible, indiquant les districts, les stations avec l’année ou le siècle de leur fondation. Format : 1 m environ. En marge, sur une échelle réduite, situer exactement la mission dans le planisphère ou le continent »790.

La carte remplit donc plusieurs fonctions : elle participe à l’exotisme, par la sonorité des toponymes ou tout simplement le déplacement géographique qu’elle suscite ; elle identifie la mission institutionnelle, délimitée par la Propagande ; elle prouve que les missionnaires connaissent bien leur mission par la profusion de toponymes qu’ils ont portés ; elle est une fenêtre ouverte sur la mission, le document référent auquel se rattachent la plupart des autres objets exposés et pour lesquels la localisation a été indiquée ; par les districts et les stations, elle atteste de l’organisation interne de la mission et de l’état de l’évangélisation ; enfin, établie sur un format identique, elle représente parfois le seul objet commun à chaque mission, contribuant à uniformiser l’exposition. Elle constitue un repère pour le visiteur en même temps que le support d’un discours qui vante l’étendue et la diversité des missions, c’est-à-dire l’universalité du pouvoir de l’Eglise catholique. La carte joue bien un rôle fondamental. La géographie aussi : dans la salle de l’ethnographie et des sciences auxiliaires, la discipline occupe une place de choix avec un globe terrestre géant et un planisphère des langues. Dans le salon de la Propagande sont exposés de vastes tableaux statistiques qui recensent les missions en 1623. « Le monde entier est le théâtre de l’apostolat catholique » titre un journaliste français après avoir visité l’exposition791. C’est bien le monde entier qui est présenté à l’exposition, mais mis en scène pour la publicité de l’évangélisation. Un Calendrier atlas de l’apostolat est vendu aux visiteurs. Il reproduit en réduction le domaine de l’évangélisation sur terre, ultime image de l’universalité du message chrétien.

L’élément géographique est mis en avant dès le départ, car il détermine la répartition des sujets et des salles. L’univers est divisé en vastes zones géographiques à l’intérieur desquelles se répartissent les missions, par continent ou par région. Cette disposition a comme effet de perturber l’ordre habituellement admis par les congrégations, comme l’explique un visiteur :

« Il y a bien quelque inconvénient pour qui voudrait se rendre compte de l’activité missionnaire d’une famille religieuse déterminée. Celles qui, à la Congrégation du St-Esprit, ont un champ d’apostolat étendu et varié, occupent des points forts distants les uns des autres dans la vaste exhibition. Pour se faire une idée synthétique de son histoire, il faut se rendre au stand où, à côté des autres congrégations, elle expose ses statistiques générales. De nombreux graphiques montrent la progression du chiffre des chrétiens et des catéchumènes, du nombre des écoliers et de la longévité des missions. Beaucoup d’objets sont exposés, des photos.. »792.

En somme, l’exposition neutralise la tendance des congrégations à s’approprier les territoires. Les premières sont réunies dans un même endroit, alors que leur champ d’apostolat réintègre selon l’ordre géographique habituel leur continent, rejoignant les autres missions voisines. Cet ordre naturel qu’on retrouve dans les atlas des missions reste absent dans ceux qu’élaborent les congrégations. L’absence de cartes dans les salles réservées aux congrégations n’est pas anodin. En effet, une carte-bilan qui retracerait l’étendue du domaine spiritain, jésuite ou des Pères Blancs, pourrait être interprétée comme une publicité partisane qui provoquerait une sélection au sein des missions. Or, c’est bien la notion d’unité, d’égalité et d’uniformité que l’exposition doit renvoyer. Seul un historique et quelques statistiques sont admises pour exprimer la valeur de chaque famille missionnaire. De plus, chacune doit confier ses meilleurs travaux scientifiques aux organisateurs qui les exposent dans d’autres salles, selon leur thème793.

L’exposition a reçu 500.000 visiteurs pendant neuf mois, et parfois jusqu’à 6.000 par jour. Conformément au projet initial, elle donne naissance à un musée ethnologique logé dans le palais du Latran. Mais la tâche la plus urgente, confiée au RP Streit, est de résumer l’exposition pour offrir l’image la plus enthousiaste possible de l’évangélisation.

Notes
785.

La revue Les Missions catholiques a largement relayé l’événement durant toute l’année 1925 : le plan, p.174 ; la visite, pp.234, 245, 258 ; son caractère scientifique, p.317 ; la participation de la congrégation du St-Esprit, pp.378-391 ; celle de la Cie de Jésus, p.461 ; le chiffre des entrées, p.533.

786.

Allocution de Pie XI, 29 avril 1925.

787.

Les responsables du Conseil lyonnais de l’Œuvre sont contactés par la Propagande en février 1923. Valérien Groffier effectue alors un séjour d’un mois à Rome, pour y dresser un tableau historique des centpremières années de l’Œuvre, in MC, 1er nov. 1929, n°3097, p.536.

788.

Discours inaugural de Pie XI, 21 décembre 1924, rapporté par RETIF André, « L’avènement des jeunes Eglises », op. c it ., p.140.

789.

« Exposition vaticane des missions », in MC, 1925, pp.173-174.

790.

I bi dem. Arens confirme le fait que chaque mission a bien envoyé à l’exposition une telle carte. ARENS Bernard, Manuel des missions catholiques, Paris, éd. du Museum Lessianum, 1925.

791.

La croix de Paris, d’après MC, 1925, p.234.

792.

« La congrégation du St-Esprit à l’Exposition missionnaire du Vatican », in MC, 1926, p.378. Un tableau du RP Briault, Le naufrage de l’Afrique, revient sur le drame survenu le 11 janvier 1920. Le naufrage provoque la disparition de Mgr Jalabert et 17 missionnaires ; ils composaient le premier renfort spiritains aux missions d’Afrique après la première guerre mondiale.

793.

Les Jésuites exposent des minutes des cartes du RP Roblet sur Madagascar.