La notion de catholicité

Le terme « catholicité » désigne au début de notre période ce qui est conforme à la doctrine catholique, englobant les personnes et l’Eglise. Dans les dictionnaires français il est aussi question d’une définition d’ordre spatial : la catholicité « se prend quelque fois pour tous les pays catholiques »800. A la fin de la période, le « quelque fois » est remplacé par « également », et le terme est plus souvent employé pour cette signification. Aujourd’hui, le mot catholicité se définit avant tout par sa dimension spatiale.

= la notion a donc changé de sens au cours de notre période, par diverses étapes.

Le Dictionnaire de théologie catholique801 de 1909 consacre un long article à la notion en privilégiant sons sens spatial, après un rapide exposé de sa première signification. La catholicité désigne alors l’universalité de l’Eglise catholique, c’est-à-dire son objectif d’enseigner l’Evangile dans le monde entier s’adressant à tous les peuples, sans distinction de races ou de nationalités. C’est donc en évangélisant des peuples considérés comme très différents des Européens que l’Eglise prouve son caractère universel. La mission auprès des Noirs, comme la réclame Libermann en 1846, devient l’occasion de revendiquer cette universalité. La notion n’est pas nouvelle car quelques pères de l’Eglise l’utilisent, comme St-Cyrille de Jérusalem ou St-Augustin. Selon eux, la présence de l’Eglise en différents lieux est un fait notoire, tangible et indiscutable. La catholicité serait alors la manifestation visible de la diffusion de l’Eglise dans tout l’univers. Au XIXè, les atlas apportent cette visibilité au plus grand nombre en montrant les progrès de la présence du catholicisme sur terre. Encore faut-il distinguer catholicité de droit et catholicité de fait. La première désigne la terre comme création divine et propriété originellement chrétienne ; elle réunit la totalité des hommes. Le pape Léon XIII l’avait déjà proclamé à la fin du XIXè s.802. La seconde est la présence effective, l’empreinte réelle qu’occupe le catholicisme sur terre. En effet, l’Eglise ne peut exister que là où l’Evangile a été prêché. De plus, il existe des peuples réfractaires et des espaces qui résistent à la propagation de la foi. La catholicité de fait ne rejoint donc pas celle du droit. Toutefois, pour que la catholicité morale qui seule valide l’universalité soit atteinte, il faut que de son centre de propagation originel, Jérusalem et la Palestine, l’Evangile se soit répandu dans les différentes directions du monde. Ainsi, sans occuper toutes les terres, la croix peut se contenter d’être présente sur tous les continents. Cette définition prend en compte l’impossibilité que connaît le catholicisme à entamer d’autres religions comme l’islam ou le bouddhisme. Enfin la catholicité distingue le catholicisme des autres religions chrétiennes car les églises schismatiques et protestantes ne composent pas une Eglise unie. La notion constitue une Note de l’Eglise catholique, c’est-à-dire un caractère propre qui la reconnaît partout où elle existe, au même titre que l’unité ou l’apostolicité. Pour conclure, l’article du Dictionnaire se réfère à l’Orbis terrarum catholicus du RP Werner803 : l’ouvrage met hors de doute la prétention à l’universalité en recensant la somme des fidèles catholiques déployés dans le monde entier. En définitive « les catholiques parlent toutes les langues du globe et appartiennent à toutes les nationalités qui se le partagent ». La mission, parce qu’elle se situe sur les marges du monde catholique, accroît la catholicité de l’Eglise. Les témoignages d’évangélisation des peuples dit primitifs fournissent des preuves aux défenseurs de la catholicité.

En 1956, le RP André Rétif, SJ, historien des missions, consacre un numéro de l’Encyclopédie du Catholique au XXè s. à la catholicité. Le sens géographique de la notion s’est désormais imposé. L’auteur dresse un rapide bilan de l’extension du catholicisme dans la première moitié du XXè s. Selon lui, la lettre Maximum Illud élaborée par le cCardinal-préfet de la Propagande Van Rossum en 1919, constitue « l’une des plus belles expressions de la catholicité de l’Eglise du XXè s. »804. Cette lettre a donné naissance à de très nombreuses églises locales qui ensemble témoignent de l’enracinement partout du christianisme. De plus, après la première guerre mondiale, la catholicité est présentée comme une protection contre la guerre, car l’Eglise est « une institution divine qui peut sauvegarder le caractère sacré du droit des gens et qui touche à toutes les nations (..) L’Eglise n’est étrangère dans aucune des nations ». Au moment de l’exposition vaticane des missions, la catholicité est brandie pour lutter contre le nationalisme dont font preuve de nombreux missionnaires. La notion incarne la défense de l’Eglise contre les particularismes. Le pape Pie XI évoque l’internationale de l’Eglise catholique :

« L’exposition missionnaire vous a dit comment, jusqu’aux plus lointaines frontières, se répand cette divine Internationale de l’Eglise catholique. Et vous, vous êtes venus ici la voir en son centre, pour l’embrasser tout entière d’un seul regard, pour en goûter la beauté, et vous ajoutez encore vous-mêmes, par votre présence, à cette vision de grandeur et de puissance. La voilà donc, la grande, la divine Internationale telle que vous la chantez (..) la voilà sous vos yeux, une et universelle ! L’Unité et l’universalité de l’Eglise ! Jamais elles n’auront été si visibles »805

