Brazza et les Spiritains au Congo durant la phase d’exploration

L’explorateur au service de la France a recours aux missionnaires quand il recherche une voie de pénétration pour rejoindre le Congo en amont des chutes. Les RRPP Bichet et Davezac qui ont déjà guidé des explorateurs sur l’Ogooué, sont mis à contribution. Ils participent aux nombreuses expéditions vers l’intérieur. Pourtant, la correspondance de l’expédition, d’août 1875 à novembre 1878, étudiée par Henri Brunschwig879, ne mentionne jamais les missionnaires et quand il rapporte la composition de son équipe, partie de Lambaréné au mois de novembre 1875, Brazza ne cite que quatre Européens : lui, un aide-médecin, un quartier-maître et un spécialiste des collections pour le Museum. Parmi les 17 Africains figurent des interprètes pour les langues M’pongoué, Bakelais, Pahouins et Cabinda, enrôlés au Gabon. Les missionnaires sont absents du voyage, tout comme la mission de Lambaréné qui constitue malgré tout le seul établissement français en dur dans la région et point de départ pour toutes les expéditions vers l’intérieur. Durant l’expédition de 1883-1885 pour la prise de possession le long du Congo, Brazza n’hésite pas à confier aux Spiritains une mission diplomatique : le RP Augouard est chargé de porter des cadeaux au roi Makoko dont les terres s’étendent sur la rive droite du grand fleuve près du Stanley-Pool. Le contexte est marqué par la compétition avec Stanley qui jalonne le fleuve de stations pour le compte du roi des Belges. Partant du Bas-Congo, le missionnaire doit parvenir le plus vite possible au Stanley-Pool ; il commande pour l’occasion une expédition d’une centaine d’hommes, offrant l’image d’une parfaite collaboration entre la mission et la colonisation880. Les archives de l’expédition, dépouillées par Catherine Coquery-Vidrovitch parlent très peu de cette contribution881. Parmi les documents conservés par Brazza, il faut constater l’absence de plans et de croquis qui auraient servi aux explorateurs882. Or, c’est précisément à ce moment que l’expérience missionnaire a joué. Mais comme cette contribution est orale, elle laisse peu de traces, malgré son caractère décisif. Quelques missionnaires relatent pour les Missions catholiques le récit de leur voyage883.(cf :   Chez les Batékés  ) De l’autre côté, les souvenirs sont rares. Par exemple, l’explorateur Dutreuil de Rhins qui participe aux expéditions de Brazza ne cite jamais les missionnaires à propos de sa carte de l’Ogooué relevée au 1/80.000è en 1883884,(cf :   Ogooué   ) malgré ses fréquentes sollicitations auprès de la mission885. Sa production a néanmoins intégré les connaissances recueillies par les missionnaires auprès des populations indigènes comme l’attestent les nombreux toponymes locaux. D’après lui, si les missionnaires ont été conviés à l’expédition c’est pour les remercier de leur hospitalité à Lambaréné886.

« Un fou et un crétin de franc-maçon ! » lit-on à propos de Brazza dans les notes personnelles de Mgr Augouard, notes consciencieusement réunies sur les faits et gestes des explorateurs, militaires et administrateurs français qu’il a côtoyés en Afrique887. Sans doute, les sentiments anticléricaux des acteurs de l’époque ont joué pour expliquer le manque de reconnaissance à la mission dans l’exploration du Congo. Pour beaucoup, le missionnaire reste avant tout un homme de Dieu qui sert l’apostolat avant sa patrie. L’aide qu’il apporte n’est donc pas complètement désintéressée, comme l’affirme Dutreuil de Rhins. Participer à une expédition armée lui permet d’asseoir son autorité auprès d’une tribu peu accueillante, ou bien de fonder une station dans une région jusque là inexplorée. D’ailleurs, la mémoire des congrégations retient surtout de ces explorations l’occasion de fonder des stations888. En définitive, les explorateurs estiment que la collaboration est équitable et qu’il n’est pas nécessaire de rendre un hommage public à la mission. Enfin, dans le domaine de l’exploration, chaque découverte est associée à un nom ; comme les missionnaires ne disposent pas d’une tribune publique leur permettant de revendiquer l’antériorité d’une expédition, de nombreux découvreurs n’hésitent pas à s’approprier des itinéraires et des lieux, insistant sur le caractère inédit de leur voyage. En l’absence de publications, l’espace reste un territoire inconnu et vierge.

