Les Annales de géographie

Cette revue naît après et en réaction à l’engouement géographique pour les découvertes coloniales. Ses fondateurs Paul Vidal de la Blache et Marcel Dubois s’entendent pour une revue de vraie géographie, scientifique, qui pourrait devenir l’équivalent français des Petermann’s Mitteilungen et The Proceedings of the Royal Geographical Society, c’est-à-dire les deux publications phares du moment. La géographie descriptive n’est pas permise et le comité de publication préfère les études de cas sur une région ou une population. Pourtant assez proches du sujet, les travaux missionnaires y sont très rares822. Même la très importante bibliographie que la revue consacre aux travaux géographiques ne mentionne pas les revues missionnaires823. Sur plus de vingt ans, une seule carte missionnaire semble avoir retenu l’attention des responsables des Annales : la carte du RP Haug de la Société des Missions Evangéliques de Paris représentant le bas-Ogooué au 1/250.000è, publiée en 1903824.(cf :   Le bas-Oggo   ) Le texte qui l’accompagne dresse une étude géographique complète à l’aide d’un vocabulaire scientifique maîtrisé, propre à la géologie, l’orographie, la végétation et la faune, avant un long exposé ethnographique. La carte du missionnaire se distingue encore par le grand nombre de noms indigènes, gage selon l’auteur de son authenticité et son exactitude. Pour cette même raison, la carte du RP Le Gallois sur la topographie du Stanley-Pool méritait aussi de figurer dans la revue. Proposée en janvier 1912, elle est le résultat de quatre années d’itinéraires et accompagnée d’un solide article sur l’hydrographie, la forêt et les habitants de la région. Les géographes parisiens reconnaissent le caractère inédit de cette carte, fruit d’une longue expérience qu’aucun explorateur ou militaire ne pourrait égaler. De plus, elle comble les vides de la carte du Service géographique de l’AEF qui ne couvre l’espace qu’au 1/1.000.000è. Le missionnaire apporte donc nettement sa contribution à la topographie de la région825 (Cf. Annexe 26 : une cartographie missionnaire scientifique, Le Gallois ). Mais ces travaux sont de plus en plus rares car à mesure que se multiplient les cartes et croquis sur le continent, l’apport missionnaire se dévalorise. Pourtant, ils répondent aux conditions désormais requises pour figurer dans les revues spécialisées : couvrir un espace à grande échelle, multiplier les toponymes locaux et être accompagné d’un texte précis utilisant un vocabulaire spécifique.

Existerait-il une défiance des géographes à l’égard des missionnaires ? Leur absence remarquée dans les Annales de géographie permet de l’envisager. Même les travaux ethnologiques ne sont pas reconnus. Le géographe Emmanuel de Martonne ne cite à aucun moment les missionnaires quand il aborde sa longue étude sur le Haut-Nil826. C’est comme si la revue rejetait d’un même mouvement le récit colonial d’exploration et le récit missionnaire, les jugeant l’un et l’autre trop exagérés et édifiants, pour sauvegarder le crédit scientifique de la nouvelle revue827. Considérés comme des productions sur et pour la colonisation, ils sont discrédités par la nouvelle école de géographie vidalienne qui s’impose dans la première décennie du XXè auprès des revues et bulletins de géographie828.

Notes
822.

Un article dans les vingt premières années fait référence aux cartes missionnaires, dans le vol. VIII de 1899. Mais il est question des Jésuites en Chine au XVIIIè s. Les RP Bouvet, Regis et Jartoux ont relevé le tracé de la grande muraille entre 1708 et 1717. Les cartes offertes à l’empereur cartographiaient 15 provinces, 504 villes et 137 localités. Le RP Chevalier aurait aussi levé le cours du Fleuve bleu au 1/25.000è sur près de 50 cartes de 1,25 x 0,75 m.

823.

En 1904, la revue traite de l’ouvrage de Piolet sur les Missions catholiques françaises, mais lui reproche précisément le manque de toponymes pour ses cartes.

824.

«  Le bas-Oggoué   » in Annales de géographie, , 15 mars 1903, vol. 12, pp.159-171 et planche II. Le document témoigne d’une connaissance approfondie du terrain comme du peuplement dont les villages sont localisés avec précision.

825.

« Contribution à la cartographie du Congo français » in Annales de géographie, 15 janvier 1912, pp.56-67 et planche 1. Le missionnaire remercie un géographe de l’Université de Fribourg qui a « dirigé et vérifié » le travail cartographique.

826.

« Le Haut-Nil » in Annales de géographie, 1896, pp.506-521 et deux planches ; 1897, pp.61-70 et uneplanche.

827.

Selon Olivier Soubeyran, la revue amorce ce virage disciplinaire deux ans après ses débuts, en 1894, évinçant Marcel Dubois et la géographie coloniale, qui, selon de Martonne, n’apporte rien à la géographie appliquée.

828.

Pour l’exemple lyonnais, le ralliement aux positions vidaliennes se situe en 1908, que de Martonne justifie avec une nouvelle série du Bulletin de la Société de géographie de Lyon. Voir VASQUEZ Jean-Michel, « Les enseignements d’une parution provinciale : le bulletin de la Société de géographie de Lyon », op. cit.