Son successeur Pie XII continue à affirmer la valeur d’universalité de l’Eglise. Et pour la rendre encore plus visible, il décide à Noël 1945, d’internationaliser le Sacré collège en augmentant le nombre de cardinaux étrangers ; devenus plus nombreux que les cardinaux italiens, ils contribuaient à rendre le siège romain plus conforme à la composition de l’Eglise :

« Nous avons voulu, par ces nominations, qu’un plus grand nombre de races et de peuples de la communauté catholique soient représentés de façon à assurer le principe de l’universalité de l’Eglise. Comme nous avions, par suite de la guerre, concentré dans la Cité du Vatican des hommes de toutes les parties du monde, maintenant que la guerre est terminée, Nous aurons la consolation de voir autour de nous des hommes de toutes les parties du monde. Car la Cité du Vatican est la cité universelle sur laquelle sont fixés des regards de la catholicité »806.

Cette mesure illustre la doctrine dite de supra-nationalité élaborée par Pie XII : l’Eglise catholique, dont Rome est le centre, est supra-nationale par son essence même : elle est mère de toutes les nations et de tous les peuples, non moins que de tous les individus et donc ne peut appartenir exclusivement à tel ou tel peuple. En tant que mère, elle n’est étrangère en aucun endroit et vit dans tous les peuples. « L’Eglise est donc supranationale, en tant qu’elle est un tout indivisible et universel »807.

La catholicité est devenue une notion incontournable pour l’Eglise romaine. Valeur récurrente de son discours, elle lui permet de célébrer les progrès et l’Unité de l’évangélisation en lui garantissant une certaine autonomie. Toutefois, la notion provoque encore des débats durant les années 1960. Marc Spindler rappelle dans sa Théologie de l’espace que de nombreux théologiens se sont élevés contre l’interprétation géographique de la catholicité, estimant qu’elle ne devait pas se réduire à une simple conception topographique. Pourtant, il conclue en réhabilitant sa valeur spatiale :

« Il ne faut pas mépriser l’expansion géographique de l’Eglise, qui seule lui permet d’être effectivement catholique, au double sens qualitatif et quantitatif, car c’est ainsi que l’Eglise peut assumer et purifier toutes les civilisations humaines particulières (..). Or, sans la mission, sans déplacement spatial à la rencontre des civilisations différentes, cette catholicité spatiale de l’Eglise ne pourrait se réaliser »808

Aujourd’hui, la catholicité exprime essentiellement l’universalité de l’Eglise au point de se confondre avec elle. Elle désigne un ensemble en mouvement, qui s’accroît grâce à la mission, à la fois en nombre et en surface. Comme le fait remarquer Maurier, la religion catholique est universaliste. Elle s’impose aux religions premières plus spontanées mais aussi plus localisées. Le géographe américain David Sopher a distingué le premier les religions universalisantes des religions dites ethniques. Ses études micro-géographiques sur la religion présentent des exemples d’interactions entre les deux : les communautés se mélangent dans des régions de transition, ce qui se traduit par trois types de comportement : la coexistence pacifique, l’instabilité ou la compétition, l’intolérance et l’exclusion809. Dans le deuxième cas, la mission cherche précisément à créer un modèle de conversion mais rencontre des obstacles à mesure qu’apparaissent des aires de résistance. Les marges de la catholicité sont justement ces marges actives où se déploie la mission.

Notes
800.

Dictionnaire de l’Académie française. La définition est la même dans les éditions de 1762 à 1932. La première mention d’une catholicité regroupant l’ensemble des pays, des fidèles et des nations catholiques daterait de 1732, dans le Dictionnaire universel français et latin vulgairement appelé dictionnaire de Trévoux, Tome 2.

801.

MOUREAU H., « Catholicité », in Dictionnaire de théologie catholique, Letouzey et Ané, tome 2, 1909, pp.2000-2012.

802.

« L’empire du Christ ne s’étend pas exclusivement aux nations catholiques ni seulement aux chrétiens baptisés qui appartiennent juridiquement à l’Eglise, même si ils sont égarés loin d’elle par des opinions erronées ou séparées de sa communion par le schisme. Il embrasse également et sans exception tous les hommes, même étrangers à la foi chrétienne, de sorte que l’empire du Christ-Jésus est en stricte vérité l’universalité du genre humain », in Annum Sacrum, 1899, rapporté par RETIF André, SJ, La catholicité, Paris, 1956, p.94.

803.

WERNER O., Orbis terrarum catholicus sive totius ecclesiae catholicae et occidentis et orientis. Conspectus geographicus et statisticus, Fribourg im Brisgau, 1890, 266 p.

804.

RETIF André, SJ, La catholicité, Encyclopédie catholique du XXè s., Paris, Fayard, p.90.

805.

I bid, p.98.

806.

Ibi d ., p.106.

807.

I bid., p.101.

808.

SPINDLER Marc, Pour une théologie de l’espace, Cahiers théologiques, Ed. Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1968, p.63.

809.

Rapporté par ROSENDAHL Zeny, « Géographie et religion, quelques orientations de recherche », in Géographie et cultures, n°42, 2002, pp.37-56.