L’épisode qui suit marque une seconde étape dans la chronologie de la colonisation. Après l’exploration, il s’agit de la conquête. L’exemple de Madagascar prouve cette fois-ci que les travaux cartographiques des missionnaires ont été plébiscités.

Notes
879.

BRUNSCHWIG Henri, Brazza explorateur ; l’Ogooué (1875-1879), Paris-La Haye, Mouton, 1966, 215p.

880.

Le RP Dolisie se serait aussi joint de son propre chef à l’expédition.

881.

COQUERY-VIDROVICTH Catherine, Brazza et la prise de possession du Congo ; la mission de l’Ouest africain (1883-1885), Paris-La Haye, Mouton, 1969, 502 p. L’auteur cite une lette du RP Carrie, p.ap. du Congo à Landana, adressée au comandant de la division navale le 13 novembre 1882, ainsi que la lettre d’Augouard à Brazza qui rend compte de sa mission, datée du 27 janvier 1884. Le missionnaire a du établir une station à dix milles du site prévu initialement, baptisée St-Joseph de Linzolo. Archives Nationales, Section Outre-mer, Fonds Brazza, troisième mission.

882.

Ibid ., p.186,note 6 : une vingtaine de pièces graphiques a été recensée. La plupart sont des relevés qui serviront à rendre compte de l’expédition.

883.

Par exemple lorsque les RRPP Bizet et Davezac profitent de l’expédition chargée d’établir le lien entre l’Ogooué et le Congo pour établir une station auprès des Batékés : «  Chez les Batékés   », MC-1884-154.

884.

«  Ogooué   », 1883, en sept feuilles.

885.

Relire le Journal de communauté de la mission de Lambaréné, de la décennie 1880, Archives spiritaines, Dossier Gabon, 4J2.6.

886.

Dans un long rapport non publié, Dutreuil de Rhins rappelle le rôle « empressé » de la mission de Libreville et de Mgr Le Berre, remerciant au passage le personnel de Lambaréné. L’hommage est donc relatif, placé à la fin du rapport. Auparavant, l’explorateur a pris soin de faire remarquer qu’il n’existe aucun interprète sérieux dans la région. Archives OPM, Fonds Augouard, Boîte XI, Dossier 26, « Rapport sur l’Ouest africain par Dutreuil de Rhins », 9 novembre 1883.

887.

Archives OPM, Fonds Augouard, Boîte XI, Dossier 24, « Notes sur Brazza et l’administration », 6 janvier 1892. Le v.ap. de l’Oubangui reproche à l’explorateur devenu responsable du Congo français d’avoir laissé la colonie dans un état pitoyable.

888.

ERNOULT Jean, Les spiritains au Congo , op. cit. . A propos de la fondation de St-Joseph de Linzolo, l’auteur rappelle que le RP Augouard avait déjà accompli un voyage exploratoire du 27 juin au 27 août 1881, pour répondre à une tentative d’installation protestante à la suite du premier voyage de Brazza en 1880. Le RP Carrie avait demandé à Augouard de pousser jusqu’à la rivière Kassaï. En s’installant à Linzolo, le missionnaire poursuit son plan d’occupation linéaire qui jalonne le fleuve de stations catholiques. Dans sa narration, l’auteur n’évoque pas l’échec de l’entrevue entre Makoko et Augouard. En revanche, le missionnaire aurait passé des accords avec des chefs locaux qui lui cédèrent vingt hectares, auprès de tribus anthropophagiques.