Chapitre XVI : Une postérité réduite à la valeur que lui accorde le colonisateur

Le regard que porte le colonisateur sur le missionnaire et ses travaux résume les rapports ambigus tissés entre pouvoir politique et mission. La simultanéité entre l’expansion et l’évangélisation impose sur place a priori une coopération du soldat et du prêtre, au nom d’une solidarité européenne. Le missionnaire met à disposition du militaire et de l’administrateur ses connaissances linguistiques et géographiques ce qui lui permet de progresser plus vite, devenant tour à tour guide, traducteur et quelquefois témoin des accords signés avec les chefs locaux. Sur place donc, la mission a composé avec la colonisation, mais dans son propre intérêt877 et sans se fondre complètement dans un mouvement dont elle critique par ailleurs les formes. Le Père Joseph-Roger de Benoist a montré à propos du Soudan français que la coopération évoluait sous l’effet d’événements extérieurs878. Au départ face à face, administrateur et missionnaire ont lié leurs services dans la dernière décennie du XIXè s., chacun attendant de l’autre quelque chose. Puis la collaboration s’est transformée en franche hostilité sous le coup des lois interdisant l’éducation scolaire aux congrégations entre 1901 et 1905. Marginalisées, les missions catholiques doivent normaliser leurs relations avec l’administration qui deviennent plus saines après le premier conflit mondial. Mais cet exemple concerne l’Afrique équatoriale, région où « le missionnaire est entré sur les pas du militaire ». Il paraît plus intéressant pour nous d’aborder le cas du Gabon ou de Madagascar, deux endroits où l’évangélisateur a précédé le colonisateur, disposant à la fois d’une identité propre que les populations locales savent distinguer des autres Européens et d’une expérience manifeste du terrain et des hommes. Comment le pouvoir politique a-t-il employé les connaissances géographiques des missionnaires ? Leurs cartes ont-elles été utilisées ? Pour répondre, il paraît utile de considérer trois moments dans la colonisation qui correspondent aux phases d’exploration, de conquête et d’exploitation.

Notes
877.

Les rapports qu’institue Libermann avec le Ministère de la Marine à qui il demande le passage pour ses hommes sur les navires français, la sécurité une fois sur place et une solde, sont contractuels. En 1843, il sait que le Ministère rencontre des difficultés pour recruter des prêtres destinés à l’encadrement des colonies africaines.

878.

DE BENOIST Joseph-Roger, Eglise et pouvoir colonial au Soudan français ; administrateurs et missionnaires dans la boucle du Niger (1885-1945), Paris, Karthala, 1987, 548 p.